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Le CSA veut plus de diversité visible dans les médias.
Le CSA veut plus de diversité visible dans les médias.
©Reuters

Trop d'Habitus

La responsable des questions de diversité au sein du Conseil supérieur de l’Audiovisuel a déploré dans le journal Le Monde la place insuffisante accordée aux Noirs, aux Arabes et aux Handicapés sur nos petits écrans.

Fabrice Le Quintrec

Fabrice Le Quintrec

Fabrice le Quintrec est rédacteur en chef adjoint à Radio France, spécialiste des revues de presse.

Ancien attaché culturel en poste à l'Ambassade de France au Japon, il est aussi auditeur de l'IHEDN (Institut des Hautes études de la Défense Nationale).

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Madame Mémona  Hintermann, responsable en charge des questions de diversité au sein du Conseil supérieur de l’Audiovisuel, a eu droit les 9 et 10 février derniers à une page complète dans le supplément télé du journal « le Monde » ; elle y a asséné de belles et fortes paroles, affirmant – et c’est d’ailleurs la citation retenue pour titre de cette page - « sur la diversité, je ne reculerai pas, sinon je ne sers à rien ». Et Mme. Hintermann de déplorer la place insuffisante des Noirs, des Arabes et aussi (c’est plus nouveau et plus original) des Handicapés sur nos petits écrans. C’est donc à ça que sert le CSA !

Pour mener à bien son travail de rééquilibrage, cette « sage » du CSA regrette au passage l’inexistence, en France, de données  précises et vérifiables : « un outil statistique manque cruellement pour savoir où nous en sommes ; sinon nous continuerons d’entretenir les fantasmes, les frustrations et la colère » dit-elle. On le sait, dans notre pays, la classification des individus  en fonction de leurs origines ethniques ou raciales est interdite car elle rappellerait « les heures les plus sombres de notre Histoire ». On renonce délibérément à se doter de repères statistiques qui existent ailleurs, dans des pays éminemment démocratiques, et qui pourraient en effet rendre service à nos chercheurs, nos démographes, nos politiques. C’est bien connu, les races n’existent pas, François Hollande a même voulu gommer le mot qui - horreur ! - figurait dans le texte de notre Constitution ; cessons de nommer la chose, elle disparait : cela fait partie du « déni français ». Alors à défaut de statistiques officielles, le CSA dispose depuis cinq ans d’un baromètre de la diversité : il s’appuie sur une mesure des « origines perçues ». Il parait que les choses ont tendance à s’améliorer en France : il y a davantage de figures perçues comme « non blanches » sur nos écrans. Formidable !

S’assigner comme objectif prioritaire de faire de nos chaines de télévision un miroir le plus fidèle possible de la sociologie de notre pays représente une approche anecdotique et dérisoire de la diversité. Ce n’est pas le plus important même si ça peut être utile. Les journalistes sont tombés de leur piédestal depuis belle lurette. Ils l’ont un peu cherché. Peut-on sérieusement prétendre que le divorce entre l’opinion et les élites auto-proclamées de l’univers médiatique résulte de l’impossibilité pour certaines minorités de se reconnaitre, de se projeter dans les personnages qui habitent leurs soirées télé ?

D’abord, pourquoi emprisonner la création dans un carcan de normes contraignantes ? Laissons les scénaristes, les metteurs en scène, les présentateurs d’émissions s’exprimer en toute liberté, avec les acteurs, les intervenants et les images qu’ils choisissent et qu’ils jugent pertinents. Nous vivons dans un pays déjà hyper-administré. Pourquoi s’imposer de nouvelles règles à respecter ? La qualité d’un magazine d’information ou d’un programme n’est pas fonction de la diversité des visages qu’on y découvre ou des accents qu’on y entend.

Et quitte à relever le défi de la diversité, autant se montrer ambitieux et prendre le mot dans une acception beaucoup plus large.

Quid de la diversité des modes de recrutement ?

Quand on cessera de formater les apprentis-journalistes dans les mêmes écoles, avec les mêmes enseignants, à partir des mêmes lectures, on fera un grand pas en avant. Cette profession est devenue fermée, corporatiste. Pourquoi ne pas l’ouvrir davantage à des adultes encore jeunes mais dotés d’une vraie et solide première expérience : quelqu’un qui a été enseignant en ZEP ou en classe préparatoire, quelqu’un qui connait le monde de l’entreprise, qui a voyagé, qui a été chercheur, militaire, médecin, magistrat ou avocat peut  apporter un peu d’air frais et d’idées neuves.

Recrutement insuffisamment diversifié encore : pourquoi trouve-t-on dans l’audiovisuel tant de fils, filles, neveux, nièces ou autres parents de journalistes ? Le mode de reproduction devient de plus en plus endogame. Diversifions !

Quid de la diversité des opinions ?

Il y a beaucoup à faire dans ce domaine et c’est un beau challenge : il suffit d’ouvrir un journal ou de zapper sur son téléviseur pour se rendre compte que la diversification de l’offre et la prolifération des chaines se sont accompagnées d’une réduction du champ de la réflexion, de l’interchangeabilité des éditorialistes, de l’omniprésence des mêmes thèmes, des mêmes tics verbaux, des mêmes maîtres à penser, des mêmes amuseurs ; la presse d’opinion se meurt ;  on évite les propos dérangeants, on  édulcore, on renonce à utiliser les formulations ou à soulever les problèmes « politiquement incorrects » par peur des chiens de garde qui veillent ; la pensée unique et l’auto-censure se sont tranquillement installées aux commandes dans beaucoup de médias ; le désir de rester sur des sentiers bien balisés, de prendre en compte les rapports de forces et l’air du temps ne favorise ni l’audace, ni l’investigation.

L’apparition et l’essor de journaux en ligne ont contribué à susciter une émulation et à libérer la parole. Mais ces nouveaux médias génèrent aussi de nouveaux types de risques.

Que des experts se penchent avec sagacité, dans le cadre du CSA,  sur la place relative qu’occupent dans notre audiovisuel les Noirs, les Arabes, les Handicapés, les femmes, les seniors ne représente pas forcément le chantier prioritaire que certains croient déceler. Privilégions la liberté, la création, la qualité et la réflexion avec de bons, d’excellents professionnels, quelle que soit leur couleur de peau, et favorisons autant qu’il est possible la transparence et le débat, en gardant présent à l’esprit l’objectif rappelé avec force par le Conseil Constitutionnel,  le 1er juillet 2004, à propos d’une loi sur l’audiovisuel et les nouvelles technologies de la communication : « le pluralisme des courants de pensées et d’opinions est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle (…) le respect de son expression est une condition de la démocratie ». C’est à cette diversité-là qu’il convient, d’abord, de s’attacher ! Ce sont leurs préoccupations quotidiennes et toute la palette de leurs opinions que les français aimeraient retrouver dans leurs émissions et programmes favoris.

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