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Des participants s'affrontent dans le cadre du premier championnat du monde de joutes à la foire médiévale de St-Ives à Sydney le 23 septembre 2017.
Des participants s'affrontent dans le cadre du premier championnat du monde de joutes à la foire médiévale de St-Ives à Sydney le 23 septembre 2017.
©SAEED KHAN / AFP

"Montjoie, Saint-Denis"

De l’univers des jeux vidéo à l’agresseur du président de la République en passant par la littérature grand public, le monde médiéval fascine. Est-ce grave docteur ?

Jacques Charles-Gaffiot

Jacques Charles-Gaffiot

Jacques Charles-Gaffiot est l'auteur de Trônes en majesté, l’Autorité et son symbole (Édition du Cerf), et commissaire de l'exposition Trésors du Saint-Sépulcre. Présents des cours royales européennes qui fut présentée au château de Versailles jusqu’au 14 juillet 2013.

 

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Atlantico : Que ce soit dans l’actualité récente (le slogan « Montjoie, Saint-Denis » crié par l’agresseur d’Emmanuel Macron), dans la rhétorique politique (le président faisant lui-même référence au Moyen Âge dans un entretien à Zadig), dans les jeux vidéo (le jeu Going Medieval cartonne) ou dans la littérature d'heroic fantasy (on pense à The Witcher), le Moyen Âge envahit nos imaginaires. Comment expliquer la popularité actuelle de cette période ? Pourquoi fascine-t-elle plus que la Renaissance ou les Lumières par exemple ?

Jacques Charles-Gaffiot : D’une manière fort inattendue la Montjoie de Saint-Denis aura été la croix de sauveté sous les bras de laquelle Jean-Luc Mélanchon a pu « miraculeusement » s’abandonner !

Le président de la France insoumise, une fois de plus et avec maestria, a su faire non seulement oublier son dernier faux-pas médiatique mais plus encore, à la faveur des médias, passer pour la sempiternelle victime de l’extrême-droite, de LR, de LREM, du PS, du PC et peut-être même aussi du grand méchant loup !

Depuis deux jours, les commentaires les plus farfelus monopolisent les antennes révélant l’existence d’un complot royaliste étendant ses plus sombres ramifications sur l’ensemble des réseaux sociaux avec la complicité de Cnews, de la fachosphère, voire de la fée Clochette !

Restons sérieux un instant. Considérons davantage que le cri lancé par l’auteur de la gifle donnée à Emmanuel Macron avait davantage en mémoire la geste burlesque de Godefroy de Montmirail (alias Jean Reno) dans les Visiteurs I avec sa devise Montjoie, Saint-Denis que je trépasse si je faiblis, qu’une véritable référence topographique aux innombrables Montjoies de l’époque médiévale, offrant aux pèlerins de tout poil, au terme de leur interminable épopée, la vue de leur destination tant désirée.

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Mais tel est le propre des médias : en commentant une action inacceptable, monter en épingle un détail, demain oublié, mais faisant bruisser tout le Landerneau politique !

Depuis le début des années 80, un courant de contre-culture -le mouvement « gothique »-  a contribué à déterrer en Angleterre le Moyen Âge de la fosse dans laquelle il était englouti. En s’inspirant à la fois de la musique punk, du cinéma fantastique américain, des récits utopiques allemands, se parant d’ailes de chauve-souris (déjà !) ou de plumes de corbeaux, les « gothiques » s’employaient à célébrer la noirceur d’une jeunesse désireuse de se désagréger en s’engouffrant dans les abysses hérités de mai 68.

Ainsi dans le grand public, a refait surface une série de poncifs, admis d’autant plus facilement comme des certitudes dogmatiques que l’inculture historique s’est propagée dans toute la société. Il convenait de dénoncer la barbarie du Moyen Âge, sa société misogyne due à l’influence de l’Eglise, l’âge des superstitions, du savoir confisqué par la prêtraille avide et cruelle, des crimes des croisades, ceux de l’Inquisition, des temps de famines, de la peste noire et de tant d’autres calamités.

Jeanne Bourdin, Pierre Chaunu et tant d’autres historiens auront cherché à montrer à cette jeune génération combien ces affirmations étaient sans fondement, mais à quoi bon écouter ces vieux radoteurs, lire leurs ouvrages ? Rien n’y a fait. Le Moyen Âge est l’époque des temps barbares dans lesquels une jeunesse en mal d’identité aime à se repaître pour mieux détruire l’âge dans laquelle elle se meut !

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De quoi la gifle donnée à Emmanuel Macron est-elle vraiment le nom ? 

De tels poncifs semblent avoir eu l’heur de plaire aussi à Emmanuel Macron. Dans un entretien donné à Zadig, le chef de l’Etat déclare sans « faiblir » (lui aussi): Je relierais la période que nous vivons à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance.

