Le muguet du 1er mai fait la fortune des Nantais, agace les écologistes, énerve les historiens et fait l’unité des mouvements syndicaux<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Le muguet du 1er mai fait la fortune des Nantais, agace les écologistes, énerve les historiens et fait l’unité des mouvements syndicaux
©Serge Melki / CC

Atlantico Business

Le muguet du 1er mai, cette fleur du printemps qui fait la fortune des maraîchers nantais, bénéficie d’une niche fiscale très particulière. Sa symbolique très forte rassemble aussi beaucoup de contradictions politiques, culturelles et historiques.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

Le muguet mériterait des thèses de doctorat pour essayer d’expliquer son succèsquasi universel et international. Parce que le muguet, qui étaità l’origine une fleur sauvage assez banale qui poussait dans des zones ombragées au climat doux et humide, a donné naissance au fil des temps à une industrie très florissante, un commerce très particulier qui bénéficie d’une franchise fiscale et qui participe beaucoup à sa popularité, mais dont le marketing s’est forgé en tricotant des symboliques assez contradictoires. Etonnant, le chemin parcouru par cette petite clochette aux vertus multiples. 

Sa première vertu aujourd’hui, c’est de faire la fortune d’une vingtaine de maraichers nantais. Parce que du muguet, il va encore s’en vendre cette année plus de 80 millions de brins,auxquels il faudrait ajouter les fleurs sauvages ramassées dans les bois et vendues dans la rue. Au total,ce marchéreprésenteplus de 100 millions d’euros. Le brin de 10 ou 12 clochettes va se vendre aujourd’hui entre 1,5 euros et 10 euros. 85% de cette production est réalisée dans la régionde Nantes. Le reste vient principalement de Bordeaux. Alors cette industrie est trèsorganisée, avec des ventes évidemmentsaisonnières puisque l’essentiel se réalise dans la premièresemaine de mai. Il faut donc que toute la chaine de production soit fin prête pour le début officiel du gros des ventes. On va commencer àramasser, trier, préparer le muguet à partir du 15 avril, pour l’expédierprincipalementà Rungis puis sur les marchés des grandes métropoles où les fleuristes détaillants vont les offrir.

Alors, quand on détaille cette mécanique, on se retrouve très loin du romantisme de la fleur, ce que les écologistes un peu radicaux ne manquent pas de dénoncer. Pour eux, le muguet que l’on achète le 1er mai est devenu une fleur quasiment artificielle, élevée auxproduits chimiques tout comme l’odeur qui serait elle aussi un produit de synthèseajouté au dernier moment. C’est sans doute exagéré, mais pour que les agriculteurs nantais réussissentà livrer leurs fleurs au bon moment, on imagine bien qu’ils ont appris à les chauffer ou les refroidir selon le climat et les facéties de la nature. Les retardateurs de croissance ou les accélérateurs,çaexiste.On est encore loin d’avoir du muguet Bio.

La deuxième vertu, c’est qu’une partie du muguet consommé le 1er mai bénéficie d’une niche fiscale, mais comme elle est très petite et bien gardée, on n’y touchera pas. Le muguet peut être vendu sans impôt, ni taxe, ni charge, ni déclaration par tout un chacun, dans la rue... Vous ? Moi ? A condition d’être à plus de 50 mètres d’un commerce officiel et légal,c’est à dire un fleuriste. D’où vient ce muguet ? Il doit être normalement sauvage,ramassé dans la nature ou alors cultivé dans un jardin familial.C’est un peu théorique tout cela.Beaucoup de muguet vendu à la sauvette provient de Rungis, beaucoup de muguet était jadis vendu par les militants du parti communiste avec l‘Humanité... Ajoutons à cela que certains fleuristes un peu agacés par cette concurrence qu’ils trouvent déloyale peuvent aller vendre du muguet à la sauvette sur le trottoir d’en face de leur magasin, ou alors approvisionner quelques jeunes qui veulent se faire de l’argent.Les ventes à la sauvette sont difficiles à mesurer, et pour cause, mais elles représenteraient chaque année quelques 10 millions d’euros (10% de l'ensemble).

