Le grand toboggan : quel avenir concret pour la France avec des résultats scolaires en chute continue ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une classe d'école, photo d'illustration AFP
Une classe d'école, photo d'illustration AFP
©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Attention à la chute

La France est confrontée, depuis des années déjà, à la baisse du niveau des résultats scolaires de ses élèves. Ce n’est pas un sujet anodin, en cela qu’il impacte tout ou partie des capacités du pays. Analyse.

Baptiste Larseneur

Baptiste Larseneur

Baptiste Larseneur est expert résident à l'Institut Montaigne sur les questions d'éducation et responsable de projets liés au développement du capital humain et au développement économique des territoires.

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Joël Hellier

Joël Hellier

Joël Hellier est économiste et enseigne à l'Université de Nantes et de Lille 1. Ses travaux portent sur la macroéconomie des inégalités, l'économie de la mondialisation, l'éducation et la mobilité intergénérationnelle et l'économie du travail.
 

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Atlantico : Quelles conséquences la baisse du niveau peut-elle avoir sur le pays et son avenir ? Quel peut être l’avenir concret pour la France avec des résultats scolaires en chute continue ?

Baptiste Larseneur : Il y a trois indicateurs particulièrement intéressants à regarder pour apprécier l’état de notre système éducatif.

  1. La part d’élèves très performants, car l’importance quantitative de l’élite facilite la recherche de croissance économique et la pérennisation d’un secteur public de haut niveau. Aujourd’hui les évaluations internationales Pisa montrent que la part des élèves très performants oscille entre 6 et 11 %, selon que l’on vise les sciences, les mathématiques ou la compréhension de l’écrit, contre, entre 11 % et 21 % pour les systèmes éducatifs les plus performants (Canada, Finlande, Corée du Sud). C’est donc environ 10 points d’écart qui nous sépare des systèmes les plus performants. Par ailleurs, nous constatons, en dynamique, que la part de notre élite a diminué ces dernières années. Le risque est que la France n’ait plus une élite suffisante pour préparer sa croissance future.

  2. Ensuite, une trop grande part d’élèves peu performants (environ 21 % en France contre environ 13 % pour les systèmes éducatifs les plus performants) compromet la pérennisation de notre modèle social. Ces élèves seront davantage exposés au chômage : le niveau de chômage est corrélé au taux de diplomation.

  3. Enfin, un troisième indicateur est la part de la performance scolaire expliquée par l’origine socio-économique. Aujourd’hui, la performance en mathématiques et en sciences est expliquée, pour 20 points, par l’origine socio-économique, contre 10 points environ pour les systèmes les plus performants. Le risque avec un tel niveau d’inégalité scolaire est que notre modèle éducatif soit contesté, davantage encore qu’il ne l’est aujourd’hui, dès lors qu’il ne permet plus de garantir l’égalité des chances. Le pacte social qui préside aux fondements de notre République et qui nous permet de faire nation, est alors désavoué et les contestations, diverses, se multiplient.

Joël Hellier : La baisse du niveau moyen depuis plusieurs années est incontestable. Il faudrait néanmoins  analyser avec précision le contenu des tests permettant de diagnostiquer cette baisse. Je me limiterai à ce que je connais, à savoir les enquêtes PIRLS (fin des études primaires) de l’IEA, PISA (à 15 ans) et PIAAC (qui donne les aptitudes en lecture et calcul à 20-25 ans, soit à la sortie du système scolaire) réalisées par l’OCDE. Ces enquêtes concernent de nombreux pays, en particulier tous les pays avancés, et permettent un classement international des performances éducatives. Elles montrent que la position française comparativement aux autres pays s’est fortement dégradée depuis le début des années 2000, même s’il y a une stabilisation à un niveau très bas – avant-dernier – pour les performances à la sortie du primaire et bas – sous la moyenne – à l’âge de 15 ans. Ce qui caractérise plus particulièrement la France c’est le niveau extrêmement faible (très souvent dernière parmi les pays avancés) de ceux qui se trouvent au bas de l’échelle éducative (les 10, 20 ou même 50% du bas), alors que la position française reste au-dessus  de la moyenne des pays pour les meilleurs. Il y a donc d’énormes écarts éducatifs. De plus, la moyenne des aptitudes à 20-25 ans a continument diminuée en France depuis le début des années 2000. 

