Lahore, Glasgow, Yémen : comment la persécution des chrétiens par les intégristes musulmans s'aggrave partout dans le monde<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Lahore, Glasgow, Yémen : comment la persécution des chrétiens par les intégristes musulmans s'aggrave partout dans le monde
©Reuters

De mal en pis

Le week-end de Pâques a été endeuillé à Lahore, au Pakistan. La ville a essuyé une attaque visant exclusivement des chrétiens (mais tuant également des musulmans) et faisant au total 70 victimes. Pour le vendredi saint, l'Etat Islamique a également choisi de s'en prendre aux chrétiens d'Orient. Partout dans le monde, les violences faites aux Chrétiens connaissent une forte hausse, d'autant plus inquiétante qu'elle est niée par les pays musulmans.

Samuel Lieven

Samuel Lieven

Journaliste au quotidien La Croix, Samuel Lieven a coordonné le "Livre noir de la condition des chrétiens dans les monde" (XO Editions). Il a réalisé de nombreux reportages sur le sort des minorités chrétiennes au Proche-Orient et au Pakistan.

Voir la bio »
Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

Voir la bio »

Atlantico : Dimanche 27 mars, à l'occasion du week-end de Pâques, la ville de Lahore (Pakistan) a été la cible d'attentats meurtriers. L'attaque, qui a fait plus de 70 victimes, était ouvertement anti-chrétienne. Lors du vendredi saint, l'Etat Islamique a également crucifié un prêtre au Yémen. Au cours de ces dernières années, quel bilan peut-on dresser du sort réservé aux chrétiens dans le monde ? Quels sont les moteurs d'une telle situation ?

Samuel Lieven : Il faut savoir que depuis une vingtaine d'années, les violences anti-chrétiens sont en augmentation dans le monde. Plusieurs rapports l'établissent depuis des années, la plupart du temps réalisé par des ONG concessionnelles. Cela étant, elles le font avec beaucoup de compétences et de relais sur le terrain, comme l'AED (Aide à Eglise en Détresse, catholique) ou Portes Ouvertes (protestant). Leur constat est clair : les persécutions à l'encontre des chrétiens connaissent une réelle intensification. Cela va de la simple brimade, de la discrimination au quotidien – comme c'est le cas pour les coptes d'Egypte, par exemple – à des persécutions bien plus violentes, comme en témoignent les événements d'Irak et de Syrie coordonnés par l'Etat Islamique. C'est vrai aussi pour les attentats qui ont frappé le Pakistan. Globalement, cela concerne 150 à 200 millions de chrétiens, toutes confessions confondues, qui ne peuvent pas vivre leur foi librement sur Terre. Ces violences, d'après les données du Pew Research Forum – un organisme de recherche américain – ont lieu dans 139 à 140 pays… lesquels ont tous – à différents degrés – un problème avec la liberté religieuse. Au sein de ces Etats, les chrétiens font partie des populations prises à parti.

Les causes sont nombreuses et variables et diffèrent évidemment selon les pays. Cette répression est parfois ce que l'on appelle une répression d'Etat, politique, comme on la trouve dans les régimes les plus autoritaires. Rappelons d'ailleurs que c'était – au XX ème siècle – le type de persécution le plus souvent rencontré. C'est toujours le cas aujourd'hui, comme cela peut-être le cas en Chine où les niveaux de répression varient selon les régions. Je pense également au Vietnam ou à l'Arabie Saoudite. Cependant, même si ce modèle reste dominant, il existe aussi des persécutions qui relèvent davantage de l'ordre social. Le Pakistan correspond plutôt à ce type de violences-là. C'est au sein-même de la société qu'il va être difficile de vivre et de s'afficher comme chrétien. Encore une fois, bien évidemment, cela dépendra toujours de l'endroit où l'on se trouve.

