Le gouvernement envisage une nouvelle taxe locale pour financer le logement au mépris de toutes les causes réelles de la pénurie française<!-- --> | Atlantico.fr
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Un couple observe les annonces d'une agence immobilière.
Un couple observe les annonces d'une agence immobilière.
©AFP / Gaizka IROZ

Alerte à la furie fiscale

Le député Renaissance des Landes, Lionel Causse, a préparé une proposition de loi visant à moduler la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et à créer une taxe supplémentaire sur les entreprises.

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier est Avocat, fondateur & coordinateur pédagogique du diplôme Start-up Santé (bac+5) à l'Université Paris Cité. Il est également Président de l'UNPI 95, une association de propriétaires qui intervient dans le Val d'Oise. Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Atlantico : Le ministre du Logement, Patrice Vergriete, a détaillé sa prochaine priorité à l'occasion d'un déplacement à la Rencontre des entrepreneurs de France, le 29 août dernier. Selon lui, c'est le lien emploi-logement sur lequel il faut se pencher de toute urgence. Le député Renaissance Lionel Causse prévoit d'ailleurs une nouvelle proposition de loi en ce sens visant à créer une nouvelle taxe sur les entreprises pour pouvoir assurer un versement dédié au financement des dépenses d'investissements et de fonctionnement des actions relevant des compétences de l'AOH, l'autorité organisatrice de l'habitat. A l'heure où de plus en plus de sociétés font faillite, peut-on y voir autre chose qu'une certaine "furie fiscale" de la part de la majorité ?

Thomas Carbonnier : Non, je ne le pense pas. L'immobilier est déjà très fortement taxé. Nous n'avons pas besoin de plus. Qu'est-ce que cela va résoudre ? L'objectif affiché serait de faire face à ce qu'on appelle une "crise du logement" dont beaucoup oublient de définir les contours. J'ai une opinion peut- être un peu différents de ceux exprimés dans certains médias. J'ai l'habitude de dire « est-ce qu'on manque, par exemple, d'appartements 7 pièces ou 8 pièces dans les beaux quartiers de Paris ? » Je n'en suis pas certain. Effectivement, concernant des petites surfaces, c'est plus compliqué pour se loger, notamment pour les étudiants ou des personnes à faibles revenus dans les grandes métropoles. Mais on oublie un peu vite, de mon point de vue, que Paris et les autres grandes métropoles ont toujours été très chères. Tout le monde veut vivre dans Paris intramuros, donc forcément, c'est très cher. L'encadrement des loyers a essayé de redonner du pouvoir d'achat aux locataires qui sont plus nombreux que les propriétaires. Mais au final, cela a renforcé des comportements de propriétaires qui préfèrent louer en meublé de tourisme via des plateformes en ligne... plutôt que de louer pour une résidence principale. De plus, le propriétaire n'est pas incité à faire des travaux, puisqu'il loue au même prix, prix fixé administrativement. On lance des paillettes, on propose de nouvelles taxes, en vue d'essayer d'obtenir un objectif qui me semble peu réaliste.

Beaucoup de gens en France ont besoin de se loger, c'est indéniable. Mais certains quartiers sont délaissés, en banlieue notamment. Je pense notamment à Sarcelles, et à son quartier juif qui rassemble la plus grande communauté juive d'Europe. On y trouve des loyers beaucoup plus attractifs pour les locataires (un chambre de 13m² pour 550 euros charges comprises dont électricité, eau chaude, chauffage, internet) et à 20 min de RER D de Paris... La solution, c'est peut- être d'encourager les gens à aller voir un petit peu plus loin que Paris. Pour cela, améliorons l'offre de transport en commun et cassons les préjugés. Et si on veut recréer un peu de lien « emploi-logement », rappelons qu'en 2008 une proposition de loi du député Pierre Lellouche visait à essayer de recréer des postes de gardiens d'immeubles, en échange de quoi le gouvernement aurait octroyé une réduction fiscale pour les copropriétaires. L'idée était que la population de gardiens d'immeubles est une population ouvrière qui ne peut pas se loger à Paris. On allait donc recréer un emploi, et en même recréer un logement, tandis que les enfants de concierges pourraient être scolarisés dans des bons établissements ce qui favoriserait la mixité sociale. C'était une bonne idée qui aurait eu aussi un impact sur la sécurité dans ces quartiers. Pour mémoire, lors des évènements à Tremblay en France, le 1er ministre avait décrété l'état d'urgence pour contenir la délinquance ! Or, lorsqu'il y a un gardien d'immeuble compétent, la délinquance ne s'installe pas dans l'immeuble. Au contraire, il est susceptible d'aider à prevenir ce genre de difficultés. Mais évidemment, il aurait fallu que nos élus politiques acceptent de réfléchir autrement, de manière plus globale, plus réaliste en nuances. La tâche étant manifestement hors de portée de certains politiciens, ils préfèrent créer de nouvelles taxes. C'est inefficace mais plus simple. Cela donne peut être l'impression à certains que le gouvernement s'en prend au vilain méchant propriétaire bailleur... une vraie caricature des relations bailleurs locataires. Pourtant, il y aurait tant  d'autres idées à mettre en œuvre susceptibles de porter leurs fruits...

Lionel Causse ne s'arrête pas là. Il envisage aussi de permettre, sous réserve du vote de sa proposition de loi, la possibilité pour une intercommunalité de reverser le produit de la taxe sur les logements vacants ou de moduler le taux de taxe d'habitation sur les résidences secondaires directement à l'AOH locale. A quelle genre d'évolution fiscale faut-il s'attendre, pour les propriétaires, en cas de vote d'une telle loi selon vous ?

Pourquoi les logements sont-ils vacants ? Est-ce qu'il est dans l'intérêt d'un propriétaire de laisser un logement vacant ? Je ne le pense pas. Il y a une autre raison. Vous la connaissez comme moi : c'est qu'en cas d'impayé, il est difficile d'obtenir un jugement d'expulsion puis de faire exécuter la décision de justice. Il y a eu quelques réformes récentes pour essayer de faciliter un petit peu les expulsions post-jugement mais, en réalité, j'ai des clients qui ont attendu trois ans après leur jugement pour pouvoir expulser ! Il faut donc comprendre 3 ans d'impayés de loyers... Donc, des propriétaires se disent "tant pis, je préfère payer la taxe plutôt que de prendre le risque de me retrouver avec des impayés à hauteur de 50.000 ou 70.000 €." On va donc "moduler" la taxe, un joli terme pour dire "augmenter". Mais le propriétaire qui a déjà son logement vacant, vous pouvez augmenter de 10 ou de 20% la taxe, ça ne changera rien car la cause est beaucoup plus profonde.

Sur l'augmentation de la taxe sur les résidences secondaires, pourquoi pas ? Mais encore une fois, est-ce qu'on n'est pas déjà assez taxés ? Est-ce que c'est vraiment ça qui va résoudre le problème ? Depuis trente ans, quasiment chaque ministre du Logement a lancé un dispositif à son nom (Robien, Pinel, Scellier...) et nous voilà au même stade, à nous poser les mêmes questions et à constater que tous ces dispositifs ont été totalement inefficaces. Nos élus n'ont pas beaucoup d'imagination, à part empiler des taxes sur des taxes et créer un véritable mille-feuille fiscal. 

Le logement fait déjà l'objet d'un certain nombre de prélèvements ou d'injonctions, comme cela peut-être le cas du contrôle des prix à la location. Quels sont les points les plus discutables en matière fiscale ? Dans quelle mesure ces prélèvements et certaines de ces normes peuvent-elles accentuer la crise du logement observée dans les grandes métropoles françaises ?

Dans les normes qui accentuent la crise du logement, il y a notamment le DPE, ce qu'on appelle les fameuses passoires thermiques. Aujourd'hui, les passoires thermiques sont juridiquement des logements qui sont classés G+, mais d'ici peu, on passera à F puis à E en 2034. Concrètement, allez faire un petit tour dans le 6e arrondissement de Paris, à Saint-Germain-des-Prés - très beau quartier, des bâtiments agréables à l'oeil - et regardez les vitrines des agences immobilières. Qu'est-ce que vous allez voir ? "A louer : résidence secondaire". On ne loue plus en résidence principale pour échapper à cette fameuse interdiction, car beaucoup de ces beaux immeubles sont classés G. Et concernant les tous petits logements, qui font 10 ou 11 mètres carrés, si vous devez isoler thermiquement chaque mur, vous allez perdre un ou deux mètres carrés et ne pourrez plus le loue. Vous aurez un logement efficient au plan énergétique mais il fera moins de 9m². On n'arrive pas à résoudre le problème de fond, encore une fois.

Entre l'encadrement des loyers, les taxes toujours plus importantes, le DPE toujours plus contraignant, des travaux sans arrêt, les normes électriques qui évoluent régulièrement, les propriétaires ne veulent plus louer. Les racines du problème sont beaucoup plus profondes que la fiscalité. On pourrait peut-être s'inspirer de pays où si vous ne payez pas votre loyer, sous trois jours la police vient vous expulser. Il n'y a pas besoin dans ces conditions-là de demander des tonnes de papiers aux potentiels locataires, que ces derniers soient tentés de produire des faux bulletins de salaire, etc.

Il y a une vraie réflexion à mener qui soit plus profonde que de taxer à tout prix. D'autant que ceux qui investissent aujourd'hui dans le logement, c’est la classe moyenne. Les grandes fortunes ou les très grandes fortunes ne sont pas dans l'immobilier. La classe moyenne ou supérieure achète avant tout de l'immobilier, beaucoup plus que des actions ou des produits financiers. Finalement, on nous annonce un alourdissement de la taxation de ceux qui payent déjà le plus lourd tribu, ceux qui ne peuvent pas accéder à de l'optimisation fiscale. Olivier Causse dans sa proposition veut taxer les entreprises jusqu'à 49 salariés : là aussi, de petites entreprises, déjà bien taxées, et plus fragiles. Cette année, nous nous dirigeons d'ailleurs vers un nombre record de faillites d'entreprises... La période covid 19 a fait beaucoup de dégâts à l'économie.

Dernière chose : aujourd'hui les prix sont très élevés. Mais ce n'est pas toujours le cas, et l'historique des prix montre qu'il y a parfois eu des baisses. Toujours plus taxer en se disant que l'immobilier va continuer de grimper, c'est un pari. Je reste réservé là-dessus.

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