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Large pénurie de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur en France : mais comment en sommes-nous arrivés là (et surtout comment en sortir)?
©Reuters

Casse-tête

Près de 530 médicaments de type MITM (médicaments d'intérêt thérapeutique majeur) ont connu une pénurie en 2017. Une carence qui trouve sa source dans différents facteurs.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : La France fait face à une pénurie de "médicaments d'intérêt thérapeutique majeur" depuis 2014 avec près de 530 médicaments indisponibles dans l'Hexagone. Quels sont ces médicaments et comment expliquer cette pénurie ?

Stéphane Gayet : Les médicaments « d’intérêt thérapeutique majeur » (MITM) sont des médicaments qu’il est toujours préjudiciable et même souvent dangereux d’arrêter. Ils se situent en cela à l’opposé des médicaments parois qualifiés de médicaments de confort ou de médicaments d’intérêt discutable. L’arrêt d’un médicament d’intérêt thérapeutique majeur peut nuire gravement à la santé et même favoriser un décès à court ou moyen terme. Dans la mesure où ces médicaments sont des produits dont l’efficacité et la nécessité sont parfaitement établies, leur arrêt constitue au minimum ce qu’il est convenu d’appeler une « perte de chance » importante pour la personne soignée, étant donné la gravité de la maladie qu’ils soignent.

On considère qu’un médicament est en pénurie quand on est incapable de le procurer à un patient dans un délai de trois jours, cela malgré la performance des réseaux de grossistes fournisseurs des officines.

Cette catégorie de médicaments comprend des produits anti-infectieux (vaccins, antibiotiques, antiviraux…), des produits à visée cardio-vasculaire (traitement de l’hypertension artérielle, des troubles du rythme cardiaque, anticoagulants…), des produits à visée neurologique (traitement de l’épilepsie, de la maladie de Parkinson, des psychoses chroniques sévères…), des produits à visée hormonale (hormone thyroïdienne, insuline…) ou encore des produits anti-cancéreux.

Cette pénurie a plusieurs causes.

Les laboratoires pharmaceutiques, comme la plupart des industries, fabriquent de plus en plus selon le principe des « flux tendus », qui consiste à réduire le plus possible les stocks. Car les stocks importants ont de multiples inconvénients (gestion, coût, pertes, péremption…). Les flux tendus sont permis grâce à une optimisation des processus de fabrication. Mais les exigences de qualité augmentent, ce qui entraîne des pertes lors de la production (rejet de lots non conformes).

Certains médicaments ne sont pas rentables pour les laboratoires (médicaments anciens et médicaments vendus en petit nombre) qui en arrivent pour cette raison à ralentir ou même cesser (plus ou moins temporairement) leur fabrication.

La demande de médicaments a tendance à augmenter. La santé se mondialise. L’accès aux soins se développe dans de nombreux pays, ce qui génère un accroissement de la consommation médicamenteuse.

Certains malades chroniques, voyant la pénurie venir, parviennent à se constituer des stocks parfois importants, ce qui aggrave encore la pénurie.

Quelle est la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques et de la mondialisation dans cette pénurie ?

On ne peut pas occulter le fait que la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques dans cette pénurie est au premier plan.

On voudrait que les laboratoires pharmaceutiques soient des entreprises vertueuses, au motif qu’ils fabriquent des produits de santé – en l’occurrence des médicaments et des dispositifs médicaux – et que la santé passe avant tout. Mais les laboratoires pharmaceutiques ont les mêmes objectifs de gestion, de rentabilité, de profit et de croissance que toutes les entreprises privées. Pour quelle raison devraient-ils se montrer vertueux ?

Les laboratoires pharmaceutiques sont très attentifs aux lois et règlements, aux exigences sécuritaires, aux contrôles qualité, à l’information des professionnels de santé et des patients ainsi qu’à la pharmacovigilance (surveillance, enregistrement et analyse des effets indésirables après commercialisation). Mais ils sont des entreprises privées qui doivent sans cesse optimiser leur fabrication et leur gestion, tout en développant la recherche. Leurs profits se sont fortement réduits depuis l’avènement des produits génériques et la pluie de contraintes réglementaires et commerciales qui leur ont été imposées par les pouvoirs exécutifs successifs.

Lorsqu’un médicament n’est pas rentable, on peut forcément s’attendre à ce que le laboratoire qui le fabrique réduise voire cesse sa fabrication. C’est comme pour toute industrie, il n’y a rien d’étonnant. Ce ne sont alors que les lois, règlements et directives qui peuvent le faire changer. Mais les laboratoires pharmaceutiques sont de très puissants lobbies et ne se laissent pas faire. C’est aussi simple que cela. Ils ne manquent pas de stratégie pour parvenir à leurs fins : par exemple, cesser la commercialisation d’un médicament peu rentable ; puis effectuer ensuite une nouvelle demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le même produit, légèrement modifié, mais avec un prix multiplié par 20 ou 30… Et cela peut fonctionner, car ils sont fort habiles.

Enfin, comment pourrait-on faire pour mettre fin à ces pénuries ?

Il n’existe pas de solution magique pour mettre fin aux pénuries. Un formulaire de déclaration de rupture de stock à l’attention des laboratoires est disponible sur le site internet de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) depuis 2014. Une loi a été promulguée en 2016 concernant la gestion des pénuries médicamenteuses. Des dispositions sont donc déjà en place pour encadrer les pénuries.

Le pouvoir exécutif peut difficilement se lancer dans un bras de fer avec les laboratoires pharmaceutiques sur ce sujet. Car, depuis des années, il ne cesse de les contraindre à des prix compressés au maximum. La France est l’un des pays industrialisés où les prix des médicaments sont les plus bas : c’est du reste une autre clef d’explication de cette pénurie. Va-t-on réaugmenter le prix de médicaments non rentables ? Les laboratoires n’attendent que cela, mais la conjoncture actuelle ne s’y prête pas tellement. C’est pourtant une solution préconisée par plusieurs experts.

Une autre solution consisterait en le développement de nouveaux médicaments génériques dans les domaines où ils sont absents. Mais la qualité de leur fabrication est toujours l’objet de nombreuses critiques et de controverses.

En somme, cette pénurie médicamenteuse reste un problème entier actuellement. Elle a tendance à s’aggraver. En 2016, ce sont environ 400 médicaments qui étaient concernés. Les ruptures de stock ont augmenté de 30 % en 2017, pour dépasser le chiffre de 500 en fin d’année. Voilà où nous en sommes. Les mois à venir s’annoncent donc tendus pour les malades concernés.

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