Compte tenu des dérives possibles, le ministère de l’Intérieur rappelle chaque année la règlementation de cette liberté, « seul le muguet sauvage cueilli dans les bois, sans emballage et non accompagné d’autres fleurs peut être vendu en petite quantité (uniquement au brin) ». Avec interdiction de s’installer à proximité d’un fleuriste et d’utiliser une table ou des tréteaux.Ajoutons que la municipalité peut elle aussi poser ses propres règles.

La troisième vertu du muguet est que c’est un livre d’histoires très diverses et controversées. La tradition d’offrir du muguet au 1er mai remonterait au XVIème siècle et viendrait de Catherine de Médicis qui aurait soufflé à son fils, le roi Charles IX, l’idée d ‘offrir ce jour-là quelques brins de muguet aux femmes de la cour qui avaient tendance à se plaindre que le roi ne les regardait guère. La tradition a perduré mais pour d’autres raisons encore plus curieuses. La tradition de vendre et d’acheter du muguet dans la rue le 1er mai date officiellement de 1941. C’est le maréchal Pétain qui a pris cette décision en même temps qu ‘il donnait son accord à l’instauration d’un jour férié, fête du travail et de la concorde sociale. En vrai, le régime de Vichy a créé « la fête du vrai travail. »  Eta décidé dans le même temps d’imposer comme symbole le muguet pour remplacer l’églantine jugée trop prolétarienne, trop "rouge", trop révolutionnaire. Pour justifier le muguet, les gens de Vichy ont expliqué que c’était pour fêter la Saint Philippe, sauf que la Saint Philippe a toujours été le 3 mai en même temps que la Saint Jacques...Une cohabitation quePétainn’a jamais très bien goutée. Alors, ne pouvant pas changer le calendrier chrétien, Vichy a voulu fêter Pétain le 1e mai... Le Maréchal ne pouvait pas être contre, d’autant qu’il s’agissait pour lui de torpiller la fête emblematique du mouvement ouvrier.

Cela dit, l’histoire s’est vengéepuisque le parti communiste a compris très vite qu’en faisant vendre le muguet par les militants, il avait là un gisement de recettes. 

Sauf qu’aujourd'hui, l’évolution du PC étant ce qu‘elle a été, les ressources financières liées aux ventes de muguet se sont évaporées avec les adhérents. 

Ajoutons à cela que le muguet a quand même assez peu de succès chez les jeunes.

La quatrième vertu du muguet est thérapeutique. Mais cette version donne lieu à des débats épiques entre spécialistes. Le muguet fait partie des plantes qui peuvent être médicinales mais qui sont contestées. Certains écolos considèrent le muguet industriel est tellement chimique qu’il serait toxique, les adeptes des médecines naturelles ont toujours admis que le muguet qui est considéré comme porte bonheur pouvait aussi apporter la santé. 
Il contient des molécules actives, parfois utilisées en médecine comme tonicardiaques et diurétiques, notamment dans ses clochettes et ses baies rouges. On l’a parfois considéré comme du viagra. 

Mais attention, cette vertu est contestée par une partie du corps médical qui sait aussi que le muguet peut être un poison violent. Et pour cause, puisqu’il accélère l’activité cardiaque. La meilleure preuve, c’est qu’autrefois (à l’époque de Catherine de Médicis, peut-être), on utilisait les fameuses baies rouges du muguet pour préparer les « bouillons de onze heures ».  Rien à voir avec une tisane aphrodisiaque qu’on aurait pris le soir avant de se coucher, non, il s’agissait plutôt d’écarter les femmes de la cour un peu dérangeantes ou les personnes très âgées dont on ne pouvait plus s’occuper.Question de dosage sans doute !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !