Le chant grégorien : l’odyssée poétique sur le chemin de la prière des moines de l’abbaye de Fontgombault<!-- --> | Atlantico.fr
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abbaye de Fontgombault Nicolas Diat Le Grand bonheur vie des moines chant grégorien
abbaye de Fontgombault Nicolas Diat Le Grand bonheur vie des moines chant grégorien
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Bonnes feuilles

Nicolas Diat publie « Le Grand bonheur, vie des moines » aux éditions Fayard. Ce livre est une invitation à la joie, une invitation à nous faire découvrir la vie des moines pour nous aider à comprendre la paix qui les habite. Ces existences confinées, que l’on pourrait imaginer monotones, sont en réalité extraordinairement riches. Extrait 2/2.

Nicolas Diat

Nicolas Diat

Nicolas Diat est considéré comme un des meilleurs spécialistes du Vatican. 
 
"Un temps pour mourir" de Nicolas Diat
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Le chant grégorien est une odyssée. On quitte le triste monde des hommes, on traverse des tempêtes avec héroïsme, on vogue par temps calme, on se perd dans les plus beaux couchers de soleil, et lorsque l’horizon de la terre ferme se fait jour, on regrette déjà de revenir. Car on veut continuer à chercher Dieu.

Je pourrais confesser que mes oreilles sont trop habituées au grégorien de Fontgombault. Certains parlent d’une musique robuste, mais je n’ai jamais eu ce sentiment. Le grégorien est doux comme un enfant, fragile comme une fleur, souple comme un roseau. Sa profondeur lui donne une armature d’une solidité incomparable. Quelle surprise d’entendre parler de l’austérité du grégorien : il est si étrange de confondre le dépouillement spirituel, qui procède de l’ascèse recherchée, et la sévérité, rigoriste et revêche. Le grégorien est un chant d’amour, une déclaration poétique. La campagne berrichonne, ses champs, ses vaches, et ses petits chemins possèdent tous les charmes. Mais pourquoi, en ce lieu caché, les moines chantent-ils si parfaitement les partitions de Dieu ?

Au bord de la Creuse, dans l’abbatiale mélancolique des tristes jours d’hiver, le chant est un miracle qui vient réchauffer la température des corps refroidis. La force du grégorien tient lieu de calorifère.

Le 1er janvier, pour les vêpres de la solennité de Sainte Marie Mère de Dieu, les voix de l’antienne O admirabile, de l’hymne Christe Redemptor ominum, ou du verset Notum fecit, atteignent des beautés inégalées.

Les moines en ont-ils vraiment conscience ? Ils sont semblables à ces habitants des quais de Seine qui ne voyaient plus la cathédrale Notre-Dame de Paris tant ils étaient habitués à sa grâce. Le soir de l’incendie, ils ont compris la chance inestimable de voisiner avec le merveilleux monument.

Il suffit pourtant d’observer les personnes qui entrent dans l’abbatiale pendant les offices. Aux premières notes du chant, leur pas change. Elles marchent doucement, troublées, éblouies. Elles ne savent plus. Le visage aimanté par le chœur, chacun saisit intimement qu’une chose supérieure se joue.

Le grégorien est le lieu de la prière. Il peut aussi être celui des larmes. Elles ne sont pas amères. Dans le flot des voix grégoriennes qui exaltent, adorent, implorent, tout homme peut s’abandonner. Il est ce petit enfant qui n’a plus peur. Sa mère veille.

Dans un vers, Rainer Maria Rilke écrivait que « seule la louange ouvre un espace à la plainte ». L’âme du grégorien est là. Il est une louange merveilleuse et désintéressée. Il n’a pas de prix. Les voix des moines ouvrent à des espaces douloureux, car le grégorien révèle l’homme à lui-même. Par lui, le voile se déchire. Il purifie. Il pousse doucement les portes du mystère. Verlaine s’émerveillait de « l’inflexion des voix chères qui se sont tues ». Le grégorien nous fait entendre l’inflexion des voix de ceux que nous verrons au Ciel. Ce sont des échos lointains. Mais le Ciel est déjà là.

Le moine vit chaque jour avec le grégorien. Il passe sa vie à chanter. C’est une grave erreur de tenir cela pour rien. Le fils de saint Benoît suit scrupuleusement la règle et se souvient de ses mots : « En présence des anges je te chanterai des psaumes. » Les frères ne se fatiguent jamais ; le grégorien est un champ insoupçonné de liberté. En présence des anges, tout est possible.

À Fontgombault, la pratique du grégorien est enracinée dans la longue tradition solesmienne. Formés par leur abbaye mère, les premiers moines de Fontgombault ont naturellement gardé leurs anciennes traditions liturgiques. La Sarthe et la Creuse n’ont pas voulu se séparer.

Le premier supérieur de Fontgombault, dom Édouard Roux, était attaché à la méthode dite de Solesmes, enseignée par dom Mocquereau et dom Gajard. Dom Roux écrivait à ce dernier, le 5 novembre 1939 : « Il est bien vrai que j’ai toujours aimé, approuvé, encouragé, en toute simplicité et candeur parce qu’il me suffit d’y voir de la vraie prière, votre façon d’interpréter le grégorien. Là aussi il y a une tradition solesmienne qu’il ne faudra pas laisser périr. »

Ces lignes furent le fil d’or de la pratique grégorienne à Fontgombault. Depuis bientôt soixante-quinze ans, les quatre abbés ont eu à cœur de conserver la tradition, et les moines ont suivi cette ligne de conduite.

Les pères chantent le grégorien pour mieux prier. Il est écrit dans la Constitution de Vatican II sur la liturgie, Sacrosanctum concilium : « L’Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ; c’est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales d’ailleurs, doit occuper la première place. »

Dans l’abbaye berrichonne, le jeune prieur est aussi le maître de chœur. Pour parler du grégorien, dom Jean-Baptiste aime citer Benoît XVI, qui écrivait dans une lettre au chancelier de l’Institut pontifical de musique sacrée, le 13 mai 2011 : « Pour comprendre le chant des moines, il faut se souvenir que la célébration de la liturgie, qui est leur activité principale, est une action de Dieu à travers l’Église. »

En écoutant les moines, on se demande comment ils peuvent atteindre une telle perfection vocale. Certes, l’acoustique de l’abbatiale est exceptionnelle. Mais tous les arts demandent une discipline douloureuse. Les heures de travail, les moments de découragement, les embellies se succèdent. Le grégorien n’échappe pas à cette règle. L’expérience quotidienne est la meilleure formation. Il est indispensable de travailler : le grégorien ne s’improvise pas.

À Fontgombault, l’enseignement est dispensé dans des classes de chant hebdomadaires. Le samedi soir, les pères de chœur suivent une classe de vingt-cinq minutes. Depuis trois ans, les frères convers y assistent une fois par mois. Ces cours sont variés. Le maître de chœur peut faire répéter quelques pièces. Il pare au plus pressé : solfège difficile, style fragile, pièce complexe. L’étude, la lecture et l’application d’un commentaire musical, ou l’écoute d’enregistrements, ceux de Solesmes en particulier, sont un excellent moyen de faire progresser le chœur.

La schola, composée des chantres de l’abbaye, assiste à une classe de chant hebdomadaire supplémentaire, d’environ trente minutes. Elle est plus technique, du fait du niveau des chantres et de leur nombre restreint. Il y a huit frères en schola, six qui chantent à la messe, et deux autres qui assurent les remplacements quand l’un est occupé à une autre fonction. La schola est l’élément moteur chargé d’entraîner le chœur.

Les novices reçoivent une formation supplémentaire, plus substantielle pour les novices de chœur. Ils suivent les cours de la Schola Saint-Grégoire, une académie internationale de musique sacrée, attachée à la méthode de Solesmes. Enfin, une fois l’an, les moines suivent une session de technique vocale et une autre de chant grégorien.

Le père abbé est catégorique : « Ce travail n’a qu’un but : la prière. » Pour bien prier, il faut bien chanter, et pour bien chanter, il faut travailler. Le premier maître de chœur de Fontgombault, dom Jacques Lonsagne, écrivait en 1956 dans la Revue grégorienne : « Observez le chanteur sans théorie. À chaque instant il est dans l’embarras. Il sait par cœur les intervalles, car il ignore son solfège. Mais les multiples nuances du rythme le surprennent à chaque instant. Son art est fragile, car il est dépourvu d’une idée maîtresse, contraint à chaque instant de se refaire une idée de tout. La prière chantée de l’Église ne peut être savourée sans préparation. […] L’Église ne repousse aucune forme de prière. Mais le chant grégorien est son langage, celui des enfants de la maison […]. Or, dans une famille, il existe tout un ensemble d’habitudes connues, mots, regards, intonation de voix, gestes que ne peut comprendre l’invité d’un jour. C’est dans un tel climat que devient réelle et compréhensible l’influence des moyens techniques sur cette prière plus parfaite que nous appelons, sans trop grande rigueur de terme, contemplation. »

Copyright : Fayard - 2020

A lire aussi : Voyage au cœur de la vie monastique de l’abbaye de Fontgombault

Extrait du livre de Nicolas Diat, « Le Grand bonheur, vie des moines », publié aux éditions Fayard

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