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Le prix de la lâcheté : ce redoutable effet boomerang qui menace une France prête à brader son héritage chrétien pour de très mauvaises raisons
©AFP

Retour de baton

Le Conseil d'Etat a définitivement jugé que la crèche de Noël installée en 2014 à l'Hôtel de ville de Béziers était bel et bien illégale. Un nouvel exemple, après l'affaire de la croix à Ploërmel, du retour de positions jugées par certains trop "laïcardes".

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Atlantico : Le Conseil d'Etat a définitivement interdit l'installation d'une crèche dans un établissement public  "sauf si des circonstances particulières montrent que cette installation présente un caractère culturel, artistique ou festif" - ce qui semble paradoxal, une crèche de Noël étant précisément culturelle, artistique et festive. De quelle vision de la laïcité témoigne cette interdiction ? Si on pense aussi à l'affaire de la croix retirée d'une statue ou d'un bâtiment administratif, qu'est-ce qui explique ce regain de positions jugées par certains comme "laïcardes" en France ? 

Philippe d’Iribarne : Il ne faut pas sous-estimer la difficulté devant laquelle nous nous trouvons. Nous avons à faire le raccord entre la théorie politique qui nous inspire et notre réalité historique, sociale et culturelle.  D’un côté notre théorie politique veut que nous ayons affaire à une société qui ne doit rien à aucune religion particulière et qui respecte de manière égale les droits de tous ses citoyens en matière de liberté religieuse. La catégorie de « religion » est supposée fournir une appréhension satisfaisante de réalités aussi diverses que le christianisme, l’islam, le bouddhisme, etc. Notre droit est marqué par une telle vision et celle-ci est défendue par des instances telles que la Cour européenne des droits de l’homme. De l’autre on a affaire à une société profondément marquée par une histoire et des repères chrétiens qui font partie de son identité. De plus, l’islam n’est que très partiellement une « religion » au sens où nous  l’entendons, mais une réalité sociale porteuse d’un projet politique de contrôle des populations et des territoires qui met en cause la vie des sociétés démocratiques. Face à la difficulté à faire ce raccord entre théorie et réalité, les politiques hésitent, louvoient, essayent de concilier l’inconciliable. Le regain des positions « laïcardes » doit être compris dans ce contexte.

Bertrand Vergely : Dans l’affaire que vous évoquez et qui concerne la ville de Béziers dont Robert Ménard député Front National, est le maire, difficile de ne pas voir là un geste politique à l’encontre de Robert Ménard. La situation est par ailleurs délicate. La crèche de Béziers était-elle une coutume locale de longue date ou une installation récente avec des arrière-pensées ? D’une façon générale, la crèche fait partie du folklore dans lequel elle revêt une signification à la fois chrétienne, populaire et coutumière. Si on la trouve dans les églises, on la trouve un peu partout selon la sensibilité propre à chaque ville, petite ville ou village. Les boulangeries ou les grands magasins ont affiché ou affichent des crèches à Noël et des œufs à pâques.  À l’Élysée, (il y a ?) il y avait le traditionnel sapin de Noël avec les cadeaux pour les enfants du personnel.  Jusqu’à présent, la sagesse des gouvernements, même socialistes et « laïques » était d’accepter la cohabitation entre la laïcité républicaine et le passé chrétien, populaire et chrétien. La laïcité républicaine sortait grandie de ce respect Elle, qui se réclame de la tolérance, en faisait preuve. Elle, qui se voulait pacifique, faisait preuve de paix. Elle en recevait les bénéfices en étant d’autant plus respectée et respectable qu’elle était respectueuse. Aujourd’hui, les choses changent. La laïcité a décidé de faire du zèle en se montrant tatillonne, sourcilleuse, légaliste, fondamentaliste et intégriste. Résultat, elle devient bête et dangereuse. Là où il y avait un équilibre fait de bon sens règne désormais la méfiance, le soupçon, les arrière-pensées, la malveillance. On voit le mal là où auparavant il n’y en avait pas. On crée une sale ambiance en compliquant inutilement les choses. On allume les feux de la discorde.  Très curieusement, la laïcité agit comme l’intégrisme islamiste qu’elle récuse. Comme lui, elle a décidé de faire une fixation sur les signes. Ici, ce sont les femmes que l’on voile en faisant du voile un abcès  de fixation. Là, c’est le religieux et notamment le christianisme que l’on a décidé de voiler en faisant de ce voile également un abcès de fixation. « Cachez ce sein que je ne saurai voir » dit Tartuffe le héros de Molière. « Cachez cette religion et ce christianisme que je ne sauri voir »,  disent nos modernes Tartuffe. Du coup, autre paradoxe, cette laïcité intransigeante et sourcilleuse finit par donner aux crèches une importance qu’elles n’avaient pas en les transformant en enjeu politique. Quelle vision de la laïcité derrière cette interdiction des crèches dans l’espace public ? J’ai bien peur qu’i n’y en ait aucune. Comment expliquer cette résurgence d’un laïcisme vengeur et haineux ? Par l’aveuglement administratif, juridique et idéologique.

