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La sculpture en bronze « Le Penseur » d'Auguste Rodin est photographiée devant l'Hôtel Biron abritant le Musée Rodin à Paris.
La sculpture en bronze « Le Penseur » d'Auguste Rodin est photographiée devant l'Hôtel Biron abritant le Musée Rodin à Paris.
©Joël SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Bertrand Vergely publie « La vulnérabilité ou la force oubliée » chez Le Passeur éditeur. Nous entretenons avec la vulnérabilité des rapports contradictoires et douloureux. Le philosophe Bertrand Vergely s'emploie, dans cet ouvrage, à tracer un chemin libérateur en revisitant les grands thèmes qui gravitent autour des notions de « fort » et de « faible ». Extrait 2/2.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Il faut être fort, ne pas être vulnérable au sens négatif du terme. On ne doit pas jouer avec la sécurité. On ne doit pas se laisser aller à des faiblesses coupables. On doit au contraire être fort afin de pouvoir donner de la force à ceux qui en ont le plus besoin, les plus faibles, les plus fragiles, les plus vulnérables. On doit également être lucide. Nous ne sommes que des hommes. Ne l’oublions pas. Nous sommes limités. Ne l’oublions pas non plus. On est grand quand on se reconnaît limité et que l’on accepte ses faiblesses. On est vrai. On est homme. On ne joue pas à être celui que l’on n’est pas. On cesse de ce fait de surprotéger. À quoi bon protéger un être faux ? Vivons plutôt le visage découvert en avançant les mains nues.

On appelle vulnérabilité positive le fait d’accepter ses faiblesses. On a raison. Un être humain est toujours émouvant quand il accepte sa limite et ses faiblesses. Il cesse d’être arrogant. On respire. Cette simplicité et cette honnêteté font respirer le monde.

Tout n’est cependant pas dit à propos de la vulnérabilité positive. Celle-ci ne consiste pas uniquement à accepter ses limites. Elle consiste aussi à être heureux et, mieux encore, à savoir l’être.

Être vulnérable consiste à pouvoir être blessé. Pouvoir être blessé veut dire que l’on est fragile. On n’est pas protégé extérieurement. Il manque effectivement une protection pour être vraiment en sécurité. Toutefois, pouvoir être blessé ne renvoie pas simplement à une fragilité. Il y a là aussi une liberté. Capables d’être blessés, c’est ce que nous sommes tous en permanence. Quand nous sortons dans la rue, nous ne sortons pas avec une armure, un casque, un bouclier et une lance. Nous sortons sans rien. Cela ne nous empêche pas de vivre. Au contraire ! Si l’on portait avec soi une armure, un casque, un bouclier et une lance, on ne pourrait pas marcher ni se relier les uns aux autres. Vulnérables, de ce fait, c’est ce que nous sommes en permanence. Heureusement. C’est ce qui nous permet de vivre.

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Psychologiquement, la vulnérabilité positive est un test. Lorsque l’on est une personnalité équilibrée, on n’a pas peur d’être vulnérable. Au contraire. On se sent libre. On a fait une conversion intérieure. On se sent libre non pas parce que l’on est protégé, mais parce qu’on ne l’est pas. On s’est débarrassé de toutes les peurs qui faisaient désirer une protection surpuissante. On s’est dépouillé. On a gagné de l’insouciance. Cela n’a pas de prix. La vie heureuse est une vie insouciante. « Le savetier et le financier » de La Fontaine est une belle image de cette vie insouciante en mettant en scène deux personnages totalement opposés. Le savetier chante du matin au soir. Il n’est pas riche. Qu’importe. Il a mieux que la richesse extérieure et financière. Il aime ce qu’il fait. Cet amour le rend riche. Le financier, lui, vit sur un tas d’or. Cela ne le rend nullement heureux. Ayant peur de le perdre, désirant par ailleurs l’augmenter sans cesse, il vit dans un souci continuel. Si bien qu’il ne dort plus. Le savetier est vulnérable. Cela ne le préoccupe guère. Au contraire. C’est ce qui le rend heureux. Il n’a pas les soucis du financier. Le financier est invulnérable. C’est son drame. Ayant peur de perdre cette invulnérabilité, il vit dans un souci continuel.

Nous possédons cette richesse inestimable qui s’appelle la vie. Issue de la création du monde, celle-ci est porteuse du souffle de la vie. Lorsque l’on est capable de vivre en laissant vivre en soi ce souffle, on a tout. Ayant tout, on a la joie infinie consistant à se sentir vivant. Le monde est beau et la vie a du goût. Cette beauté et ce goût viennent du souffle de la vie. Les Anciens entendaient par « vie parfaite » la vie capable de se contenter d’elle-même. Ils entendaient par « sage » celui qui était capable de vivre cette vie parfaite. Lorsqu’un homme était capable de vivre une telle vie, il était tellement rayonnant que l’on venait de loin pour le voir. Les Anciens avaient tout compris. Le sage qui mène la vie la plus heureuse qui soit est celui qui a accepté sa vulnérabilité.

Nous avons tout en nous, mais nous ne le savons pas. Nous vivons le plus souvent à l’envers en pensant que nous n’avons rien et que nous sommes abandonnés de tout et de tous. Jusqu’à ce que nous découvrions que nous avons tout. On s’en rend compte avec le temps, en apercevant combien il est vain de passer son temps à acquérir afin de se protéger. En avançant dans le temps, on avance en expérience. En avançant en expérience, on avance en simplicité.

La vulnérabilité positive est la même chose que la joie. Elle est aussi la même chose que l’humour. Pouvoir être blessé sans en être blessé, quand on y songe, c’est ce que fait constamment celui qui a de l’humour. Quelqu’un vous insulte. Au lieu de vous fâcher, vous en riez en tournant l’insulte de façon à la faire passer du négatif au positif. Vous avez de l’humour. Vous avez su aller au-delà de l’humeur. En faisant preuve d’insouciance, on se libère de tout souci. En faisant preuve d’humour, on libère le monde de tout souci.

Le monde est blessé. Rien d’étonnant à cela. Il se blesse tout seul pour un oui ou pour un non. Il manque d’insouciance et d’humour. Il n’a pas appris à être vulnérable. Il n’a pas encore compris combien il est salutaire de pouvoir être blessé sans en être blessé.

Extrait du livre de Bertrand Vergely, « La vulnérabilité ou la force oubliée », publié chez Le Passeur éditeur

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