Il est clair que ces évolution pèsent et continueront de peser sur les performances économiques de la France, et ce de plusieurs façons. Premièrement, les inégalités crées par le système éducatif entrainent ensuite de forte dépenses publiques de redistribution pour en limiter les effets sur les revenus, alors que ces dépenses seraient plus efficaces si elles étaient destinées à l’éducation, à la recherche ou aux infrastructures. Deuxièmement, une faible qualification se traduit habituellement par une faible productivité. Troisièmement, les secteurs de pointe et ceux qui sont porteurs de croissance demandent beaucoup de main d’œuvre qualifiée. Enfin, si les plus qualifiés ne trouvent pas en France les secteurs et opportunités qui leur permettent d’utiliser leurs aptitudes, ils s’expatrient vers des économies plus innovantes et les dépenses française d’éducation hautement qualifiante iront nourrir la croissance des autres pays. 

Je voudrais néanmoins souligner que les besoins en qualification dépendront en grande partie des incidences de la robotisation, de l’intelligence artificielle (IA) et de la forme que prendra la globalisation dans les années à venir. Ce qui me semble certain, c’est que les qualifications ‘routinière’, qui demandent un savoir technique bien cadré, seront de plus en plus remplacées par des machines. Ce qui restera, au moins à court et moyen termes, c’est le travail d’interprétation, de création, d’expertise non routinière.

Quels exemples de pays peuvent nous éclairer sur ce qui nous atteint ?

Baptiste Larseneur : Il ne faut pas céder à une forme de fatalisme. Lorsque des réformes structurantes sont conduites, tout système scolaire peut progresser rapidement, quel que soit le niveau initial des élèves et indépendamment du contexte géographique ou culturel. Certains pays ont connu une amélioration notable de leurs performances ces dernières années :

  • L’Allemagne est ainsi passée d’un niveau que nous pourrions qualifier de bon à un niveau très bon après le choc Pisa de 2000.

  • La Pologne est passée d’un niveau correct à un niveau bon, voire très bon.

  • La Corée du Sud est passée d’un bon niveau à un très bon niveau.

En une décennie il est possible « de redresser la barre ».

En ce sens, nous ne devons pas minimiser les résultats obtenus par la France aux dernières évaluations PIRLS. Après quinze années de baisse continue de notre performance éducative, l’étude internationale PIRLS 2021 - qui mesure les performances en compréhension de l’écrit des élèves scolarisés en CM1 − montre que la France enregistre une légère progression, là où la grande majorité des pays évalués affichent une baisse statistiquement significative. Ces résultats se traduiront vraisemblablement positivement dans les résultats PISA 2028.

Si évidemment, ces résultats ne sont pas suffisants, pour autant, ils démontrent que le volontarisme politique – maintien des écoles ouvertes -  et l’action résolue et consensuelle conduite en faveur de l’amélioration de l’école primaire et de l’apprentissage des fondamentaux produit des résultats.

Joël Hellier : Un pays comme la France, qui a fait sa révolution industrielle dans la première moitié du XIXème siècle, ne peut être comparé à Singapour ou à la Corée, même sur le plan éducatif. Nous avons eu à gérer l’abandon de près de 90% de notre appareil industriel (textile, habillement, mines, sidérurgie, métallurgie, équipements ménagers etc.) et des qualifications afférentes. En fait, l’éducation a une double mission. D’une part, elle doit former des citoyens éclairés. D’autre part, elle doit former des personnes employables. Pour cette seconde mission, il faut que l’éducation soit en adéquation avec les caractéristiques du système productif. Un pays spécialisé dans la pharmacie ne forme pas le même type d’ingénieurs et de chercheurs qu’un pays spécialisé dans les composants électroniques. De ce point de vue, la France est à la fois trop grande pour cibler une nombre très restreint de spécialités, et trop petite pour tout faire. Il faut former, mais il faut faire des choix éducatifs en accord avec les choix productifs. 