Le Pakistan, pour revenir sur ce cas-ci, est très spécifique en cela qu'il cumule les deux aspects : une pression très forte, couplée à un Gouvernement de sensibilité islamiste depuis au moins deux ans. Ici, les chrétiens écopent donc d'une double peine : en plus de tout ce que l'on constate aussi bien au Proche-Orient qu'en Afrique ou en Asie, à savoir l'assimilation du chrétien à l'Occident (le chrétien est souvent considéré comme la 5ème colonne de l'Occident), les chrétiens du Pakistan ne sont pas des autochtones… Ce sont des convertis. Ces chrétiens se sont convertis sous l'action de missionnaires au XIXème siècle. En outre, ils appartiennent aux anciennes castes les plus méprisées de l'ancienne société indienne, dont le Pakistan s'est séparé en 1947. Le simple fait d'appartenir à ces castes, avant même d'être chrétiens, les met sur les bans de la société. Dès lors, les chrétiens pakistanais, une goutte de 2% dans un océan musulman en voie de radicalisation depuis trente ans, vivent dans des conditions déplorables. Etre chrétien, c'est être pauvre, c'est n'avoir aucune élite, aucun représentant sur lequel s'appuyer. Ils vivent reclus, dans ce que l'on appelle des colonies, qui ne sont en fait que des bidonvilles autour des grandes citées comme Islamabad ou Lahore. Enfin, en plus de cela, une violence indéniable se déchaîne contre eux, à l'origine de l'attentat de Peshawar en 2014, ou l'attentat de Pâques 2016. Il y a donc une double peine : l'appartenance à une caste méprisée depuis l'ancienne société indienne ; et le fait d'être chrétien dans un contexte de radicalisation musulmane, téléguidée par le pouvoir du temps de Zia-ul-Haq, dictateur dans les années 1980. La population a été bâtie sur un fond de pauvreté et d'illettrisme, comme c'est malheureusement souvent le cas dans cette région du globe. Les esprits sont chauffés à blanc par un islamisme très agressif. Le tout est couronné par une culture de foule, parfois imprévisible et il devient assez aisé de prendre à parti n'importe qui… et les chrétiens sont souvent dans le collimateur. Ce qui résulte parfois sur des épisodes de violences très forts.

Alexandre Del Valle :Les chrétiens dans le monde, depuis des dizaines d'années, sont de loin les membres d'une religion les plus persécutés, ceci tant en pays musulmans, qu’en Inde ou en Corée du Nord, en Chine, ou encore dans certaines parties du Vietnam, d’Asie centrale ou d'Afrique. Depuis que l'islamisme radical a remplacé le panarabisme dans les années 1980, les chrétiens ne sont plus protégés par une idéologie panarabe plus ou moins laïque qui les préservait face à l’islamisme alors jugulé. Tant que les chrétiens étaient associés au nationalisme arabe, laissant de côté leur chrétienté derrière cette idéologie, ils étaient quelque peu épargnés car l’arabisme les incluait en tant qu’Arabes et était en conflit avec le panislamisme. Or, depuis l'avènement du panislamisme et de la réislamisation générale de pays arabes et musulmans, les laïcs, les non-croyants et surtout les chrétiens constituent les premières victimes en tant que « mauvais » citoyens,, "cinquième colonne" de l’Occident à cause de leur religion chrétienne diabolisée en tant qu’associée à "l’Occident impérialiste" honni et en conflit avec le projet islamiste . 

Dans les années 1980, à part en Tunisie, au Maroc et en Iran, les juifs ont été le principal objet de détestation et de démonisation, notamment en milieu nationaliste arabe, et ils furent alors renvoyés de nombreux pays arabo-musulmans (Egypte, Irak, Algérie, etc). On s'en prenait alors aux juifs en tant que « cinquième colonne » de l’Occident et d’Israëls; mais depuis les années 1980-1990, le chrétien a remplacé le juif en tant que "mauvais citoyen" et nouvelle figure du Mal occidental puisque "de même religion que l’Occident". Cette association entre christianisme et Occident a été terrible pour les chrétiens, tout à coup considérés comme des étrangers et de traîtres dans des pays où ils étaient pourtant implantés 7 siècles avant les communautés arabo-musulmanes. 

Depuis 20 ans donc, les chrétiens sont donc persécutés de deux principales manières: premièrement par des actes terroristes croissants à leur encontre, phénomène qui a commencé de façon massive dans les années 1980 en Egypte, notamment ; et deuxièmement par la voie légale et officielle, c’est-à-dire au gré de la ré-islamisation des différentes législations partout où l'islamisme est devenu leur principale inspiration et où la Charia est appliquée ou citée comme source des lois. Cette dernière forme de persécution - « officielle » - hélas passée sous silence au nom du refus de l’amalgame et des logiques diplomatiques afin de garder de bonnes relations avec des pays « alliés », ne garantit pas le même poids aux minorités face aux musulmans dans le cadre des tribunaux islamiques, favorisant toujours la victoire judiciaire du musulman et considérant le non-musulman et en général le non-sunnite comme un ennemi intérieur doublé d’un inférieur et d’un danger pour l’islam, donc suspect permanent et cible de détestations populaires et légales. Je qualifie cette deuxième persécution de « christianophobie légale", la première étant plus médiatique par essence et plus difficile à taire en raison du caractère spectaculaire du terrorisme.