Bel exemple de méconnaissance d’un XIIe siècle tellement lumineux, parvenant à hisser la pensée occidentale à un mode de réflexion ternaire en abandonnant dans les marécages de l’intelligence le dualisme, hérité du manichéisme diffusé depuis la Perse et la péninsule arabique à partir du IIIe siècle. Le chef de l’Etat ignore sans doute aussi qu’il aura fallu attendre la richesse des considérations spéculatives des scolastiques et des observations de l’université de Paris afin que l’affirmation d’un professeur de rhétorique enseignant à Carthage vers 380 et affirmant que toutes les choses qui se corrompent sont bonnes puissent aboutir à une métamorphose de la société française entière, alors fracturée entre minores et potentes (les faibles et les puissants), pour permettre l’émergence en son sein d’un troisième pôle (le pouvoir royal), véritable arbitre, apportant dans son sillage une meilleure administration de la justice et l’organisation encore embryonnaire de l’Etat moderne. La France des Capétiens s’est ainsi entrée dans un courant civilisationnel qui devait être couronné deux siècles plus tard par les vers d’un homme de la Renaissance : France, mère des Arts, des Armes et desLois !

Cette période, souvent vue par les non-initiés comme rétrograde, n’est-elle pas fantasmée voire diabolisée ?

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Plus que cela, défigurée, elle est jetée aux orties. De nos jours, nous avons même la prétention de penser qu’étant entrés dans les commencements de la Renaissance (pour paraphraser Emmanuel Macron), nous sommes enfin parvenus au seuil de l’empyrée, où Jupiter préside sereinement aux destinées du monde !

Quelle illusion ! Quel mensonge !

Non, les temps barbares ne sont plus seulement devant nous, comme on pouvait le craindre voici trente ou quarante ans, mais ils sont bel et bien arrivés.

Avec eux, ils ont apporté leur cohorte de maux, dont le plus néfaste est sans conteste, le retour en fanfare de la pensée dualiste qui, parmi quantité d’exemples, s’exprime magistralement dans les médias. Pas une interview dans laquelle il ne faille répondre par l’affirmative ou par la négative sans pouvoir apporter la moindre nuance et sans se faire conspuer. Et que dire de l’apparition des mouvements indigénistes, décoloniaux,  spécistes, végan, féministes, woke, etc. clouant au pilori, de façon bien plus définitive que sous Saint Louis, tous ceux qui auraient osé tenter d’apporter la moindre nuance à la doxa officielle !

Qu’est-ce qui, dans notre époque, pourrait effectivement faire penser au Moyen Âge ?

…à un Moyen-Âge déformé voulez-vous dire, car le XIIIe siècle, appelé parfois le Siècle de fer,apparaît par bien des côtés plus policé qu’aujourd’hui. Malgré des temps difficiles marqués par les épidémies, parfois la famine et surtout une précarité de la vie à laquelle la Faucheuse peut venir mettre fin si rapidement, la cohésion sociale traverse tous les échelons de la population ; chaque génération bénéficie des progrès acquis laborieusement ; l’homme reste au centre de la sphère économique.

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Autant de réalités mises à mal dans la société contemporaine qui vise davantage à l’hédonisme, au consumérisme faisant du « moi » le centre des univers individuels.

Les philosophes des Lumières et plus particulièrement Rousseau avec sa théorie néfaste du Bon Sauvage, suivis par les apologistes de la Terreur ont cru se libérer en s’affranchissant de toute référence spirituelle allant jusqu’à proclamer la mort de Dieu. En réfutant toute dimension verticale à l’être humain, ils ont façonné un immense précipice. Démiurges et maîtres des horloges les gouvernants imposent désormais, sans véritable consultation de leurs électeurs, leurs réformes bioéthiques, démographiques ; autant de mesures prises à l’encontre de la sagesse des peuples pour satisfaire les doléances, les revendications de minorités bruyantes usant sans vergogne de la violence la plus démonstrative.

Voici trente ans, en évoquant les barons du RPR, les commentateurs faisaient référence à leur fief respectif. De nos jours, les fiefs ont depuis longtemps disparu au profit des territoires perdus de la République. Le Siècle de fer avait ses reîtres, ses brigands de grand chemin, ses fêlons etc. Mais lentement, le pouvoir monarchique parvenait à solidifier autour de lui l’Etat naissant protégeant la veuve et l’orphelin. Rien de comparable avec l’ensauvagement de notre société qui chaque année se délite un peu plus.

Je voudrais pour finir évoquer les croisades qui suscitent tant de commentaires anachroniques.

Ce thème est emblématique de la confusion idéologique régnant à présent.

Une réflexion très simple s’impose : les croisés ne sont jamais partis conquérir La Mecque ! Ils allaient à Jérusalem et créèrent un royaume latin pour protéger une ville, dont l’entrée leur avait été interdite et qu’ils avaient aperçue de la Montjoie aménagée sur la route arrivant de Jaffa.

Que nous sommes loin des élucubrations empoisonnées de commentateurs prêts à mettre à sac la ville de Rome et ses basiliques !

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