Je voudrais enfin souligner que les défaillances du système éducatif ne sont pas seuls responsables de la la régression éducative. L’omniprésence des écrans et des réseaux sociaux n’y est certainement pas pour rien. La baisse dramatique de la lecture dans les nouvelles générations est un élément important de contre-performance (et de la forte diminution du QI en France). Lire un ouvrage n’a pas la même portée éducative que taper sur une tablette, et les connaissances fournies par Mr. Google n’ont pas la même portée analytique que celles d’un livre de réflexion. De ce point de vue, on pourrait s’inspirer des pays qui bannissent tout téléphone portable et même tout écran lorsque l’on est en salle de classe. 

Quels sont les liens entre la croissance économique et les résultats scolaires ?

Baptiste Larseneur : Avant de parler du lien entre la croissance économique et les résultats scolaires, aborder la question du coût de l’échec scolaire en France peut être éclairant.

En effet, les coûts sociaux afférents aux sorties sans qualification sont extrêmement élevés. Aujourd’hui, la France compte environ 77 000 jeunes (≈11% d’une génération) qui sortent du système éducatif sans aucune qualification ou avec le seul brevet des collèges. On estime que les coûts associés tout au long de la vie (minimas sociaux, tentatives de correction de l’illettrisme, allocations, chômage, délinquance, etc.) aux sorties sans qualification représenteraient entre 220 000 et 230 000 euros par décrocheur. Sur cette base nous pouvons estimer a minima, que le coût du décrochage scolaire est de l’ordre de 17Md€ par an. 

Ensuite, la faiblesse de la performance de notre système éducatif n’est pas sans effet sur notre croissance future. Selon les travaux réalisés en économie de l’éducation, un ordre de grandeur permet de considérer qu’un gain de 25 points aux tests PISA − c’est à peu de choses près l’écart qui nous sépare des pays les plus performants − correspondrait à 3 points de PIB supplémentaires, soit environ 60Mds€, par rapport à ce que l’on projette sans amélioration.

Joël Hellier : L’analyse économique souligne très clairement que l’innovation et la Recherche – Développement (R&D) sont les principaux moteurs de la croissance. Or, qui dit R&D dit main d’œuvre hautement qualifiée. La France n’est pas trop mal placée pour les hautes qualifications et elle dispose de bons chercheurs. Mais son effort de recherche (en % du PIB) reste faible comparé à de nombreux pays avancés. En conséquence, un part important des meilleurs chercheurs français font leurs recherches à l’étranger, aux Etats-Unis bien sûr, mais également en Allemagne, Suisse, dans les pays scandinaves etc. Ce n’est ni la recherche française, ni l’économie française qui en bénéficient. 

Quels seraient les avantages économiques que nous pourrions obtenir avec un accroissement du niveau de l’éducation ? Le taux de chômage baisse-t-il avec l’élévation du niveau de formation ? L’éducation peut-elle favoriser la croissance, l’économie et la production du pays ?

Joël Hellier : Une meilleure éducation devrait permettre de former des personnes à la fois adaptables (les technologies et secteurs changent rapidement) et créatives, ce que demandent les nouvelles technologies et qui n’est pas remplaçable par l’IA. Dans les quelques années à venir, sauf en cas de crise mondiale, le chômage devrait baisser et se maintenir à un niveau plutôt faible (autour de 5%) pour des raisons démographiques. A plus long terme, tout dépendra de la forme du progrès technique. Dans tous les cas, une éducation et une formation performantes sont la condition sine qua non d’un faible chômage (le taux de chômage des qualifiés est structurellement trois fois plus faible que celui des non-qualifiés).

>>> Retrouvez l'intégralité des notes et des études de la fondation Fondapol au sujet de l'Education nationale (Ecole : où concentrer nos efforts ? et Inégalités scolaires : agir à la racine) en suivant les deux liens hyper-textes.

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