A Glasgow, un commerçant musulman particulièrement apprécié a été poignardé à mort après avoir publié ses vœux de Pâques à ses proches et à sa "nation chrétienne bien-aimée" sur les réseaux sociaux. Cette tendance anti-chrétienne a-t-elle également lieu en Occident ? Dans quelles proportions ? Comment expliquer cette situation ?

Samuel Lieven : Il est toujours difficile de mettre sur le même plan ce qui est susceptible de se passer au Pakistan, en Irak, au Nigéria, ou dans n'importe quel pays comparable, avec ce qu'il se passe en Europe. Fondamentalement, nous vivons dans les sociétés les mieux notées – d'après des instruments objectifs – en matière de respect des droits de l'Homme et de la liberté religieuse. Il est primordial de rappeler ce point.

Cependant, il existe effectivement des phénomènes d'importation des problèmes intercommunautaires. Ceux-ci engendrent, sur nos territoires, des scènes qui paraissent à des années-lumières de ce que nous sommes capables de faire. Nos sociétés sont sécularisées, nous n'imaginons pas que cela puisse arriver… mais cela arrive parce que vivent sur nos territoires des gens sensibles à ces discours de haine et d'exclusion sur des bases religieuses ou idéologiques. Cela ne signifie pas qu'il faille en tirer des conclusions relatives à un antichristianisme particulier. D'autres l'ont fait mieux que moi, comme René Rémond avec son ouvrage Le christianisme en accusation. Dans son travail, il expliquait comment le christianisme, devenu à ce point minoritaire, pouvait être plus facilement montré du doigt. Un malaise existe, qu'on ne peut pas nier. Nous ne sommes évidemment pas sur le même plan en matière de violences pour autant.

Alexandre Del Valle :Il y a une telle haine favorisée en Occident contre les chrétiens, notamment par des groupes d'extrême-gauche et anticléricaux violemment anti-chrétiens, qu'on assiste depuis des décennies à une banalisation de la christianophobie et même de la violence perpétrée dans le monde comme chez nous contre la chrétienté, caricaturée à outrance et réduite aux croisades, à l’intolérance ou aux cas de pédophilie. Cette banalisation de la christianophobie en Occident semble bien moins condamnée et réprouvée que l’islamophobie, par les politiques, les intellectuels et les campagnes de lutte contre la racisme qui visent toujours principalement la haine des blancs-européens-chrétiens envers les extra-européens et musulmans comme si nos sociétés n’avaient pas changé avec l’immigration de masse et comme si le racisme et la haine n’étaient toujours qu’à sens unique. D’après moi, ce phénomène propre à nos sociétés post-chrétiennes repentantes et complexées est un facteur aggravant et qui prépare le lit puis banalise, voire exonère, une autre forme de christianophobie décrite plus haut, celle qui touche le monde non-occidental principalement islamique. Or étant donné qu’au lieu de promouvoir en Europe un Islam des Lumières nos politiques ont laissé se développer partout un islam radical ou ultra-conservateur sponsorisé ou diffusé par des Etats ou organisations islamiques adeptes d’une perception diabolisante des juifs, des Chrétiens et de tout ce qui n’est pas « islamiquement correct », les grands pôles de ce que j’appelle le « totalitarisme islamiste » comme les Frères musulmans, l'Arabie-Saoudite, le Pakistan, le Tabligh, le Qatar, etc, ont fanatisé à travers leurs méfias, prédicateurs et centres islamiques et mosquées une christianophobie inhérente à leur conception totalitaire de l’islam et à leur obsession de ne pas voir les musulmans s’intégrer aux valeurs « impies » des sociétés d'accueil. Cette idéologie islamiste radicale présente chez nous et à l’image du phénomène mondial de la réislamisation promue par ces pôles, est totalitaire, haineuse, intolérante, comme jadis le nazisme ou le communisme, dans le sens où elle veut imposer à la Terre entière son idéologie qui a notamment pour fondement la lutte et la haine contre l’Autre non-soumis ou non-conforme. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on voit si peu d'Etats ou d'organisations musulmanes protester lorsqu'un meurtre est commis au nom de l’islam alors que ces pôles orchestrent des scandales médiatiques à échelle mondiale au moindre évènement de caricature de Mahomet ou de blasphème ou moquerie de l'islam. Le terrorisme islamiste qui se développe en Europe et fanatise de nombreux adeptes contre les juifs , les chrétiens ou les « païens » a la même source doctrinale que l'islamisme conservateur qu'on appelle à tort « fondamentalisme » et que professent des Etats « amis » et « alliés » comme l’Arabie saoudite, le Maroc, la Turquie ou le Qatar et le Koweït.  

