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Le paradoxe des parents : ils croient de moins en moins à l'école, mais comptent de plus en plus sur elle
©Reuters

Bonnes feuilles

Extrait de "Materner ou éduquer ? Refonder l'école", de Jean Gabard, aux éditions de Paris 2/2

Jean Gabard

Jean Gabard

Après une jeunesse marquée par la culture libertaire soixante-huitarde, Jean Gabard a enseigné pendant 30 ans en collège et lycée. Passionné de voyages et de sciences humaines, il se consacre maintenant à l’écriture et à l’animation de conférences-débats en France, en Belgique, en Suisse… sur l’éducation des enfants, les relations hommes-femmes... A déjà publié aux Éditions de Paris : "Le féminisme et ses dérives / Rendre un père à l’enfant roi". 

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Des élèves couvés par des « mamans » d’élèves

Les enfants sont souvent envoyés à l’école par des parents qui se sentent obligés de le faire. Ces derniers veulent croire que l’école est obligatoire (alors que seule l’instruction l’est) et n’oublient pas qu’en tant que contribuables, ils ont ainsi un droit de regard sur ce qui est fait à l’école. Ils tiennent à vérifier que leur progéniture, maternée à la maison, est aussi bien « traitée » en classe. Ces parents qui ont tout fait pour lui éviter une éducation castratrice n’ont pas envie de confier à d’autres la fonction répressive non endossée à la maison. Ils veulent au moins avoir un contrôle pour pouvoir éventuellement intervenir et protéger celui qui, sentant l’appréhension des adultes, ne peut que se sentir en danger. Pour beaucoup, l’élève n’est, en effet, plus celui qui a la fortune d’aller à l’école gratuitement mais l’infortuné, malmené par un système infernal. L’école n’est plus un service qui lui est rendu mais un service qu’on lui doit parce qu’il est tenu d’y aller et parce que ses parents payent. Ce n’est plus une chance mais une fatalité. Élèves et parents, en attendent donc, comme en compensation, des résultats et ont tendance à considérer le diplôme comme un dû. Le droit à l’école gratuite et à l’instruction pour tous, qui doit favoriser l’égalité des chances, est ainsi devenu un droit à la réussite pour tous. Ceci justifie leur attente de qualité et de résultats.

Les délégués des parents d’élèves peuvent participer à la marche de l’établissement et contribuer à la rendre plus efficace. En apportant un éclairage différent, ils peuvent favoriser l’adaptation des pédagogies et les relations avec l’individu-élève. Certains utilisent cependant leur fonction comme un Cheval de Troie pour pénétrer « entre les murs » où leur enfant subirait maltraitance et humiliation. Conscients de leur importance, ils ont parfois tendance à revendiquer une place quasi égale aux enseignants pour surveiller leurs activités, quand ils n’opposent pas un contre-pouvoir à leur autorité. Ces parents d’élèves (très souvent d’ailleurs des mères d’élèves ayant craint de donner l’autorité dans la famille à leur compagnon qu’elles sont censées bien connaître et apprécier), sont peu enclins à donner trop de pouvoir à des enseignants qu’ils ne connaissent pas. Ayant parfois des comptes à régler avec l’école, l’idée que leur enfant puisse endurer les épreuves qu’ils ont supportées avec plus ou moins de bonheur quelques années plus tôt, leur est aujourd’hui insupportable. Se sentant chargés d’une mission protectrice, ils s’estiment en droit de surveiller et donner leur avis sur le travail donné, trop ou pas assez important, sur les méthodes trop rébarbatives ou trop rigoureuses, sur les programmes trop lourds ou pas assez approfondis, sur les enseignants trop sévères ou trop laxistes. Ils investissent l’école avec des exigences de consommateurs et sont toujours sur le qui vive pour réagir et même prévenir les traumatismes que pourrait subir leur enfant. Si les enseignants a priori suspects, doivent avoir de l’autorité (71% des Français estiment que les enseignants n’ont « pas assez d’autorité sur leurs élèves ») ils attendent qu’ils l’obtiennent par la qualité de leur enseignement et leur charisme. Les méthodes autoritaires sont acceptées et même parfois recommandées si elles doivent s’appliquer aux autres élèves, elles sont par contre trop sévères si elles concernent leur enfant innocent qui ne peut pas avoir mérité une sanction toujours trop humiliante et injuste.

Compatissants, des parents comprennent le manque de motivation de l’élève et excusent même son absentéisme et sa « légitime révolte », preuve de sa personnalité. Certains deviennent leurs complices pour les soutenir contre l’école. Les conseils de classe destinés à analyser les résultats des élèves et trouver des solutions pour les aider, se transforment parfois en procès de l’enseignant dont on remet en cause les méthodes et l’efficacité, devant les délégués de classe qui ne manquent pas de répandre, par la suite, la « bonne nouvelle » à leurs camarades. Alors que l’élève puni par un professeur recevait une deuxième punition à la maison avant d’avoir eu le temps d’en expliquer la raison, c’est aujourd’hui le professeur qui se voit menacé, s’il n’enlève pas la sanction, avant d’avoir pu la justifier. Ainsi, de même que dans les familles, on ne donne pas l’autorité aux pères qui se retrouvent simples adjoints, des parents n’accordent plus leur confiance aux enseignants qui deviennent pour les enfants-élèves de mauvais serviteurs non cré- dibles qui ne méritent pas d’être respectés ni écoutés.

Des parents comptent de plus en plus sur l’École en laquelle ils croient de moins en moins. Ils demandent à celle-ci de tout faire et même parfois ce qu’ils ne font plus eux-mêmes et, à la fois, lui reprochent d’être incapable. Alors que « l’École a surtout une mission d’enseignement et de socialisation qui s’appuie sur les acquis familiaux », le travail d’éducation des enseignants, indispensable pour pouvoir instruire, n’est plus cautionné par de nombreuses familles. L’hésitation de parents « libérés » à reconnaître de la valeur aux enseignants pour leur permettre d’exercer l’autorité à l’école se trouve confortée par la désaffection généralisée pour l’école et le rejet des valeurs qui seraient encore défendues par celle-ci. L’idéologie dominante les renforce dans leur rôle le plus noble qui soit aujourd’hui : celui de « maman » défendant son enfant.

Pour des parents modernes l’école ne doit pas seulement instruire l’élève, elle doit surtout favoriser son épanouissement individuel qui devient la condition de sa réussite scolaire. C’est la raison pour laquelle la bonne école qui doit garantir le droit au bonheur des enfants doit forcément fournir les bons résultats espérés. Elle est attendue sur ce point et c’est souvent elle qui sera jugée responsable si ceux-ci ne sont pas au rendez-vous. C’est d’ailleurs maintenant elle que l’on note et classe.

Les exigences des parents mettent la pression sur les enseignants. Elles déresponsabilisent les élèves qui, au lieu d’être portés par un projet parental pour apprendre, se sentent appuyé

s dans leur contestation et continuent d’être des dieux à l’école comme ils le sont à la maison. Ils restent persuadés que c’est au monde qui les entoure de s’adapter à eux et notamment à l’école de faire des efforts pour qu’ils puissent profiter de bonnes conditions.

Extrait de "Materner ou éduquer ? Refonder l'école", de Jean Gabard, aux éditions de Paris, mai 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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