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Le New York Times abandonne les caricatures : nous nous en passerons, il y a en a bien assez sans caricaturistes
©ANGELA WEISS / AFP

Moraline

La décision du New York Times de ne plus publier de caricatures suscite des critiques désolées qui y voient une défaite de plus pour la liberté d’expression.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Après la fatwa contre Salman Rushdie, celle (suivie de tentative d’assassinat) contre un caricaturiste suédois, celle contre Ali Dilem en Algérie et tant  d’autres journalistes arabes, le massacre en plein Paris de toute la rédaction de Charlie Hebdo par des mahométans salafistes, après les innombrables poursuites entamées par des associations auto-investies « contre l’islamophobie » (le fameux CCIF), cette décision du NYT semble un recul par couardise : les ennemis de la liberté d’expression ont gagné !

Effectivement ils ont gagné – et ils ont gagné depuis pas mal de temps quant on voit la modération ridicule de la plupart des caricatures dans la plupart des journaux aujourd’hui.

Sans qu’il soit besoin d’égorger quiconque, le conformisme du politiquement, moralement, socialement et religieusement correct a rendu quasiment insipides toutes les caricatures. Il est courant de dire qu’aujourd’hui Desproges serait interdit de radio, mais il en va de même pour Plantu quand on compare ses dessins actuels avec ses virulences d’il y a vingt ans. Quant à Chaval, il ne pourrait plus ni dire que les oiseaux sont des cons, ni jucher un aveugle sur un paralytique pour trouver le bon chemin dans la vie

Il y a donc dans la reculade du NYT non seulement les effets de la menace terroriste mais tout autant ceux du nouvel opium du peuple, la moraline. Parlant récemment de Trump avec sa mèche en forme d’étron blond enroulé sur sa calvitie, je fus accusé de manque de respect par de belles âmes de gauche comme de droite : on ne doit jamais s’en prendre à l’homme.

Si donc on ne peut parler ni de Dieu, ni des homosexuels, ni des trans, ni des people oxygénés, ni de l’hyper-callipygie de Kim Kardashian, ni de la bedaine de Hollande ni de Macron avec ses rappeurs aussi douteux que lubriques, autant fermer la boutique.

Sera-ce si mal ?

Je n’en suis pas certain. Plusieurs raisons différentes vont dans ce sens.

- La caricature a toujours été une arme. La caricature en son âge d’or, le XIXème siècle, fut essentiellement politique et participait au combat politique au sein des journaux (les médias de l’époque), avec déjà cette idée que l’image en dit plus long que le texte. Il n’y a donc pas de « caricature » élégante et apaisée, sinon après-coup quand aujourd’hui nous regardons en connaisseurs des expositions de Daumier ou de Valloton : sur le moment, la caricature agresse. Dès lors qu’on ne peut plus agresser personne dans un combat politique et sociétal ritualisé et encadré, autant utiliser d’autres armes. Le salafiste ne fait pas des caricatures anti-Charlie : il égorge.

- Pour qu’il y ait caricature, il faut non seulement l’habileté d’un caricaturiste mais aussi des camps nettement opposés. Il ne peut pas y avoir de caricature nuancée qui respecterait les subtilités de démarcations entre opinions ou la complexité des personnes : un Le Pen cultivé, un Mélenchon respectueux d’autrui, un Sarkozy serein, un Balkany honnête sont in-montrables. Idem pour Khomeini, Mahomet et Dieu.

- Dans un monde coincé comme est le notre aujourd’hui entre l’auto-caricature des personnes (pour exister dans les médias) et la caricature des fake news et complots, il n’y a tout simplement plus place pour la caricature « à l’ancienne » : ou bien l’individu se caricature lui-même et jubile quand il est enfin coopté parmi les Guignols, les Grandes Gueules ou les Grosses Têtes, ou bien on dénonce mensonges et fausses imputations par des désinformateurs. Soit Plantu ne peut rien faire d’un objet déjà caricatural, soit c’est un affreux agent de Poutine. La plus belle illustration de cette situation est Trump : il est sa propre caricature et on n’a aucun mal à l’imaginer en train de se faire une séquence uro-porno dans la chambre moscovite où dormit Obama. Quelle place reste-t-il au caricaturiste ?

- En fait la caricature ne pourrait survivre aujourd’hui, comme elle le fit d’ailleurs vite au XIXème siècle, que dans des publications anarchistes, tirant sur tout ce qui bouge, impitoyables, équitablement nihilistes envers tout ce qui est vénérable et respectable. Le Canard enchaîné sous une version anar-bourgeoise et Charlie-Hebdo sous une version anar-anar seraient de bons exemples. Ces sortes de publication doivent, elles, être défendues au nom d’une liberté d’expression intangible, en recourant à des sanctions dissuasives et même disproportionnée envers ceux qui s’attaqueraient à elles. Quand je dis des sanctions disproportionnées, j’ai en tête...le même type de sanctions  que celles utilisées par les salafistes contre leurs ennemis. Après tout, ils s’y connaissent en disproportion et il faut savoir suivre les bons exemples.

- Dernier point, les « grands journaux », pour autant qu’il en reste quelques uns, ont aujourd’hui, c’est-à-dire dans la situation politique et communicationnelle actuelle, une mission et une seule : être des journaux d’information sérieux, établissant le mieux possible les faits (tous les faits) et permettant prise de recul et réflexion. Je me moque totalement de ce que Le Monde ou le Figaro pense de la personnalité de Macron  ou de la vie privée de Castaner. Il me semble, qui plus est, malhonnête que ces journaux nous présentent des caricatures de nos politiciens mais jamais de dessins à charge de BHL, Dassault ou Niel, leurs commanditaires et/ou actionnaires.

Cessons donc l’hypocrisie de caricatures qui n’en sont plus.

En revanche, soyons impitoyables, je dis bien impitoyables, envers toutes les atteintes à la liberté d’expression, et commençons par revenir sur les droits exorbitants qui ont été concédés au nom de la bien-pensance et de la politique du chien crevé chiraquien au fil de l’eau aux associations communautaristes qui sont des nids de fanatiques, d’intolérants et d’anti-républicains.

La seule chose à redire est, avec Locke, qu’il ne peut pas y avoir de tolérance envers les ennemis de la tolérance.

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