Le phénomène de l’islamisation fondamentaliste et de la radicalisation contre les minorités chrétiennes ou autres est selon moi un phénomène global qui touche tous les pays du monde, tous les pays musulmans et toutes les sociétés où des communautés musulmanes travaillées par l’idéologie islamiste portée par les pôles pré-cités. Certains pays musulmans résistent encore à cette vague mondiale, comme notamment l'Albanie, la Bosnie ou les pays ex-soviétiques d’Asie centrale turcophones. Mais la plupart des pays musulmans aujourd'hui sont incités par l'Arabie-Saoudite, les Frères musulmans et autres pôles à appliquer des pans entiers de la Charia, ce qui passe par l'enseignement du mépris de tout ce qui n'est pas musulman. Puisque l'Europe n'a pas été capable de créer son islam, confiant son organisation à ces mêmes Etats qui ont radicalisé les pays musulmans, il est logique que nous retrouvions, certes dans des proportions moindres, ces mêmes tendances en Europe. L'islam européen n'est que le reflet de la vague de fond mondiale de la réislamisation radicale et de la haine contre l'Occident. L'islamisme totalitaire est un mélange d'islam orthodoxe (salafisme, wahhabisme saoudien) et de tiers-mondisme vomissant l’Occident, perçu comme le pays des « Croisés". C'est pourquoi les attentats de Bruxelles sont revendiqués par l’EI contre les "croisés" belges alors que la Belgique n'a plus grand-chose de chrétien à l'heure actuelle. Les chrétiens d'Orient paient donc le prix de cette perception diabolisante de l'Occident.  

Parmi toutes les nations à éviter, pour les chrétiens, quelles sont les plus christianophobes ? Quelles sont les évolutions les plus frappantes ?

Samuel Lieven : S'il fallait se livrer à un "hit-parade", la Corée du Nord est sans aucun doute le pays le plus dangereux. Hormis le culte de la famille régnante, aucune autre religion n'est autorisée. Dans le livre que j'ai coordonné, Livre noir de la condition des chrétiens dans le monde, nous avons recueilli des témoignages ; notamment celui d'une septuagénaire qui a pu gagner la Corée du Sud. Elle se souvenait qu'il n'était pas possible de simplement fermer les yeux et adopter une attitude de prière. Se réunir à deux ou trois pour échanger sur sa foi valait également un aller simple vers l'équivalent local du goulag.

L'Arabie Saoudite compte également parmi les candidats de poids. Elle se conçoit comme une gigantesque mosquée à ciel ouvert où seul l'islam wahhabite est autorisé. De nombreux chrétiens – environ deux millions – y vivent, mais ils se cachent quand il s'agit de célébrer. Il n'y a pas, là-bas, la possibilité d'entretenir une église, avec un évêque et de la catéchèse. C'est simplement impossible en Arabie Saoudite.

Pour des raisons politiques et politico-religieuses, il s'agit là des deux pays les plus fermés. Il est possible, bien sûr, d'en citer d'autres, mais ceux-là remportent la palme. Il va de soi qu'il ne fait pas bon être chrétien dans les zones en guerre en Irak et en Syrie, sous l'Etat Islamique. Dans des pays comme le Soudan, particulièrement au Nord, c'est également très compliqué.

La christianophobie n'est pas, il me semble, affichée de façon officielle. Certes, il y a de plus en plus de sociétés qui se durcissent et deviennent monolithiques comme c'est le cas de l'islam wahhabite… qui pose un problème à l'échelle du Proche-Orient tout entier. On le constate bien avec l'Etat Islamique : il y a une volonté de vider le Proche-Orient de ses diverses minorités et sensibilités religieuses pour créer un wahhabisme universel – l'islam dans sa version la plus dure et la plus intolérante qui soit – et toutes les sociétés n'y résistent pas nécessairement aussi bien. C'est ici que c'est le plus dangereux pour les chrétiens, mais aussi pour le Proche-Orient qui risque de tout y perdre : sa diversité, sa capacité à envisager l'avenir, sa modernisation… Les chrétiens font partie du Proche-Orient depuis les origines du christianisme et le relient au reste du monde. Il y a un vrai risque, tout juste suivi par un second risque par un durcissement entre un islam en voie de radicalisation et un christianisme très présent dans la ceinture subsaharienne. La zone de contact est réelle, les relations de plus en plus difficiles. Au Sud-Soudan, 2 millions de chrétiens ont perdu la vie en un demi-siècle. C'est un génocide qui ne dit pas son nom. Au Pakistan, les deux plus gros attentats depuis 2014 sont ouvertement anti-chrétiens et le pouvoir ne fait pas grand-chose pour l'empêcher. Ici aussi, le siècle qui s'ouvre pourrait-être très compliqué pour les chrétiens.

Alexandre Del Valle : Il faut éviter l'Arabie-Saoudite, surtout les zones méridionales proches du Yémen et les lieux non-urbanisés où il y a peu d’Occidentaux. Idem pour les régions du Pakistan proches de l’Afghanistan et l’Afghanistan lui-même puis pour le Yémen et la zone Irak-Syrie (exceptées les zones contrôlées par les Kurdes et le régime d’Assad. Après, chaque pays est hétérogène, tout dépend du lieu précis, de la région, du motif du déplacement : par exemple, dans certaines régions de pays islamistes parrains de l’islamisme radial comme le Koweit ou le Qatar, la vie est plutôt tranquille et sure pour ceux qui viennent y travailler sans y faire souche et sont protégés par leur compagnie et leurs ambassades et restent en quartier occidentalisé. par contre, les chrétiens sont véritablement en danger et massivement persécutés, qu’ils soient occidentaux ou autochtones dans des pays en conflit global face au terrorisme ou dans le cadre du choc Sunnites-Chiites :  Pakistan, Afghanistan, Yémen, Arabie-Saoudite, Iraq, Syrie, pays où l'Occident est impliqué militairement de près ou de loin. Rappelons également que ces dernières années, les pays où des moines, bonnes soeurs et prélats catholiques ont le plus été attaqués et tués sont la Turquie, le Yémen, le Soudan, la Somalie, la Syrie, le Nigeria, l’Irak, le Pakistan et l’Afghanistan. Pour ce qui est de la Turquie, les média des pays de l’OTAN sont étonnement discrets concernant la christianophobie montante, de même qu’aux Maldives, où les fêtes de Noël ont été interdites comme dans le Nord occupé de Chypre et zone turque. J’ajouterai également les pays du Maghreb et certains pays d'Afrique noire comme le Nord du Nigéria, mais aussi le Soudan du Nord, le Mali, le Niger, le Nord de la Côte d'Ivoire ou l’Erythrée etc, où le christianisme est soit persécuté, soit brimé ou menacé, notamment au nom de la lutte contre le prosélytisme. Pour ce qui est des pays non-musulmans, citons la Corée du Nord, certaines régions de Chine et du Vietnam, ainsi que certains Etats fédérés hindouistes-fondamentalistes en Inde gérés par le parti BJP et l’idéologie radicalement anti-chrétienne du RSS (Hindoutva) professée à l’origine par l’actuel premier ministre indien Narendra Modi. 

Cette situation est-elle la même selon que l'on soit un chrétien occidental ou local ? Quelles différences constate-t-on ?

Samuel Lieven : Le chrétien local est malchanceux. Au Proche-Orient, le chrétien local est un arabe… Prenons l'exemple d'un chrétien irakien : il fait partie de la population mais demeure montré du doigt par les islamistes, comme s'il était la 5ème colonne de l'Occident. Cette assimilation fait que, d'une manière générale, être chrétien signifie appartenir à une catégorie à part. Celle du "il n'est pas comme nous". Le chrétien demeure un étranger. Dans l'esprit des extrémistes, être chrétien ou être occidental, c'est la même chose.