Un argument dans les discours "laïcards" souvent entendu est de dire que la laïcité est de combattre les religions et les rendre au domaine privé, et qu'en conséquence si on lutte contre l’expansion de l'Islam, il faut aussi lutter contre la présence du christianisme dans la société. Que pensez-vous de cette argumentation ?

Philippe d’Iribarne : Effectivement, combiner la lutte contre l’emprise politique de l’islam et l’exigence de neutralité envers les « religions » conduit à ce type de réactions. On l’a bien vu pour l’interdiction du voile islamique à l’école. Pour rendre cette interdiction juridiquement possible, il a fallu l’habiller en interdiction générale, concernant toutes les « religions », des signes religieux ostentatoires. Personne n’est dupe et, du reste, on parle couramment de « loi sur le voile », mais les apparences sont sauves. Tant que l’on n’aura pas reconnu qu’il n’est nullement discriminatoire de traiter l’islam de manière différente du christianisme, du fait que l’islam est porteur d’un projet politique de contrôle collectif des populations et des territoires mettant en cause la vie des sociétés démocratiques, on continuera à devoir agir ainsi.

Bertrand Vergely : Cette vision de la laïcité est inepte. En premier lieu, elle est contradictoire. La laïcité ayant comme but de permettre à toutes les religions de s’exprimer au nom de la tolérance et de la liberté d’opinion, on ne peut à la fois se déclarer tolérant et respectueux de l’expression de toutes les religions et vouloir en même temps lutter contre les religions et les prier de se taire en les enfermant dans la sphère privée. Il fait choisir Ou on est laïc ou on ne l’est pas. Quand on est laïc, c’est-à-dire tolérant et pour la liberté de culte, on ne peut pas vouloir lutter contre les religions et les enfermer dans la sphère privée.  Quand on le fait, on n’est pas laïc. On est contre la liberté de culte et contre l’expression religieuse. Par ailleurs, la laïcité étant une religion et devant l’être, comme l’explique Vincent Peillon, notre ex-ministre de l’Éducation Nationale sous la présidence de François Hollande, dans son livre La révolution française n’est pas terminée (Seuil 2008), si la laïcité consiste à lutter contre les religions et à les enfermer dans la sphère privée, il faut qu’immédiatement celle-ci s’applique cette règle à elle-même en luttant contre la laïcité et en l’enfermant dans la sphère privée ! Toutes ces inepties développées par le laïcisme viennent de l’assimilation qui a été faite par Voltaire entre religion et fanatisme. La religion est une chose. Le fanatisme en est une autre. Tous les religieux ne sont pas fanatiques. Et bon nombre de fanatiques ne sont nullement religieux. C’est contre le fanatisme qu’il faut luter et non contre les religions. On lutte contre les fanatiques en montrant à ceux-ci ce qu’est la vraie religion. La vraie religion consiste à être habité par la présence ineffable du mystère divin dans l’existence en vivant avec profondeur chaque instant de sa vie, en étant au service de ce mystère magnifique dans l’humanité. Aussi curieux que cela puisse paraître, le meilleur rempart contre le fanatisme n’est pas l’absence de religion mais la vraie religion elle-même comme religion du cœur dédiée au mystère de la vue et à l’humanité. La France sera laïque quand elle aura retrouvée la vraie religion et non quand elle aura détruit toute religion. Plus elle luttera comme elle le fait contre les religions plus elle verra le fanatisme se déchaîner sur son sol, la violence laïcarde ne pouvant que provoquer ce même fanatisme. 

