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Le début d'une certaine fin pour l'Europe ? Pour la 1ère fois en temps de paix, le solde démographique naturel du continent est négatif
©REUTERS/David Mdzinarishvili

Moins de naissances ; plus de décès

En plus de faire face au vieillissement de sa population, l'Europe doit également trouver une solution à la réduction de celle-ci : son accroissement naturel est, pour la première fois, négatif en 2015. Un constat effrayant qui ne frappe cependant pas tous les pays de la même façon.

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Atlantico : En 2015, le nombre de naissances dans l'Union européenne était de 5,1 millions d'enfants, et le nombre de décès s'élevait à 5,2 millions. Si la population totale augmente de 1,8 million d'habitants, c'est le fait de l'immigration. Pour la première fois dans son histoire donc, l'Union européenne voit son accroissement naturel en déficit. Pour quelles raisons la natalité est-elle si faible en Europe ?

Michèle Tribalat : Les projections d’EUROSTAT – EUROPOP2013 – anticipaient un solde naturel (naissances –décès) négatif en 2016. Nous y sommes dès 2015. Et encore, ce solde est-il positif grâce aux deux gros contributeurs que sont le Royaume-Uni et la France. Sans le Royaume-Uni, le solde naturel négatif serait encore plus important (-310 000 au lieu de -135 000). À titre de comparaison, la seule Turquie de 79 millions d’habitants au 1er janvier 2016 a connu un solde naturel de 920 000 en 2015.

Selon les hypothèses des projections, le solde naturel devrait être au mieux de -500 000 en 2030 et au pire (sans migration) de - 1,2 million. Le problème n’est pas tant que le solde naturel soit négatif – lorsque les baby-boomers décèdent, la diminution se fait par le haut de la pyramide des âges -, c’est qu’il le soit dans un contexte de faible fécondité tel que le renouvellement des générations n’est pas assuré. En 2014, le nombre moyen d’enfants est de 1,58 pour l’UE28 alors qu’il faudrait s’approcher de 2 enfants. Mais la fécondité n’est pas uniformément basse en Europe. Elle se porte mieux dans les pays du nord de l’Europe et en France qu’en Allemagne, en Autriche ou dans les pays du Sud et l’Est : 2,01 enfant par femme en France, 1,88 en Suède, 1,81 au Royaume-Uni, mais 1,23 au Portugal, 1,32 en Espagne et en Pologne, 1,37 en Italie et 1,47 en Allemagne. Ces basses fécondités sont dues à un report de l’âge à la maternité, sans toujours une récupération suffisante après 30 ans. La fécondité s’est un peu améliorée après 30 ans en Allemagne, ce qui explique la très légère embellie (1,47 en 2014 contre 1,33 en 2006). Peut-être la politique familiale mise en place récemment commence-t-elle à porter ses fruits ? Cela s’annonce moins bien dans les pays du Sud ou de l’Est de l’Union ou le manque d’investissement des hommes dans la sphère domestique, la rareté des structures préscolaires et une mise en couple tardive dans des pays du Sud en crise ne sont guère propices à une reprise de la fécondité (cf. Lesthaeghe R., Permanyer I (2014), European Sub-Remplacement Fertility : Trapped or Recovering ?, Research Reports, n° 14-822).

>>> A lire aussi : Plus de décès que de naissances : aux racines du grand vertige européen

En quoi cette situation est-elle un défi pour l'Union européenne ? En théorie comme en pratique quelles sont les conséquences, pour un territoire, de voir sa population baisser ? 

Michèle Tribalat : La population est un élément de la puissance, ne serait-ce qu’économique. Avec les projections EUROPOP2013, la Commission anticipe une faible croissance démographique entièrement due à l’immigration. Sans migration la population de l’UE28 diminuerait de 108 millions d’ici 2080. Elle augmenterait seulement de 13 millions, dans l’hypothèse migratoire la plus favorable. L’apport démographique de l’immigration étrangère serait alors de 121 millions. C’est, à 9 millions près, la population de la France et du Royaume-Uni d’aujourd’hui. Sans migrations l’Allemagne ne compterait plus guère que 50 millions d’habitants en 2080, la France 69 millions. 