Au Pakistan, puisqu'ils sont convertis de fraîche date (un siècle à un siècle et demi), il subsiste également un sentiment de trahison à leur égard. Cela varie évidemment selon l'histoire des communautés ; mais l'assimilation du chrétien à l'Occident explique beaucoup de choses. En Inde, par exemple, c'est ce qui rend fou les extrémistes : les chrétiens ne représentent, en Inde, que 2% de la population (soit tout de même 20 millions de personnes). Quand bien même ils jouent un rôle important dans la santé, dans l'éducation, ils sont vus, par une minorité de militants nationalistes extrémistes, comme un complice de l'Occident, cherchant uniquement à pourrir la société hindoue de l'intérieur. Cette assimilation réveille de vieilles rancœurs, les vieilles humiliations historiques – qui sont des réalités – et le chrétien est celui qui endossera ce processus de vengeance et celui sur qui on lave l'humiliation.

Alexandre Del Valle : Aujourd'hui, des pays comme ceux du Maghreb, le Koweit, le Qatar, la Turquie prétendent être très respectueux de leurs chrétiens dès lors que ceux-ci sont occidentaux. Quand un chrétien occidental américain, par exemple, travaille au Maroc, en Turquie, en Tunisie, en Algérie, ou dans les pays du Golfe, excepté l’Arabie saoudite, on peut avoir effectivement l'impression qu'ils sont respectés car des lieux de culte leur sont mis à disposition. Mais ces pays pratiquent un véritable double langage à cet égard, un un double jeu, car la liberté apparemment accordée au chrétien occidental de passage est conditionnée à une interdiction absolue de prosélytisme et contrastée par une interdiction totale pour le musulman autochtone de naissance de devenir chrétien, « apostasie » sévèrement punie par la loi en vigueur et source de danger grave pour l’intégrité physique sans oublier l’ostracisme familial et clanique. Le chrétien autochtone est en effet considéré comme une anomalie dans les pays arabes, excepté le Liban; Rappelons que le leader révolutionnaire panarabe et tiers-mondiste Mouammar Kadhafi, pourtant anti-islamiste et ennemi juré de Daesh et Al-Qaïda et des Frères musulmans puis de l’Arabie saoudite et du Qatar, affirmait, dans le cadre de la guerre du Liban, ne pas pouvoir concevoir l'existence même d’un Arabe non musulman et chrétien.

La plupart des Arabes musulmans sunnites ont cette vision. En milieu musulman "réislamisé" de façon orthodoxe ou radicale, on supporte très mal ou pas du tout que l'autochtone ait la même religion que l'Occidental, alors que la chrétienté de ce dernier peut parfois être tolérée dès lors qu'il ne convertit personne et reste discret sur sa foi et sa pratique. En Turquie, par exemple, où le double jeu et l’absence de réciprocité en matière de liberté religieuse confinent à l’art, il y a une douzaine d'années, Erdogan avait été salué par les naïfs pays européens alors « erdoganophiles » en pour avoir fait implanter des églises et synagogues dans les stations balnéaires du pays destinées aux touristes occidentaux et israéliens, ceci au nom d’une nouvelle Turquie candidate à l’entrée dans l’UE et respectueuse des minorités. Mais dans le même temps, le régime AKP d’Erdogan renforçait l’islamisation du pays, la perception négative des Chrétiens, niait le génocide des Araméens-syriaques et Arméniens et tannait de passer sous silence la persécution officielle des missionnaires et convertis évangéliques puis l’assassinat de nombreux musulmans convertis à l’évangélisme (Malatya) et de prêtres et hauts prélats catholiques comme Mgr Luigi Padovese, et Santoro, etc. 

Le même double jeu caractérise le Maroc, l’Algérie et la plupart des pays musulmans qui exigent la liberté religieuse et le droit au prosélytisme pour les musulmans dans nos sociétés (où ils investissent les mosquées et autres centres islamiques prosélytes) alors qu’ils criminalisent ce même droit pour les chrétiens chez eux… Bref, l’Occident post-chrétien accepte un double standard, une tolérance à sens unique au nom d’une politique d’apaisement censée améliorer les relations bilatérales, mais « l’omerta islamiquement correcte » de dirigeants quant au sort des Chrétiens persécutés en pays d’islam ne fait qu’augmenter le sentiment d’impunité et encourage ces pays à persécuter leurs minorités. Notre silence est selon moi coupable du processus d’éradication des chrétientés en cours dans de nombreux pays musulmans. Nous sommes par notre lâcheté complices de ce que j’ai appelé dans mon livre « Pourquoi on tue les chrétiens dans le monde » la « nouvelle Solution finale des chrétientés » d’Orient.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !