Le grand gâchis : cette puissance économique à laquelle renonce la France en étant incapable de mener une politique adaptée à ses atouts démographiques<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Le grand gâchis : cette puissance économique à laquelle renonce la France en étant incapable de mener une politique adaptée à ses atouts démographiques
©Reuters

Jeunesse sacrifiée

Si la France reste le deuxième pays européen en termes de population totale, le pays est désormais la première puissance "jeune" du continent avec un nombre de moins de 20 ans largement supérieur à celui de l’Allemagne. Une configuration qui pourrait permettre à la France de devenir la première puissance européenne si ses dirigeants politiques regardaient les choses en face.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »

Tandis que le pays profite de l'Euro 2016 pour célébrer une "fête de l'idée européenne", selon les mots de François Hollande, les dernières statistiques démographiques publiées par Eurostat laissent entrevoir une modification majeure de ce qu'est devenu le continent européen. Bien que la population allemande continue de dominer en nombre ses partenaires de l'Union, la France fait aujourd'hui office de réservoir à jeunesse de l'ensemble. En 2015, la population française de moins de 20 ans a atteint plus de 16.3 millions de personnes, devant le Royaume Uni, qui en compte 15.3 millions, et loin devant l'Allemagne, qui n'en dénombre que 14.7 millions.

Population des moins de 20 ans. Par tranches d'âge. France, Allemagne, Royaume Uni

Désormais, le cœur vital européen se situe en France et au Royaume Uni, un phénomène nouveau qui s’est progressivement installé au cours des 20 dernières années, et qui est le résultat de l'écroulement du nombre de naissances en Allemagne dans le courant des années 2000.

Nombre de personnes par classe d'âge et par pays

Au-delà de la comparaison avec l’Allemagne, l’observation des résultats de l’ensemble de l’Union permet de comprendre que la France est l’intrus d’une classe européenne entrée dans une configuration de suicide démographique. Avec un chiffre de 1.99 enfant par femme (données INED 2013), la France devance largement ses voisins d’outre-rhin, avec 1.39 enfant par femme (soit un écart de 40% avec la France) et d’outre-manche, avec1.83 enfant par femme. Avec un nombre de décès supérieur à celui des naissances, l’Allemagne, ou encore l’Italie, voient leur solde naturel s’effondrer.

De son côté, et à elle seule, la France absorbe ces deux trous noirs démographiques que sont devenus l’Allemagne et l’Italie.

Solde naturel (nombre de naissances –moins nombre de décès). 2014. INSEE

Face à une telle situation, et en se projetant logiquement dans l'avenir, il serait alors possible de conclure que la France est en voie de devenir la première force européenne continentale en termes de population, et que le pays remplacera, par glissement, l'Allemagne dans le rôle de leader européen. 

Une analyse optimiste que conteste pourtant le démographe Emmanuel Todd, joint à l’occasion, et qui la qualifie de "fantasme "démographiste" "des gens qui ne voient pas la vie de l'histoire. L'Allemagne n'en finit pas d'avoir 80 millions d'habitants en menant une politique immigrationniste sans précédent". 

En effet, le recours récent (entre 2009 et 2014, les arrivées sur le territoire sont passées de 606 000 personnes à 1.342 million) et massif à l’immigration permet à l’Allemagne de compenser ses pertes en termes de naissance, et ainsi voir son accroissement total de population dépasser celui de la France. En prenant en considération les chiffres de 2014, c’est-à-dire avant la grande vague migratoire de l’année 2015, les chiffres étaient déjà significatifs. L'accroissement total de la population atteint alors 430 000 personnes, ce qui masque un accroissement naturel négatif de 153 500 personnes lui-même contrebalancé par un solde migratoire positif de 583 500 personnes, selon les données Eurostat diffusées par l'INSEE. 

Mouvements de Population. Taux pour 1000 habitants.

Pour Emmanuel Todd,  "L'Allemagne mène une politique d'immigration énergique et subtile, qui, dans une phase récente, est allée un peu trop loin". Pour le démographe, cette tendance aura pour effet de transformer l'Allemagne en une "société expérimentale" en quelques décennies, au même titre que "les États Unis ou l'Australie". 

A l’inverse, le cas de la France ressemble plus à un gigantesque gâchis. Confronté à une politique macroéconomique européenne inadaptée à son cas, le pays ne parvient pas à inclure sa jeunesse à son marché du travail. Depuis la création de l’euro, en 1999, la population active française a progressé de 9.88% selon les chiffres de la Banque mondiale, alors que la hausse n’a été que de 4.43% en Allemagne, soit un écart de plus de 5 points entre les deux pays. Dans le même temps, le nombre d’emplois a progressé de façon identique dans les deux pays, soit 8.99% en France entre 1999 et 2014 contre 9.53% en Allemagne (Données INSEE pour la France et Destatis pour l’Allemagne). Un simple calcul permet alors de comprendre que le différentiel de taux de chômage, entre les deux pays, n’est rien d’autre que la conséquence d’un phénomène démographique. 

Parce que l’Allemagne a pu préférer une politique macroéconomique de faible demande, convenant parfaitement à sa démographie, la France a été laminée par cette même politique. Le silence des dirigeants français quant à la politique menée par la Banque centrale européenne en est la principale cause. 

Ironie du sort, le France affiche un niveau de formation bien supérieur à ses grands partenaires européens. Quand 45.1% des Français âgés de 30 à 34 ans ont un diplôme de l’enseignement supérieur, seuls 32.3% des Allemands en ont un (ou 25.3% des Italiens). Le résultat est alors évident. Les jeunes français quittent le territoire pour aller trouver un emploi ailleurs. Ce que décrivait l’INSEE dès 2013 :

"Les départs vers l’étranger des personnes nées en France se sont amplifiés depuis 2006, alors que leurs retours, moins nombreux, ont peu varié sur la période. Leur solde migratoire est ainsi négatif et a doublé sur la période : il est estimé à – 120 000 personnes en 2013 contre – 60 000 en 2006."

Une problématique confirmée par une étude de l’IFOP pour Atlantico, menée en 2015 : 

"10% des personnes interrogées envisagent sérieusement de quitter la France pour s'installer au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou au Canada, ce qui représente plus de 4 millions de personne (…).Les Français qui étaient vus comme très sédentaires ont en réalité beaucoup évolué sur la problématique du départ."

Ainsi, selon Emmanuel Todd "La France produit des jeunes pour les détruire ou les exporter, par une politique d'oppression de la jeunesse". L’Allemagne exporte ses berlines quand la France exporte ses jeunes qualifiés, c’est-à-dire son capital humain, et ce, dans un silence politique total. Le pays serait bien inspiré de réclamer un changement de braquet de la politique macroéconomique européenne, ce qui devrait se traduire par l’instauration d’un mandat de plein emploi par la BCE. En attendant, le pays continuera misérablement de se tirer une balle dans le pied en sacrifiant ce qu’il a de plus précieux. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !