Le numérique, nouvelle cible des irrationnels de l’environnement <!-- --> | Atlantico.fr
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Des ordinateurs récupérés et réassemblés sur un site de recyclage Ateliers sans frontières, à Bucarest.
Des ordinateurs récupérés et réassemblés sur un site de recyclage Ateliers sans frontières, à Bucarest.
©DANIEL MIHAILESCU / AFP

Ayatollahs verts

Les injonctions anti-numériques et pseudo écologiques se multiplient vis-à-vis des nouvelles technologies.

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

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Atlantico : Vous avez dénoncé récemment des articles du Monde dénonçant l’empreinte écologique du numérique. Pourquoi ces critiques sont-elles exagérées selon vous ?

Pierre Beyssac :
On observe beaucoup de procès à charge contre l'impact environnemental du numérique depuis quelques années, venant de milieux militants. Pour forcer le message, les chiffres sont parfois présentés de manière tronquée ou biaisée

Un article récent du Monde fait état d'un impact du numérique dû pour 28,2 % aux "radiations ionisantes" du nucléaire, pour 24,7 % aux combustibles fossiles "charbon, pétrole, gaz naturel", pour 27,3 % aux "éléments minéraux et métaux", etc.

Pourtant, ces impacts ne sont pas comparables sur une même échelle : on additionne des choux et des carottes, le tout pour un total de 100 % qui ne représente plus rien dans l'absolu.

Il est utile de chercher l'origine de tous les chiffres étonnants, car ces résultats n'ont pas été inventés par la presse. Ils proviennent de 2 rapports conjoints Ademe-Arcep publiés en 2022 et 2023 sur l'empreinte du numérique. Le rapport 2022, avant de fusionner les différentes catégories sur une même échelle, prend soin de prévenir qu'« aucun consensus scientifique n'existe sur une manière robuste d'effectuer une telle évaluation ». Cet avertissement a, hélas, disparu de l'article du Monde.

L'impact de l'électricité nucléaire, sous le terme inquiétant de "radiations ionisantes", est peut-être mis en avant pour faire peur. Il est surprenant que l'étude lui attribue un impact supérieur à celui des carburants fossiles, qui engendrent pollution atmosphérique ainsi que CO2. Il suffit pour cela de donner aux radiations une pondération arbitrairement haute, et le tour est joué.

Les évaluations de ce type, si elles caressent les militants antinucléaires dans le sens du poil, ne rendent service à personne pour comprendre les impacts de nos activités.

En usage (donc hors fabrication et recyclage du matériel), l'impact du numérique est essentiellement celui de sa consommation électrique. On estime qu'il représente environ 10 % de la consommation électrique française ; celle-ci émet 12 % du CO2 de l'énergie. Au total, le numérique représente donc 1,2 % du CO2 énergétique français. Pourtant, si vous demandez autour de vous, vous pourrez constater que la perception qu'en a le public est bien plus élevée. Le numérique est également surreprésenté dans les "écogestes" recommandés par les médias grand public et les politiques.

Comment expliquer que le numérique soit ainsi devenu la cible d’attaques irrationnelles de militants écologistes ? Et que les injonctions anti-numériques et pseudo écologiques se multiplient ?

L'écologisme se revendique souvent de valeurs traditionnelles : retour à la terre, abandon de la mécanisation, promotion de pseudo-sciences comme la biodynamie ou les guérisseurs, scepticisme envers la science et la technologie. Même si l'écologisme s'intéresse aussi aux résultats scientifiques, il ignore parfois ceux qui ne vont pas dans le sens politique préétabli, concernant le nucléaire par exemple, mais aussi les OGM, le numérique, etc. Les résultats scientifiques gênants sont écartés sous prétexte d'influence des "lobbies", ce qui évite d'avoir à en discuter sur le fond.

Parallèlement, l'effet « gilets jaunes » a réduit la volonté politique d'agir sur un secteur comme l'automobile, pourtant très gros poste de pollution. Il est plus gratifiant politiquement de protéger la voiture (mesures d'aide sur le prix du carburant, etc) et de se défouler le numérique, secteur peu contestataire, en manque d'acteurs nationaux de grande taille, qui pèse peu dans le budget des ménages et qui représente un poids environnemental énorme dans les esprits. Tout cela en fait un bouc émissaire idéal.

Les injonctions sur la sobriété des usages continuent donc à être mises en avant en conclusions apparentes d'études scientifiques qui n'en font aucune démonstration : il n'existe aucun élément scientifique à l'appui, et les chercheurs spécialistes le reconnaissent.

L'Ademe, considérée comme autorité de référence, rappelle que ses rapports ne sont pas des "recommandations" mais plutôt des évaluations ou des "scénarios" proposant divers choix de société. Cependant, leur résumé médiatique est plutôt celui de recommandations de sobriété, qui font d'ailleurs partie des missions de l'Ademe.

La popularisation spectaculaire à l'automne dernier de l'intelligence artficielle générative va accentuer les pressions contre la technologie : les prédictions catastrophistes sur l'IA commencent déjà à se multiplier.

Faut-il craindre des restrictions sur les usages du numérique ou des contraintes, au nom de l’environnement, mais sans réellement de fondement scientifique ?

Le législateur a déjà imposé l'affichage du CO2 sur nos factures d'accès Internet, via une méthodologie de l'Ademe, bien que ce calcul n'ait pas de sens physique. Pour l'instant il n'existe pas de projet de nouvelle contrainte, le législateur ayant tenu compte des éléments scientifiques, mais il faut rester vigilant : l'idée de sobriété à titre symbolique reste très présente chez de nombreux acteurs de défense de l'environnement impliqués dans l'écriture des lois.

Il existe maintenant des poussées en entreprise pour nettoyer nos boites de courrier électronique, qui n'ont aucun effet environnemental mais permettent aux directions de prononcer des injonctions apparemment vertueuses.

Comment redonner au numérique sa juste place ?

Il faut d'abord garder à l'esprit son impact relatif, assez modeste, et lui permettre une certaine croissance pour absorber des transferts d'activité depuis des secteurs plus polluants -- par exemple, les visioconférences ou le télétravail pour réduire les besoins en transport, etc --.

Ensuite, il est utile de comprendre plutôt que rejeter en bloc : chacun peut et devrait toucher du doigt ces nouvelles technologies et s'en approprier les mécanismes, les forces comme les limites.

Les entreprises, quant à elles, peuvent élaborer des indicateurs pertinents pour suivre leur empreinte numérique. Nombre d'ordinateurs, de serveurs, consommation électrique, plutôt que le nombre de courriels ou la quantité de vidéos, etc. Cela sera plus utile que les initiatives de nettoyage de boites de courriel.

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