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La révolution (économique) de Xi Jinping change sans le dire la stratégie qui a fait de la Chine une superpuissance économique. Remous planétaires garantis
©NOEL CELIS / AFP

Alerte aux effets secondaires

En renforçant la mainmise du Parti communiste chinois sur l’économie du pays et sur le secteur privé, Xi Jinping semble se détourner des réformes pro-marché qui ont fait le succès de la Chine depuis la fin des années 70. Quelles pourraient-être les conséquences de ce changement ?

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron est géographe et spécialiste de la Chine contemporaine. Il a enseigné la géographie et la géopolitique de la Chine à l’INALCO de 2014 à 2018. Il est enseignant-chercheur associé à l'Ecole navale.

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Atlantico. fr : En renforçant la mainmise du Parti sur l’économie du pays et notamment sur le secteur privé, Xi Jinping semble se détourner des réformes pro-marché qui ont fait le succès de la Chine depuis la fin des années 70. Pourquoi ce revirement ?

Emmanuel Véron : Le 5e Plénum du 19e Comité central du Parti communiste chinois (réunissant 364 membres titulaires et suppléants du Comité Central), qui s’est tenu fin octobre dernier à huis clos dévoila le prochain plan quinquennal (2021-2025) mais aussi une nouveauté dans le narratif du pouvoir : la « Vision 2035 ». Cet exercice politique a été l’occasion pour Xi Jinping de continuer de préparer son maintien au pouvoir après le 20e Congrès du PCC en octobre 2022. Le lancement de ce nouveau programme « Vision 2035 » en parallèle de l’annonce du 14e Plan quinquennal est plutôt inhabituel. Cette démarche est généralement dévolue au Premier ministre (à l’instar du programme « Made in China 2025 », lancé en 2015 par Li Keqiang). 2035 est à mi-chemin entre 2021 et les objectifs vantés de 2049. Le choix des nombres et des dates, toujours symboliques, suggère une installation du pouvoir de Xi Jinping dans la durée (une revanche sur le passé et ses longues difficultés à être admis au PCC).  

Le pouvoir central se détourne et n'encourage pas l'économie privée, d'abord et avant tout dans une logique de contrôle. 

Ainsi, si le document du 14e Plan (2021-2025) et cette nouvelle « Vision 2035 » sont validées lors des réunions politiques en mars 2021, il n’en demeure pas moins que les thèmes mis en avant sont directement liés à trois paramètres essentiels qui font la Chine d’aujourd’hui : ralentissement économique et modalités de transformation technologique ; le maintien au pouvoir de Xi Jinping et la rivalité accrue avec les Etats-Unis, plus largement avec l’Occident.

Le document du plénum n’apporte pas de nouveautés singulières. Pour autant, il synthétise plusieurs aspects politique et économique, connus et débattus depuis plus d’une décennie :

  • Remplacer la forte croissance par une croissance moindre et de qualité.

  • Rééquilibrer l’économie avec une réforme structurelle sur l’offre.  

  • Développer la demande intérieure tout en poursuivant les exportations.

  • Modernisation du pays grâce à l’innovation et aux progrès technologiques.

  • Promouvoir une production haut de gamme, « intelligente et verte ».

Ces quelques thèmes rappellent les grandes orientations économiques souhaitées et le volontarisme des choix technologiques et sécuritaires du régime, qui restent très massivement articulés à l’Etat. Lors du plénum, essentiellement trois mots, devenus clés ont été mentionnés plus de vingt fois : « sécurité », « innovation », et « technologie ». Malgré un rebond du PIB au deuxième trimestre de 3,2 % par rapport à 2019 (essentiellement tiré par l’export et le soutien de l’Etat dans l’investissement dans les infrastructures), les termes de « croissance économique » ont été délaissés. Il y a donc, d’un côté, l’annonce des perspectives à 5 ans dans le cadre du Plan et une projection au-delà avec la « Vision 2035 ». En complément du nouveau concept de « double circulation » (shuang xunhuan), l’idée principale porte essentiellement sur l’autosuffisance dans un environnement stratégique tendu (et accéléré), notamment avec les partenaires technologiques occidentaux, contributeurs technologiques de la puissance industrielle chinoise. La volonté de développer le marché intérieur (difficile et probablement impossible dans un contexte de régime autoritaire) se double d’une question stratégique d’approvisionnement et de débouchés à l’international, alors même que le géant Huawei (par exemple) traverse de fortes difficultés. 

Michael Pettis, professeur de finance à l’université de Pékin, rappelait récemment que la « croissance chinoise est tirée par un endettement et un système financier inefficace ». D’autre part, le secteur privé est année après année dans une situation dépréciative. Depuis 2015, les investissements réalisés par les entreprises privées sont en nets recul.

