La Tunisie et la Libye sont-elles en train de basculer définitivement sous la coupe des islamistes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les salafistes s'en prennent à tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à des signes de "modernité occidentale".
Les salafistes s'en prennent à tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à des signes de "modernité occidentale".
©Reuters

Hold-up religieux

La Tunisie et la Libye, que l'on pensait immunisées contre l'extrémisme fondamentaliste, sont en train de subir de plus en plus le joug du salafisme. Le printemps arabe sera-t-il suivi d'un hiver fondamentaliste ?

Karim  Douichi

Karim Douichi

Karim Douichi est journaliste et analyste politique marocain sur le site maghreb-intelligence

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Devant la bâtisse en feu abritant l’école américaine de Tunis, Raouf B., ingénieur informaticien travaillant pour le compte d’une multinationale, n’en revient pas du spectacle de désolation offert en ce vendredi 14 septembre. La foule qui a manifesté contre la sortie d’un film portant atteinte au prophète Mahomet a tout saccagé. Raouf B., venu manifester lui aussi pacifiquement s’est vite rendu compte que la foule est manipulée par des prédicateurs salafistes. "Ils étaient reconnaissables à leurs habits afghans et à leurs longues barbes. Ils haranguaient la foule et vociféraient leur haine de tout ce qui est américain et occidental", raconte Raouf. B. A l’image de plusieurs jeunes tunisiens, cet ingénieur qui gagne bien sa vie ne sort plus que rarement. Alors que sous le régime du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, il écumait les boîtes de nuit de Hamamet au moins une fois par semaine, aujourd’hui il ne consomme plus d’alcool et essaie de prier régulièrement.

"Arrêter l’alcool et prier sont devenus une manière de se faire accepter dans une société qui est en train d’opérer un virage radical vers un conservatisme chaque jour plus pressant", reconnait le jeune tunisien. En effet, depuis la chute du régime de Ben Ali, les choses empirent. Les salafistes s’en prennent à tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à des signes de "modernité occidentale".

Avec l’arrivée d’Ennahda au pouvoir, des centaines de salafistes sont sortis de leurs tanières. L’université de Mednine a été prise en otage pendant de longues semaines par un groupuscule de fondamentalistes. Les pouvoirs publics ont fini par céder. Alors que des films d’auteurs et des expositions à caractère culturels étaient envisagés, manifestations violentes et sit-in à répétition s’enchaînent pour les interdire. Le gouvernement cède encore une autre fois et la liste de ses renoncements est longue.

Dans les moindres coins et recoins de cette Tunisie jadis considérée comme le pays le plus laïc du monde arabe, le voile du salafisme s’étend chaque jour un peu plus. Les promesses du printemps arabe commencé par cette fort-sympathique "révolution du jasmin" tourne au cauchemar. D’après les observateurs, le pays n’a pas été préparé au rapide changement intervenu début 2011. Les forces modernistes étaient soit compromises avec l’ancien régime, soit coupées de la réalité du pays. "En plus, la situation chez les voisins n’a rien arrangé", constate un ex-ambassadeur tunisien, aujourd’hui installé à Paris…

Bien entendu, la situation en Libye a eu des répercussions en Tunisie. Et pas des plus reluisantes. La révolte contre Mouammar Kadhafi a été sanglante et a trop duré. Des combattants salafistes sont arrivés en Libye par centaines. L’argent du Qatar et de l’Arabie Saoudite a facilité le reste. Le discours salafiste a alors fait son lit de cette ambiance de fin de règne.

Les anciens du groupe libyen combattant ont été réhabilités dans une atmosphère de retrouvailles nationales. Si lors des premières élections libres en Libye, les islamistes salafistes n’ont pas pu prendre le dessus sur les forces libérales, ils ont par contre noyauté quasiment toutes les candidatures indépendantes. Du coup, le nouveau président du Congrès national libyen - élu alors que son parti ne compte que 3 sièges dans la nouvelle Assemblée - est un brin islamiste, de même pour le Premier ministre qui lui aussi a plus que des atomes crochues avec les barbus.

Aujourd’hui, en Libye ce sont les réseaux islamistes qui sont les mieux organisés. Ils s’appuient sur un tribalisme conservateur et sur l’argent qui vient des pays du Golfe. Certains groupuscules salafistes contrôlent des petites localités et ont même infiltré la nouvelle administration libyenne. Si l’assassinat de l’ambassadeur américain à Benghazi est un crime horrible, ce qui est encore plus choquant, c’est qu’aucune manifestation de sympathie en faveur des Etats-Unis n’a été constatée dans les rues des grandes villes libyennes, alors que ce pays a envoyé - sous couvert de l’Otan - ses avions chasser Mouammar Kadhafi du pouvoir. Une indication significative de l’humeur actuelle du peuple libyen et un signal du déclenchement probable de ce tant redouté "hiver salafiste", liberticide et violent, qui semble s' installer doucement et sûrement dans les pays arabes libérés il y a tout juste un an et demi des dictatures qui les opprimaient.

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