Le complexe de la vulve : les femmes (aussi) peuvent être complexées par leurs organes sexuels<!-- --> | Atlantico.fr
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Le stade Al Wakrah, au Qatar, devait ressembler à un bateau. Le résultat fait penser à autre chose...
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Y'a pas que les mecs...

Aux Etats-Unis, les actes de chirurgie labiale ont quintuplé en cinq ans. En réaction, le site Internet Large Labia Project permet aux femmes de poster une photo de leur sexe. L'objectif : montrer qu'il n'y a pas de "vagin normal".

Michelle  Boiron

Michelle Boiron

Michelle Boiron est psychologue clinicienne, thérapeute de couples , sexologue diplomée du DU Sexologie de l’hôpital Necker à Paris, et membre de l’AIUS (Association interuniversitaire de sexologie). Elle est l'auteur de différents articles notamment sur le vaginisme, le rapport entre gourmandise et  sexualité, le XXIème sexe, l’addiction sexuelle, la fragilité masculine, etc. Michelle Boiron est aussi rédactrice invitée du magazine Sexualités Humaines

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Atlantico : En cinq ans les actes de chirurgie labiale aux Etats-Unis se sont multipliés par cinq, tandis que des blogs se sont créés, sur lesquels des femmes postent des images de leur sexe afin que les femmes complexées puissent se rassurer sur l’apparence du leur. Existe-t-il un véritable complexe de l’apparence du sexe féminin ?

Michelle Boiron : L’apparence : le mot est lâché ! En touchant à la morphologie de la vulve, on veut  "standardiser" le  sexe de la femme et le mettre en conformité avec la mode du moment !

La partie la plus intime de la femme et qui la rend unique, est aujourd’hui mesurée, rabotée coupée mise aux normes. Elle s’expose, se montre : la vulve est désormais  comme le nez au milieu de la figure ; elle  subit le même sort que les "nez" dans les années 80 : tout droit ! Exit les nez busqués ; ils étaient dénoncés, rabotés ; et par la même occasion, le caractère de leur propriétaire…

Alors pourquoi exhibe-t-on sa vulve aujourd’hui ? La mode de l’épilation des poils pubiens a permis aux femmes de découvrir leur sexe. Elles n’avaient que peu de points de comparaisons si ce n’est pour certaines la vision de quelques images pornographiques, et certaines étaient passées par le stade du miroir… "Miroir ai-je la plus belle vulve ?" Et le complexe est né.

Capture d'écran : une photo mise en ligne par une Française sur le site Large labia projectHere's my "chatte"

A quoi ce complexe  est il dû ? Peut on l’attribuer, comme le disent certains, aux images véhiculées par l’industrie pornographique ?

Le mystère de la femme, la partie la plus intime de son corps, s’est dévoilé par l’épilation, et donc exposé au regard de tous et d’elle-même. La vision d’un sexe dépourvu de ses poils, mis à nu en quelque sorte, n’est pas un fait anodin. Il renvoie au sexe prépubaire ;  il donne l’image ambigüe d’un sexe de petite fille dans un corps de femme et, ainsi, vient rappeler ce qui attire le pédophile.

Il est permis de se demander si cet appétit pour la chirurgie labiale, et donc le complexe dont il procède, ne provient pas du développement de la consommation de films pornographiques. De même que les hommes peuvent se sentir complexés à cause de la taille de leur pénis, comparée à celle des acteurs du X, la pornographie institue en quelque sorte une norme pour le sexe féminin et génère, chez celles qui ne sont pas conformes, un sentiment de complexe.

Cette influence se conjugue avec l’obsession de la propreté, de rendre pur ce lieu "sale", de l’aseptiser, comme s’il fallait se "nettoyer" de l’influence de la pornographie.

Au-delà de la longueur des lèvres, quels sont les autres complexes que peuvent avoir les femmes à propos de l’apparence de leur sexe ?

Si l’on admet que cette mode vient de la pornographie, la femme n’a pas fini d’avoir des complexes ! Car il ne suffit pas d’ôter les poils en s’épilant provisoirement ou définitivement, il faut aussi couper à la bonne dimension les lèvres, les rendre symétriques, à la bonne taille, remodeler le vagin. Il faut également que le sexe soit de la bonne couleur, et certaines femmes n‘hésitent pas à se faire  dépigmenter le sexe.  Mais si l’on poursuit la comparaison, ce n’est plus seulement l’apparence qui sera l’objet de la chirurgie, mais le vagin, qui, resserré, garantira un meilleur accueil au partenaire et  un meilleur orgasme. Le complexe se déclinera alors en termes de performance orgasmique !

Peut-on comparer ce complexe à celui du sexe masculin qui concerne essentiellement des questions de taille, et donc indirectement de performance?

Je ne le pense pas. La taille du pénis pour l’homme signifie sa puissance phallique, sa virilité, sa capacité à donner du plaisir à sa ou son partenaire. La femme est dans la séduction et le physique joue un rôle essentiel dans l’entreprise de séduction. Elle doit plaire par ce qu’elle montre à voir. Aussi le complexe de la femme, s’agissant de son sexe, se situe-t-il plutôt sur un plan esthétique et non sur celui de la performance. De la même façon que les lèvres du visage, souvent maquillées pour en souligner l’importance et la beauté, sont un objet d’attraction, les lèvres du sexe, qui peuvent aujourd’hui de dévoiler plus facilement à la mesure du recul de la notion d’intimité, doivent être un objet de séduction.

En revanche, si l’on tient absolument à trouver une relation entre le pénis de l’homme et le sexe de la femme, c’est du clitoris dont il faudrait parler, plutôt que de la vulve. Apprendre aux femmes comme aux hommes que ce qui apparaît du clitoris n’est que l’iceberg de la partie cachée. En effet le clitoris est doté de 2 bulbes ou 2 racines qui mesurent chacune entre 10 et 14cm. (c’est avec cette partie que  le clitoris excisé est reconstruit). Non ! On ne peut pas comparer avec celui du sexe masculin sauf si l’on se met à mesurer sous échographie nos racines clitoridiennes et là en effet la mesure est significative !

Ce phénomène peut il avoir des conséquences physiques sur les relations sexuelles ?

Sans aucun doute. On commence à entendre des femmes qui se plaignent, soit après une épilation définitive, soit après un remodelage de la vulve.

L’épilation définitive peut générer des problèmes de lubrifications du vagin, liés à l’atteinte des glandes de Bartholin. Ces glandes sont situées au niveau de la vulve et sécrètent un fluide au moment de l’acte sexuel qui est responsable de la lubrification du vestibule. L’absence de lubrification du vagin conduit à utiliser des gels pour permettre un acte sexuel de qualité.

Pour ce qui est des conséquences de la chirurgie de la vulve, on retrouve des problèmes comparables à ceux que provoque la chirurgie des seins : une perte de sensations, donc de sensibilité sexuelle. Autour d’une cicatrice, il est fréquent de ne plus rien sentir.  L’innervation revient progressivement pour certaines femmes, mais pas complètement, laissant ainsi une zone morte en termes de sensibilité. La chirurgie est un acte invasif qui doit être bien réfléchi et il est essentiel que celles qui souhaitent y recourir soient parfaitement informées des conséquences de cet acte. Sans compter le côté traumatisant d'une telle opération vue davantage, après coup, comme une mutilation que comme une libération pour certaines femmes.

Aujourd’hui il est possible d’avoir un sexe "parfait". Mais cela peut avoir des conséquences  négatives ou positives sur la sexualité. C’est pourquoi, comme pour toute intervention de chirurgie esthétique, il importe de se poser les bonnes questions : pourquoi ? Pour qui ? Qu’est-ce que je recherche ? Qu’est-ce que j’attends de ces modifications ? Outre que l’image ne sera pas forcément celle qui a été imaginée ou fantasmée, cela ne donnera qu’une apparence. Alors, il faut prendre conseil, par exemple, auprès d’un thérapeute sexologue qui pourra accompagner la femme dans sa réflexion.

Quels sont aujourd’hui les recours pour lutter contre ce complexe ?

On a vu que tous les outils chirurgicaux existent mais ne sont pas forcément la solution aux problèmes psychologiques qui se cachent derrière le symptôme que les femmes décrivent et dont elles se plaignent en consultation, sous la forme d’un complexe.

Alors que les femmes ont caché leur sexe depuis des millénaires, elles veulent aujourd’hui l’exposer, le montrer, comme les hommes ont montré leur pénis. Le montrer pour le désexualiser, alors que l’image à laquelle elles aspirent est, paradoxalement, très proche de celles des films pornographiques : un sexe lisse, sans plis, propres, sans poils… Peut être n’est ce pas le bon chemin, à moins de continuer de vouloir véhiculer l’image de la vierge et de la putain ?

"Molo sur le porno" comme le dit Agathe André ("Vos désirs sont mes nuits" sur France Inter), qui a sans doute une part de responsabilité dans le complexe vécu par les femmes.

Le sexe de la femme n’est ni beau, ni laid ; il n’a pas à être beau ou laid. Les femmes n’ont pas à suivre les représentations qui sont celles des actrices de porno !

Chaque femme a un trésor entre les jambes ; qu’elle en prenne soin, qu’elle se l’approprie, et l’initie aux plaisirs. Il n’est ni sale, ni vulgaire ; il fait partie de son être intime et, à cet égard, mérite le plus grand respect. Les femmes doivent prendre garde à ne pas le maltraiter par des actes invasifs et irréversibles, au prétexte d’un complexe, soit lié à un phénomène de mode, donc passager, et qui ne légitime pas de solutions définitives, soit qui masque un mal-être plus profond qui ne sera pas contenu par une chirurgie esthétique mais qui est plutôt du ressort d’une thérapie.

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