Comment la disgrâce de Jack Ma, fondateur du géant Alibaba, illustre-t-elle ce changement de paradigme ?

Dans une volonté de contrôle absolue, l’autorité centrale accentue l’emprise du Parti-Etat sur le secteur privé. La crise du Covid-19 et sa gestion politique par le régime dans la continuité du passé récent n’a fait qu’accélérer cette emprise. Contrôle des conseils d’administration, des orientations (stratégiques et économiques) des entreprises, privations de crédits, sanctions […] les mesures sont de plus en plus visibles, de plus en plus strictes avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. En atteste dernièrement, la suspension, début novembre dernier, de l’entrée en bourse de Ant Group (géant de la fintech, basée à Hangzhou, adossée au groupe Alibaba de Jack Ma). Ce devait être l’introduction en bourse la plus importante, faisant de Shanghai une place boursière rivale de New-York. L’objectif de l’introduction en bourse était contradictoire avec l’objectif national de maîtrise des risques financiers.  La contradiction est grande entre le développement économique et financier chinois à l’international et sa libéralisation en interne.

On peut se poser la question de savoir si à termes, les marchés ne seront plus mondiaux ? La Chine souhaite dominer les échanges et imposera des taxes, plus largement une accessibilité ou non à son marché.

Aussi, il est important de rappeler la généalogie de Jack Ma. Cette opération qui est politique est menée dans le cadre d'un "nettoyage" du secteur des nouvelles technologies. Mais c'est aussi en raison des liens de Jack Ma (la réalisation de sa gloire et de sa fortune) avec l'ancien président Jiang Zemin. Ce dernier dont les réseaux multisectoriels et politiques ont donné la Chine d'avant Xi Jinping et en réseaux rivaux de Xi Jinping. Depuis son arrivé au sommet du pouvoir, Xi Jinping a cherché et continue de chercher à réduire ces réseaux. A fortiori à l'approche du Centième anniversaire du PCC et du 20e Congrès en 2022, les purges se poursuivent ou changent d'échelle à travers le cas Jack Ma.

Quelles pourraient-être les conséquences de ce changement de politique économique, pour la Chine et pour le monde ?

Le contenu précis du 14ème Plan quinquennal sera rendu public au mois de mars prochain lors des prochaines réunions politiques (« deux assemblées » liang hui). Si le détail du programme économique, technologique, social et de sécurité n’est pas encore donné, il n’en demeure pas moins que la situation reste difficile et lisible. L’annonce fin novembre, de l’éradication de l’extrême pauvreté (dans les derniers districts ruraux du Guizhou) était un objectif politique de plusieurs années. Cela ne prend pas en compte la pauvreté, ni le chômage massif depuis une année (en particulier chez les jeunes et les migrants). La priorité est donnée à la sécurisation de la « matrice Chine » (sécurité intérieure, frontières, forces armées, cyber et technologies de ruptures) tout en renforçant le contrôle du Parti sur les activités (tous azimuts) à l’étranger, dans un contexte de crise mondiale. Ce mouvement de concentration interne et de cristallisation externe n’est pas sans rappeler les questionnements sur les différentes phases d’expansion de l’empire Chinois d’hier.

L'éviction de Jack Ma pourrait constituer un précédent dans le domaine des technologies. 

Hisser la Chine comme La grande puissance d’un monde recentré sur elle-même permet de légitimer l’autoritarisme et le « bon ordre » sous le ciel (tianxia). Ce principe fondamental, loin du marxisme-léninisme, est un argument une nouvelle fois convoqué par Xi Jinping lors du dernier plénum en octobre. Les quelques mots du communiqué officiel rendant compte des conclusions du plénum fin octobre disait : « avec Xi Jinping à la barre du navire « Chine » (…), nous serons certainement capables de surmonter toutes les épreuves et tous les dangers sur notre chemin ».  Officiellement Xi Jinping semble avoir la « légitimité » du mandat du ciel pour le prochain congrès en 2022 ; projetant une Chine, de plus en plus disloquée du reste du monde dans l’incertitude de la stabilité pour la décennie 2020. L’ouverture économique du pays (sous contrôle) dès 1979 ne s’est pas traduite par une ouverture de la société et une libéralisation du politique. A l’opposé de la trajectoire occidentale, le régime poursuit son obsession du contrôle de tout, partout tout le temps. La rigidité du système semble connaître un élan toujours plus manifeste souhaitant taire mordicus toute expression plurielle en Chine et en dehors.

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