Ce n’est pas seulement un problème de nombre mais c’est aussi un problème de structure par âge. La population ne fait pas que diminuer. Elle se transforme. Les vieux y sont de plus en plus nombreux, les jeunes de moins en moins et la population d’âge actif diminue. En l’absence de migration, l’UE pourrait voir diminuer sa population d’âge actif de 120 millions ; à quelques millions près, c’est l’équivalent de la population d’âge actif actuelle de l’Allemagne, de l’Espagne et de la France réunies. La population d’âge actif diminuerait faiblement en France et au Royaume-Uni, alors qu’en Allemagne, en Espagne, au Portugal, en Italie et en Autriche elle serait plus ou moins divisée par deux d’ici 2080 ! Des pénuries de main-d’œuvre sévères existent déjà en Allemagne. La charge des 65 ans ou plus augmentera partout, avec ou sans migration, mais encore plus sans migration et dans les pays à basse fécondité.

Maxime Tandonnet : L'Europe est l'un des continents où le taux de fertilité est le plus bas, avec une moyenne d'1,5 enfant par femme, qui ne suffit plus à assurer le renouvellement des générations, ce dernier se situant à 2,1 enfant. Peut-être est-ce là le défi essentiel de l'avenir. Aux Etats-Unis, il est plus élevé, autour de deux enfants et dans la plupart des pays émergents, comme au Brésil ou au Maghreb, il se situe entre 2 et 2,5. La transition démographique, c'est-à-dire la baisse de la natalité liée au progrès social, est en cours dans la plupart des régions du monde. L'Afrique subsaharienne est cependant pour l'instant laissée à l'écart de ce mouvement, ses taux de fécondité pouvant atteindre 5 enfants par femme. Pour le continent européen, l'enjeu démographique est considérable. Il porte sur le risque de vieillissement de la population qui favorise le conservatisme et freine l'innovation, le dynamisme des sociétés, leur mobilité et leur créativité. En outre, à terme, ses conséquences pour la croissance sont évidentes: des pays dont la population baisse de manière spectaculaires ne disposent plus de la main d'oeuvre dont ils ont besoin dans la compétition internationale. A l'évidence, la baisse de la population est une cause du déclin relatif des nations. 

La France fait figure d'exception parmi les pays européens, avec un taux de natalité s'élevant à 12 pour 1 000. A l'inverse, l'Italie n'a compté que 8 naissances pour 1 000 habitants en 2015. Que peut-on dire de la répartition de ces taux de natalité ?

Maxime Tandonnet : L'explication la plus évidente à ce phénomène tient à la politique familiale. Depuis 1945, la France a mis en place des outils sophistiqués d'une politique de la famille: avantages fiscaux (système des parts) pour les familles nombreuses, allocations familiales. Ce modèle est sans équivalent dans les grands pays européens. Il se traduit par un poids supplémentaire des prélèvements obligatoires mais en même temps, assure un envouragement à la natalité. A cela s'ajoute une politique volontariste destinée à faciliter le travail des mères de famille, notamment le développement des crèches par les collectivités locales et l'action en faveur de l'accueil de la petite enfance. Sur ces questions, le modèle français a prouvé son efficacité et sa réussite, notamment par rapport à l'Italie qui ne dispose pas d'un tel outil en faveur de la famille et de l'enfance. Et puis, il existe sans doute d'autres raisons qui tiennent à la psychologie collective, la vision de l'avenir. Malgré les enquêtes d'opinion qui tendraient à montrer que les ménages Français sont parmi les plus pessimistes en Europe, le différentiel de fertilité en faveur de la France est révélateur d'un dynamisme et d'une vision du futur qui laissent place à un fond d'espérance, même inconscient...

Lors de la crise des migrants, plusieurs responsables politiques avaient avancé ce défaut de naissances pour appeler à un large recours à l'immigration. Comment cette solution doit-elle se poser selon vous ? Par quels autres moyens les gouvernements européens pourraient-ils répondre à ce problème ? Quel serait le coût pour les pays touchés de continuer à limiter de manière drastique l'immigration, et de voir sa population baisser comme le Japon ?