Quelle place peut donc occuper la religion chrétienne dans un pays qui se veut à la fois une République laïque et un pays important au sein d'une "civilisation chrétienne" ou "judéo-chrétienne" ?

Philippe d’Iribarne : Actuellement cette place reste considérable. Elle est légitimée en s’appuyant sur le respect de ce qui a été intégré dans le patrimoine, la culture, les habitudes sociales et qu’il n’est pas question de mettre en cause. Il en est ainsi pour le calendrier, les innombrables noms de ville, de rues, d’établissements qui portent des noms de saints (Saint-Etienne, le boulevard Saint-Germain, le lycée Saint-Louis), la place des cathédrales dans l’espace public, etc. Cette référence à ce qui est ancien permet de traiter différemment le christianisme et l’islam en mettant en avant un critère qui n’est pas explicitement discriminatoire. Sa limite est évidement de figer la situation, d’où les difficultés que vous avez citées concernant la croix, nouvelle, surmontant la statue de Jean-Paul II ou les crèches qui ne sont pas devenues avec le temps un élément de culture locale. On ne pourra aller plus loin sans prendre en compte les vraies raisons qu’il y a de reconnaître que le christianisme et l’islam sont deux réalités très différentes et que les rassembler sous le terme de « religion » empêche d’agir de manière sensée à l’égard de chacune d’elles.

Bertrand Vergely : En étant fondé sur un Dieu vivant appelant l’humanité de tous les temps à la vie le christianisme est proprement extraordinaire. À chaque fois qu’il propage ce message de vie, il passionne tout le monde en donnant vie et dynamisme à tout. En ce sens, le christianisme c’est avant tout la vie et non le passé chrétien. La laïcité, de ce fait, n’est pas un problème pour le christianisme, son sens n’étant pas de se situer face à elle ou contre elle, mais face à la vie. C’est la laïcité qui se situe contre le christianisme. Le christianisme ne se situe pas contre la laïcité. Dans le monde qui est le nôtre le christianisme n’a et ne peut avoir qu’une seule place : celle de la surprise. La vie est d’une puissance phénoménale et le Christ est venue révéler cette puissance pour que tous les hommes de tous les temps et de tous les horizons puissent y avoir accès. À ce titre, ce n’est pas une religion que le christianisme est venu apporter. C’est la vie. L’islam fonctionne sur la base de l’islam son problème étant la propagation de l’islam. Le but du christianisme n’est pas le christianisme mais la vie. Le jour où on aura compris que l’important c’est la vie et non la religion, la vraie religion étant la religion de la vie, on fera la paix entre toutes les religions et toutes les idéologies qu’il y a dans le monde. Si le christianisme sert la vie. Il vivra. Sinon il périra comme tout ce qui ne sert pas la vie pour renaître. Cela vaut pour le politique comme pour la société. Si le politique et la société sont pour la vie. Ils vivront. S’ils se contentent d’être pour la gauche ou pour la droite, l’écologie ou la culture, ils périront. Nietzsche qui n’était pas chrétien a posé la question chrétienne par excellence : « Avons nous envie de vivre ? La vie nous intéresse-telle ? » Tout le christianisme est une réponse à cette question. La vie est à vire d’urgence. Parce qu’on n’a pas imagination des trésors qui sont en elle.

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