Le monde des affaires beaucoup moins en colère que le monde politique par l’affaire des sous-marins australiens<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et le Premier ministre australien Malcolm Turnbull sur le pont du HMAS Waller, un sous-marin de classe Collins exploité par la Marine royale australienne, à Sydney le 2 mai 2018.
Emmanuel Macron et le Premier ministre australien Malcolm Turnbull sur le pont du HMAS Waller, un sous-marin de classe Collins exploité par la Marine royale australienne, à Sydney le 2 mai 2018.
©LUDOVIC MARIN / PISCINE / AFP

Atlantico Business

La rupture du contrat de commande de sous-marins signé avec la France n’a pas mis le monde des affaires français réellement en colère. Le monde des affaires est capable de voir là la réalité géopolitique inéluctable que la classe politique ne veut pas voir.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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« Tous les contrats internationaux sont fait pour être discutés, modifiés, contestés ou annulés, alors dans cette affaire de commande australienne brutalement rompue au profit d’un accord avec la Grande Bretagne et les États-Unis, rien ne peut me surprendre ». Le cynisme d’un des plus grands avocats internationaux, français de surcroit, est un peu brutal mais il a, au moins, le mérite de remettre les pendules à l’heure.

« Rien ne me choque, ce qui me surprend c’est que les négociateurs soient eux-mêmes surpris. Si, comme ils le prétendent, ils n’ont pas été prévenus alors oui, c’est choquant sur le plan politique et international, surtout venant de nos alliés et amis ».

L’ensemble du monde des affaires français habitué aux grands contrats internationaux ne semble ni choqué, ni humilié. Cette affaire rappelle aux responsables politiques la réalité crue du poids politique de la France dans la géopolitique d’aujourd’hui.

Oubliée la fierté politique, cette affaire marque au fer rouge que la France est un tout petit pays dans un monde dominé par deux super puissances qui se disputent une hégémonie internationale. Les États-Unis, à l’Ouest et la Chine à l’Est. Entre ces deux poids lourds, impossible d’exister. Les jeux sont faits et les pions se sont mis en place après la deuxième guerre mondiale, et surtout, après la chute du bloc communiste qui a simplifié leurs rapports de force en les réduisant à la concurrence entre deux modèles d’organisation politique pour un même système d’économie de marché.

Les jeux sont faits depuis plus de dix ans. La Chine cherche à tout prix à étendre son influence dans la zone indopacifique depuis l’officialisation de nouvelles routes de la soie, avec en plus, la volonté à peine dissimulée de s’approprier Hong-Kong, puis demain Taipei ou Singapour. L’Australie avait loué son port de Darwin aux Chinois jusqu'à l’année dernière, mais ils ont décidé de ne pas renouveler le bail et de ne pas donner à Pékin une base trop proche de ses terres. L'Australie a donc décidé de se réarmer et du même coup, elle a négocié un rapprochement avec les Américains et les Anglais. Lesquels cherchent depuis le Brexit des nouveaux alliés. Pour Boris Johnson, l’occasion était trop belle de réaffirmer sa stratégie d’hégémonie planétaire. Quant aux Américains, leur intérêt pour se protéger des Chinois était depuis de longues années de renforcer leur potentiel militaire. D’où la décision de signer cette nouvelle alliance dans la perspective d’un affrontement qui paraît inéluctable avec la Chine.

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L’Aukus, c’est donc le nouveau nom de cette nouvelle alliance. Aukus, comme Australie, Royaume-Uni et États-Unis. Cette alliance doit soutenir les intérêts des trois alliés en renforçant le potentiel de sécurité et de défense. D’où l'idée de construire ensemble une industrie de la défense plus intégrée. Avec des ports mieux aménagés en Australie et des armements plus sophistiqués et plus lourds.

La France, dans tout cela, n’aurait donc rien vu venir. D’où la colère officielle et le profond désarroi, en apprenant cette rupture de contrat. Pour le ministre des affaires étrangères, le coup est très dur, il aurait pu être prévenu, ce qui, en passant, n’aurait rien changé sauf peut-être, à trouver une solution pour ne pas perdre la face, parce que la France se retrouve éjectée de la scène Pacifique.

L’Europe, qui aurait pu réagir immédiatement, a attendu 3 jours pour déplorer ce camouflet et se regrouper derrière Paris. Bruxelles aurait pu être plus rapide.

Emmanuel Macron a dû rappeler ses ambassadeurs, ce qui ne changera pas grand-chose. Joe Biden s’est fendu d’un mot d’excuse en murmurant que la France restait un de ses fidèles alliés, mais le président américain ne semble pas pressé de trouver une alternative. Et pour cause, cette situation, qui provoque un sentiment de trahison, pourrait entrainer une recomposition politique, mais rien n’est moins sûr.

Certains observateurs voient dans cette affaire de contrat, la confirmation d’un découplage entre les Etats-Unis et l’Europe. Sans doute, mais so what ? comme disent les hommes d’affaires. La réalité est que l’Europe devrait se réveiller sur le front de la défense commune, mais elle n’ira pas jusque là.

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Reste à dresser l’état de la situation économique et les effets de cette rupture de contrat. A priori, le marché de 11 sous-marins représentait plus de 34 milliards d’euros. Mais les retombées sur l’industrie française représentaient moins de 8 milliards d’euros. Les régions de Cherbourg et de Brest, qui sont les bases navales spécialisées dans les sous-marins, vont perdre 7 à 8 milliards d’activité. A échelle des régions, c’est sévère, mais à l’échelle du pays ça restera marginal. L’alternative serait de trouver des nouveaux marchés, de nouvelles technologies. La France en a les moyens. Au niveau européen, ça pourrait être l’occasion de renforcer son indépendance et la force de sa défense. Mais les pays européens en ont-ils l’ambition politique ? Peu probable. A moins qu’Emmanuel Macron fasse des miracles quand il sera président des 27. Là encore, peu probable.

La seule consolation restera le cynisme des avocats internationaux qui savent, eux-mêmes, que les ruptures de contrat amènent toujours des dédommagements. Et à contrat historique, indemnités historiques. Les avocats très chers sont déjà au travail.

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