Maxime Tandonnet : Il ne faut pas voir en l'immigration un remède miracle et unique au déclin démographique. Un rapport de la division des populations de l'ONU du 21 mars 2000 montrait que pour régler, d'ici 2050, le problème des retraites en Europe, entendue comme l'ensemble du continent incluant la Russie, il faudrait y faire venir 2,4 milliards de personnes, une hypothèse qu'aucun expert ne juge sérieuse. L'immigration est à l'évidence l'une des voies possibles de résolution du problème démographique mais à la condition de s'accompagner des politiques d'intégration nécessaires pour que les nouveaux venus et leurs descendants s'adaptent et se fondent dans les sociétés d'accueil, en évitant les phénomènes d'exclusion et de marginalisation, à l'image de certaines cités de banlieues. Il est donc essentiel que le flux migratoire soit conforme aux capacités d'accueil sur le marché du travail, le logement, les services publics, etc. Et puis surtout, la situation des régions d'origine doit être prise en compte. L'Europe ne peut pas envisager de puiser indéfiniment le dynamisme, la jeunesse et les compétences des pays émergents voire des pays les plus pauvres du monde. Cela reviendrait à les priver de la ressource humaine qui est la clé du développement économique et social. Dès lors, les pays de l'Union européenne, sans se fermer à l'immigration, mais sans y voir non plus un "remède miracle", auraient tout intérêt à s'inspirer également du modèle français de politique familiale. Curieusement, un puissant tabou pèse sur ce sujet en Europe, comme si la politique de l'enfance et de la famille était ressentie comme une réminiscence des pratiques natalistes des régimes nationalistes des années 1920-1930. Or, les circonstances n'ont plus rien à voir : permettre aux couples qui travaillent d'avoir des enfants, grâce notamment à des politiques d'aides aux familles et d'accueil de la petite enfance, n'a rien de nationaliste mais représente un progrès social évident. 

Michèle Tribalat : La situation démographique de l’Allemagne a compté dans la position d’Angela Merkel qui n’a pas seulement suivi son bon cœur. On a alors beaucoup parlé en Allemagne du gain économique que cette arrivée massive de jeunes gens allait représenter. Angela Merkel n’a pas hésité à décider pour l’ensemble de l’UE et à entraîner ses voisins dans la tourmente, sans les avoir consultés, notamment ceux du Sud au front de la vague migratoire d’irréguliers et en grande difficulté économique. Le pays dominant de l’UE exprime des besoins que n’ont pas tous ses voisins, soit parce que leur démographie est plus florissante, soit parce qu’ils ne sont pas sortis de leurs difficultés économiques, soit les deux si l’on pense à la France. De plus, les derniers entrants, qui ont connu l’empire soviétique et bien souvent l’empire ottoman, ne sont pas très chauds pour une immigration massive. La fin de la domination soviétique a été l’occasion de renouer avec leur culture. Ils ne souhaitent connaître le destin des pays européens qui sont déjà devenus des pays d’immigration. Ils préfèrent sans doute un destin à la japonaise à une relève démographique provenant d’Afrique ou du Moyen Orient. Ce n’est donc pas d’une politique migratoire commune - qui existe déjà bel et bien, les migrations étant une compétence partagée relevant de la procédure ordinaire - dont l’UE a besoin pour satisfaire des intérêts aussi divergents. Peut-être pourrait-elle avoir une politique commune de surveillance des frontières combinée à des politiques migratoires nationales adaptées à la diversité des besoins et des aspirations.

Pour la Commission européenne, l’immigration étrangère est la solution au déclin démographique et économique qui guette l’UE. Cette dernière est fondée sur l’économie et le droit et peu importe de quels peuples elle se compose. Les peuples sont interchangeables et les cultures européennes ne comptent guère. Or, le développement économique qu’a connu l’Occident ne tient pas au hasard. Il tient aux normes et valeurs qui ont permis d’élaborer des modèles sociaux performants. Une immigration massive pourrait, à long terme, détruire la prévalence de ces modèles sociaux. En effet, les immigrants sont des êtres de culture qui, s’ils souhaitent continuer à vivre dans les pays d’accueil comme dans les pays d’origine, réimplantent dans les premiers des modèles sociaux défaillants, ceux qui sont à l’origine de leur départ (cf. Exodus, Paul Collier, 2013). Même en termes de performance économique seulement, l’immigration massive est problématique. La politique multiculturaliste défendue par la Commission (adoptée par les États membres en 2004), parce qu’elle la croît adaptée au destin démographique de l’UE, favorisera ces évolutions. Sauf à vouloir changer le peuplement de l’UE, c’est du côté des politiques propres à faire remonter progressivement la fécondité dans les pays où elle est très basse qu’il faudrait aller. Mais ce n’est pas une compétence européenne. En l’état, le bouton "politique migratoire" est le seul disponible à l’échelle de l’UE et relativement facile à activer compte tenu de la pléthore de candidats à l’immigration en Europe.

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