La vulnérabilité, cette force oubliée<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
La vulnérabilité, cette force oubliée
©DR

Bonnes feuilles

Bertrand Vergely publie "La Vulnérabilité ou la force oubliée" chez Le Passeur éditeur. Il est nécessaire de sortir de l'opposition du couple fort-faible et de la violence qu'il engendre. Cela est rendu possible grâce à la vulnérabilité, la plus grande force qui soit. Extrait 1/2.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

Voir la bio »

Nous entretenons avec la vulnérabilité des rapports pour le moins contradictoires. D’un côté, voyant en elle une fragilité nous ne la tenons nullement pour une vertu. Au contraire ! Pensant qu’il est important de ne pas être vulnérable, nous faisons tout pour nous ne pas l’être. Quand certaines personnes le sont, nous pensons qu’il est de notre devoir de leur porter secours. D’une façon générale, nous croyons qu’il est du devoir de la collectivité et des pouvoirs publics de prendre en charge les personnes vulnérables en les considérant comme faisant partie des populations à risque. Les enfants, les personnes âgées et les femmes enceintes sont cataloguées comme faisant partie de cette catégorie. Les handicapés et les personnes atteintes de maladies chroniques également. Les toxicomanes, les alcooliques et les personnes atteintes de troubles psychologiques ou psychiatriques sont elles aussi rangées dans la catégorie des personnes vulnérables mais avec en plus la mention « populations à risques ».

La vulnérabilité est un souci. D’un autre côté toutefois, nous avons tendance à penser qu’il n’y a rien de plus beau, celle-ci étant synonyme de sensibilité, de tendresse et d’humanité. D’où un autre discours. Certes, les enfants, les personnes âgées et les femmes enceintes sont vulnérables, mais que de beauté et que de grâce dans leur capacité de moins bien se défendre ! Que de courage chez ceux et celles qui vivent dans le handicap ou bien encore dans la maladie chronique. Que d’émotion dans le drame que vivent les toxicomanes, les alcooliques ou bien encore les personnes atteintes de troubles psychologiques et psychiatriques. De ce fait, que d’interrogations suscitées par cette beauté, cette tendresse, cette humanité, ce courage et cette émotion. On parle de fort et de faible. Mais qui est fort ? Et qui est faible ? Vivre quand on est faible n’est-il pas plus fort que de vivre quand on est fort ?

La question de la vulnérabilité est une vieille question dans notre culture parce que la question du fort du faible ne cesse de se poser. Il faut être fort et ne pas être faible. Mais peut-on n’être que fort ? Il est humain d’être fragile voire faible ? Mais, jusqu’où est-il humain de l’être ?

Nous avons du mal à trancher de telles questions. Rien de plus normal. Nous avons tendance à mêler ensemble trois niveaux de sens.

Le terme vulnérabilité vient du latin vulnus qui veut dire la blessure. Renvoyant au fait de pouvoir être blessé, et voulant dire que l’on peut être blessé, il signifie trois choses.

En premier lieu, pouvoir être blessé ne veut pas dire qu’on l’est. Il importe de faire la distinction. On ne la fait pas toujours. On pense que, parce que l’on peut être blessé, on l’est. C’est une erreur. Quand on est vulnérable, on n’est pas blessé. On ne l’est pas encore. Quand on est blessé, on n’est plus vulnérable. On a cessé de l’être. On était menacé. On n’est plus menacé. On est atteint.

D’où le deuxième sens de la vulnérabilité, à savoir le fait de pouvoir être blessé. La vie pour vivre a besoin de se défendre. Pour se défendre, elle a besoin d’avoir un système de défense. Que ce système en vienne à avoir une faille ? Pouvant être blessé et par la même atteint, on n’est plus protégé. Certes, on n’est pas blessé. On n’est pas atteint. Mais du fait qu’on peut l’être, on est affaibli.

Enfin, il y a un troisième sens de la vulnérabilité qui n’est pas négatif mais positif. Dans la vie courante, nous évoluons sans armes, le visage découvert, en tenue légère voire dénudée. N’ayant rien pour nous protéger, nous sommes vulnérables. Nous pouvons être blessés. Nous n’en souffrons pas pour autant. Nous ne nous sentons ni blessés, ni atteints, ni affaiblis. Au contraire. Nous nous sentons légers. Rien ne nous protège ? Quelle respiration ! Nous sommes dans la liberté de la vie. Étant dans cette liberté, nous éprouvons une force surprenante. Ayant confiance en nous, nous sommes un. Étant un, nous avons la force que donne l’un. N’étant pas l’ennemi de nous-mêmes, la force de la vie peut venir nous habiter, nous porter et nous protéger.

Nous nous interrogeons à propos du fort et du faible en nous opposant parfois à ce sujet. Il faut être faible et non fort, dit Rousseau. Il faut être fort et non faible, dit Nietzsche. Et si la réponse à ce dilemme était ailleurs ?

Quand il est question de la vulnérabilité, à l’évidence, nous mélangeons deux niveaux de réalité. Le premier est matériel, le second moral.

Matériellement, il faut être fort, sinon on ne survit pas. De ce fait, il faut veiller à la sécurité. On n’a pas le droit à l’erreur. On ne peut pas se permettre d’être vulnérable. Par ailleurs, mentalement il importe d’être libre, sinon on ne vit pas. De ce fait, il faut veiller à la liberté et, n’ayant pas droit à l’erreur, on ne peut pas ne pas être vulnérable.

On s’en aperçoit donc, la question de la vulnérabilité ne relève pas du fort et du faible parce qu’elle relève en profondeur de l’équilibre entre le niveau matériel de l’existence et le niveau moral de celle-ci.

La vulnérabilité ne serait pas un problème si l’être humain était soit un être matériel soit un être moral. On pourrait alors se contenter d’être fort ou bien d’être faible. Or, tel n’est pas le cas. À la fois matériel et moral, s’il veut pouvoir survivre et vivre, l’être humain se doit d’être fort et faible et non pas fort ou faible. Tenir ensemble le fort et le faible n’est pas facile. Ce n’est pas impossible cependant. Dès lors que l’on est dans l’intelligence de la force et du faible, ce qui s’oppose cesse de s’opposer. Le grand équilibre de la vie qui consiste à être fort et libre à la fois le montre. Il suffit de l’écouter.

Extrait du livre de Bertrand Vergely, "La Vulnérabilité ou la force oubliée", publié chez Le Passeur éditeur. 

Lien vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !