La santé mentale des enfants de moins de cinq ans est souvent ignorée. Et les conséquences peuvent être sérieuses<!-- --> | Atlantico.fr
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Des enfants dessinent dans une école maternelle de Saint-Ouen.
Des enfants dessinent dans une école maternelle de Saint-Ouen.
©Thomas SAMSON / AFP

Détresse des enfants

Selon un rapport du Royal College of Psychiatrists, la majorité des enfants de moins de 5 ans souffrant de problèmes de santé mentale ne reçoivent pas le niveau de soutien nécessaire pour atteindre leur plein potentiel.

Gilles-Marie Valet

Gilles-Marie Valet

Le Docteur Gilles-Marie Valet est psychiatre et pédopschychiatre à Paris, où il exerce en cabinet privé. Il dirige également, en tant que praticien hospitalier, un centre médico -psychologique pour enfants et adolescents dans le sud de Paris. Il a écrit plusieurs ouvrages: "Moi j'aime pas trop l'école" aux éditions Albin Michel ,et chez Larousse: "L'enfant de 6 à 11ans", "l'âge de raison", "se faire obéir sans (forcement) punir" ou "Dites pas ci, dites cela - Toutes les expressions à adopter pour une éducation positive" aux éditions Hugo Doc.

 

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Atlantico : C'est une étude britannique qui a attiré notre attention. Un rapport du Collège Royal des psychiatres indique que la majorité des enfants de moins de 5 ans souffrant de problèmes de santé mentale ne reçoivent pas le niveau de soutien nécessaire pour atteindre leur plein potentiel. Est-ce la même chose en France ? 

Gilles-Marie Vallet : Pour le savoir, il faudrait faire des statistiques pour avoir des données précises et chiffrées. Ce serait d'ailleurs intéressant que l'HAS (la Haute Autorité de Santé), fasse une étude parce que cela permet ensuite d'obtenir des financements, de recruter du personnel, etc. Pour autant, pour avoir longtemps travaillé en CMP (Centre Médico-Psychologique) et en partenariat avec les PMI, (protection maternelle et Infantile) et les écoles maternelles; j'ai pu constater que même lorsqu'il y a un repérage précoce d'enfants présentant des troubles ; les prises en charge proposées sont souvent insuffisantes. 

Ce sont des enfants qui auraient besoin de prise en charge soutenue, de stimulation précoce intense avec psychomotricité, orthophonie, prise en charge groupale. C'est vrai qu'en psychothérapie, il n'est pas proposé l'ensemble de l'arsenal dont ils auraient besoin. Donc effectivement, je rejoins tout à fait cette remarque. En France, heureusement, nous pouvons proposer des soins parce qu'il y a des structures adaptées. Mais ces soins sont souvent insuffisants, faute de professionnels. À nouveau, je n'ai pas de statistiques à vous donner, mais nous observons une augmentation des demandes, donc une augmentation des troubles. Effectivement, sur le dernier CMPP (Centre Médico Psycho-Pédagogique) que j'ai dirigé, nous avions une liste d'attentes de trois à six mois et je ne me plains pas, car certains CMPP ont un an d'attente. Cela signifie qu'un enfant dépisté à deux ans ne commence à recevoir des soins qu'à trois ans, ce qui est extrêmement tard quand nous savons que ces troubles ont besoin d'être pris en charge très précocement.

Selon ce rapport, la moitié des problèmes de santé mentale surviennent avant l'âge de 14 ans. Chez ces jeunes malades, la période allant de 1 à 5 ans est essentielle pour assurer le développement sain des enfants jusqu'à l'âge adulte. Intervenir très tôt peut aider à empêcher l'apparition ou l'aggravation de maladies? 

Tout à fait. Prenons un exemple assez ciblé mais qui est très éloquent, ce sont les troubles autistiques qui sont regroupés aujourd'hui dans ce qu'on appelle les troubles neuro-développementaux. Nous avons observé que de très jeunes patients (des nourrissons) vont présenter ce qu'on appelle des signes d'alerte ou des risques d'évolution autistique. Si ces enfants sont pris en charge très précocement, nous pouvons éviter l'installation d'un trouble autistique. Très précocement, cela veut dire dès la première année : dans les trois ou les six premiers mois. Si nous détectons des troubles des interactions précoces, c'est qu'il faut intervenir à ce moment-là. Des troubles qui vont se révéler à l'école, à l'entrée de la maternelle vers trois ou quatre ans, sont des troubles des apprentissages que l'on aurait pu prendre en charge plus tôt pour éviter que les choses s'aggravent. Un autre exemple, au sein d'un hôpital de jour dont je m'occupe, nous repérons, certains jeunes qui vont décompenser à l'adolescence des difficultés qu'ils présentaient déjà dans l'enfance, mais qui avaient été repérées, sans toujours être véritablement pris en charge. Le système scolaire ou éducatif ne permet pas un soin efficace qui dure. Et à l'occasion d'une situation un peu traumatique pendant l'adolescence, un cas de déménagement ou d'un divorce par exemple, cet enfant peut développer un trouble psychiatrique plus net.

