Le gaz hilarant, ce grand oublié des coupables du dérèglement climatique<!-- --> | Atlantico.fr
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Cette image de la NASA montre une vue de la Terre vue par l'équipage d'Apollo 17 alors qu'ils se dirigeaient vers la lune.
Cette image de la NASA montre une vue de la Terre vue par l'équipage d'Apollo 17 alors qu'ils se dirigeaient vers la lune.
©NASA/AFP

Mauvaise blague

Scientifiquement connu sous le nom de protoxyde d’azote, ses émissions -par le biais de l’agriculture- contribuent largement au réchauffement de la planète.

André Heitz

André Heitz

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

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Atlantico : Le protoxyde d’azote (N2O) dont l’usage détourné sert de "gaz hilarant" a des effets un peu moins amusants sur le réchauffement climatique. Dans quelle mesure ce gaz est-il dangereux pour notre air et notre couche d’ozone ?

André Heitz : Une réponse simple : tout les gaz à effet de serre sont problématiques pour le climat (sauf pour les « climatosceptiques »). Selon le bréviaire militant, le protoxyde d'azote (ou oxyde nitreux) est un puissant gaz à effet de serre (environ 265 fois plus que le dioxyde de carbone). C'est le troisième plus important gaz à effet de serre après le CO2 et le méthane (CH4). Sa durée de séjour estimée dans l'atmosphère est un peu plus longue que celle du CO2 (120 contre 100 ans).

Faire la part des choses est plus compliqué. Selon la contribution du Groupe de travail III au Cinquième rapport d'évaluation du GIEC, les émissions anthropiques de protoxyde d'azote représentaient en 2010, en équivalents CO2, 6,2 % de 49 gigatonnes au total, contre 7,9 % de 27 gigatonnes en 1970. Nos émissions ont donc augmenté de quelque 40 % en valeur absolue, sachant que celles de dioxyde de carbone dues aux combustibles fossiles et aux process industriels ont plus que doublé.

Dans le même temps, la population mondiale a augmenté de près de 90 %. Et elle s'est, comme on dit généralement, enrichie ; en pratique, bon nombre de Terriens sont sortis de la pauvreté et ont acquis une certaine aisance. Ainsi, la production de céréales a doublé pendant cette période.

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Le protoxyde d'azote serait l'ennemi N° 1 de la couche d'ozone, loin devant son premier poursuivant ; en fait redevenu après le banissement des hydrochlorofluorocarbures par le Protocole de Montréal.

D’où vient le protoxyde d'azote ? Quels secteurs d’activité en produisent le plus ?

Le protoxyde d'azote s'inscrit dans le cycle complexe de l'azote. La distinction entre anthropique et naturel est dès lors artificielle.

Les évaluations sont aussi difficiles, avec de grandes marges d'incertitude. L'analyse devrait se faire au moins en partie en termes de flux (en bref, une partie du protoxyde d'azote émis aujourd'hui remplace celui émis il y a 120 ans) et non de stock (le dioxyde de carbone issu d'un combustible fossile augmente le stock atmosphérique).

Selon le bréviaire, l'agriculture est, de très loin, la première source anthropique. Le Global Carbon Project affiche ainsi, pour la décennie 2007-2016, les émissions annuelles mondiales de l'agriculture à 3,8 mégatonnes (entre 2,5 et 5,8), les combustibles fossiles et l'industrie à 1 Mt (entre 0,8 et 1,1), les sols naturels à 5,6 Mt (4,9-6,5) et les océans à 3,4 Mt (2,5-4,3). Au total, les émissions naturelles (9,7 Mt) dépassent les émissions anthropiques (7,3 Mt).

(Source source primaire)

En France, selon le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphériqueCITEPA), en 2017, l'agriculture émettait 87 % du N2O (122 kilotonnes, soit 36,6 Mt de CO2éq.). Les engrais azotés représenteraient 35 kt (environ 30 %). Les émissions baissent du fait d'une moindre utilisation d'engrais azotés et d'une diminution du cheptel bovin, ces facteurs étant en partie liés au progrès technique.

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(Source)

Ce gaz est-il suffisamment réglementé ? Comment expliquer qu’il soit oublié des débats ?

Le protoxyde d'azote – moins connu que le dioxyde d'azote et moins « sexy » que le méthane des rots des vaches – passe sous les radars de l'opinion publique, mais n'en est pas oublié pour autant par les décideurs politiques. L'Union européenne a fixé des objectifs nationaux contraignants : pour la France, -15 % en 2030 par rapport à 2015.

Bien cornaquée comme on le sait, la Convention citoyenne pour le climat a proposé de taxer les engrais chimiques. Le gouvernement s'est tout de même cabré. Dans son projet de loi « lutte contre le dérèglement climatique » (texte transmis au Sénat), il a prévu de définir une trajectoire de réduction par décret – yaka ! – assortie d'une déclaration d'intention.

Ce texte mérite bien des quolibets mais a l'avantage d'exposer le dilemme : « il est envisagé de mettre en place une redevance sur les engrais azotés minéraux si les objectifs annuels de réduction de ces émissions [...] ne sont pas atteints pendant deux années consécutives et sous réserve de l’absence de dispositions équivalentes dans le droit de l’Union européenne. »

C'est évidemment assorti de l'obligation pour le gouvernement de produire des rapports délirants. Mais, bien faits, ces rapports expliqueront peut-être à nos édiles que le sujet est complexe ; que l'azote, c'est aussi la vie ; que l'agriculture biologique utilise de l'azote de synthèse, mais « blanchi » par le passage par un estomac animal ; qu'il y a des incohérences à vouloir à la fois lutter contre les gaz à effet de serre et développer une agriculture biologique moins performante que la conventionnelle, particulièrement si on raisonne en termes de production plutôt que de surface.

Et surtout que, si nous voulons manger, nous devons produire.

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