Sans forcément parler de diagnostic ou de mots scientifiques, ce dont nous parlons chez les tout petits, c'est ce qu'on appelle des troubles neuro-développementaux. Lors du développement, les fonctions de base vont rencontrer des difficultés de développement. Il s'agit de la communication, du développement des fonctions sociales, du développement intellectuel, du développement de l'attention, mais aussi parfois du développement des fonctions associées, comme la mémoire, la motricité fine, etc. Tout cela se développe de façon pas complètement structurée. 

Vous avez parlé de troubles autistiques. Quand on est parents, à quels signes faut-il prêter attention ? 

Plus que des troubles autistiques, ce dont nous parlons aujourd'hui ce sont des troubles neuro-développementaux parce que le développement peut être affecté très précocement. Je pense que ce sur quoi il faut alerter, ou en tout cas sensibiliser, c'est tout ce qui concerne le développement précoce des interactions. Il ne s'agit pas non plus de faire paniquer les parents, mais de sensibiliser les parents sur un bébé qui ne sourit pas, ou qui ne pleure pas par exemple. Parce que, paradoxalement, les parents sont plus inquiets d'un bébé qui pleure tout le temps ou qui a du mal à dormir, alors qu'un nourrisson de un à trois mois qui ne fait pas ses nuits, n'est pas problématique. Contrairement à un nourrisson qui ne pleure pas, qui ne sourit pas, ou dont les interactions sont sélectives. Je crois qu'il est vraiment essentiel d'alerter les parents par rapport à cela. Un nourrisson, puis un bébé, puis un enfant qui va développer ce qu'on appelle des intérêts sélectifs, c'est-à-dire qui va ne s'intéresser qu'aux images, notamment celles des écrans ou des téléphones portables; c'est quelque chose qui doit alerter. Le bébé doit être en interaction, même s'il ne parle pas encore. Il doit gazouiller. Il doit rire quand on s'approche de lui. Il doit pleurer quand il a faim ou quand il est mouillé. Les troubles du développement peuvent être remarqués très précocément. C’est le cas également des troubles de l'attention, qui rendent l'enfant distrait tout le temps. Il ne lui est pas possible de maintenir son attention sur un jeu ou sur des images que ses parents lui montrent. Un exemple classique, un enfant qui ne suit pas du regard un chat qui se balade dans la pièce, va sans doute avoir des difficultés à fixer son attention. Ce sont autant de petits signes qui peuvent interroger sans pour autant alarmer. À ce moment- là, il convient de consulter à la PMI ou dans des centres d'intervention précoce pour demander un avis. A partir de 18 mois, on remarque bien lorsqu’un enfant a un retard de développement de la parole, c'est-à-dire qui ne parle pas ou qui n'a que quelques mots dans son bagage lexical. C'est à la maternelle que l'on peut être plus catégorique car c'est à cette période qu’a lieu tout le jeu des interactions avec le groupe d'enfants. Interactions qui vont permettre une harmonisation si l'enfant présentait un retard dans tel ou tel domaine ou au contraire, elles vont aggraver et rendre plus net le décalage. Dans ce cas, ce sera important de consulter.

La santé mentale des enfants et des parents est primordiale pour lutter contre la maladie. Comment sont-ils soutenus dans cette épreuve ?

Je pense qu’il est important de dire aux parents que ce dont on parle, c'est de développement et que rien n'est ancré. Au contraire, c'est justement grâce à une prise en charge, grâce à un soutien, grâce à des stimulations que le cours du développement peut reprendre et s'harmoniser. Il faut rassurer les parents. Beaucoup d'entre eux pensent, peut-être par manque de confiance dans leur parentalité, qu'ils laisser leurs enfants livrés à eux-mêmes avec les téléphones portables auxquels ils ont accès de plus en plus tôt, et qui représentent un vrai frein au développement. Pour répondre à ce défi, beaucoup de centres accueillent les parents et leurs enfants pour favoriser des activités qui soient à la fois éducatives, mais aussi soignantes. Les outils de la psychomotricité ou de l'orthophonie sont utilisés, pour aider au développement du langage, de la motricité, des interactions mais par le support du jeu entre parents et enfants.

Faut-il davantage de soutien? Si oui, que faire ? Comment les aider au maximum ?

Je pense qu'il y a plusieurs pistes. D’abord, la piste associative. Il faudrait multiplier les maisons vertes, les associations de parents, les groupes, qui peuvent aider à accompagner les parents, sans être médicalisés. Ensuite, nous avons besoin de professionnels. Si nous avons les centres, les CMP, les PMI, et les lieux spécialisés pour les troubles de développement précoce ; nous manquons de personnel. Certes cela nécessite un budget important. Mais il faudrait pouvoir recruter plus de professionnels, à tous les niveaux. Car nous manquons de médecins, de puéricultrices, d’infirmières, d'aides-soignants, de monitrices-éducatrices ou d'éducateurs de jeunes enfants. Mais nous manquons aussi, et c’est peut- être le plus grave, de motivation. Il faut redonner la lumière à toutes ces professions qui s'occupent des enfants car, bien souvent, le dépistage de ces troubles se fait à l'école maternelle. Les troubles de la petite enfance, non dépistés, créent des difficultés qui vont s’exprimer plus tard.

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