La répression, révélateur de l’échec du régime chinois en matière religieuse<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vendeuse dans une boutique de souvenirs à Pékin propose des assiettes décoratives représentant Xi Jinping et Mao Zedong.
Une vendeuse dans une boutique de souvenirs à Pékin propose des assiettes décoratives représentant Xi Jinping et Mao Zedong.
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Bonnes feuilles

Claude Meyer publie « Le renouveau éclatant du spirituel en Chine » aux éditions Bayard. La Chine, pays officiellement athée, traverse aujourd'hui une crise morale qui se traduit par un renouveau spectaculaire du spirituel. Depuis les années 1980, le déclin de l'utopie marxiste minée par les inégalités croissantes et la corruption, la perte des valeurs traditionnelles, l'individualisme et le matérialisme ont fait naître des aspirations spirituelles. Extrait 2/2.

Claude Meyer

Claude Meyer

Claude Meyer, conseiller au centre Asie de l'IFRI (Institut français des relations internationales), a enseigné l'économie et les relations internationales à Sciences Po. Docteur en économie, diplômé en philosophie, sociologie et études asiatiques, il a publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels : "La chine, banquier du monde" (Fayard, 2014) et L'occident face à la renaissance de la Chine (Odile Jacob, 2018).

 

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Le contrôle et la répression s’appliquent de façon différenciée à chaque groupe religieux selon le niveau de menace qu’il représente aux yeux du pouvoir : surveillance étroite mais plutôt bienveillante du bouddhisme chinois et du taoïsme, contrôle étouffant du christianisme officiel, répression implacable des Églises chrétiennes clan‑ destines, persécution féroce du bouddhisme tibétain et de l’islam ouïghour pour des raisons à la fois religieuses et ethniques. Le christianisme en particulier inquiète le pouvoir à un double titre : cette religion « étrangère » compte déjà presque autant de membres que le Parti communiste mais, encore plus grave, l’influence de cette minorité très dynamique se diffuse dans la société chinoise bien au-delà de la sphère religieuse. Cette répression des religions dépasse le strict contrôle des pratiques et s’intègre dans une politique plus large qui vise à endiguer l’émergence d’une véritable société civile : les ONG sont étroitement contrôlées, les mouvements citoyens étouffés, les médias muselés et l’Internet censuré. La liste est longue des citoyens qui risquent la prison pour avoir exprimé des opinions éloignées de la ligne du Parti, qu’ils soient blogueurs, journalistes, avocats ou croyants religieux. Le contrôle des médias d’État est absolu, la censure s’exerce sur toutes les publications et des milliers de sites web sont bloqués, en particulier les sources d’information extérieures telles que journaux étrangers, Twitter, Facebook, etc.

Selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), quarante-sept journalistes étaient derrière les barreaux en décembre 2020 et plusieurs d’entre eux ont été arrêtés pour avoir publié des reportages sur la pandémie de Covid-19 qui s’écartaient de la version officielle. Comme on l’a vu, l’université n’échappe pas à ce besoin frénétique de contrôler l’information : la recherche universitaire est strictement encadrée et les professeurs comme les étudiants doivent faire face à des représailles s’ils s’aventurent à exprimer des opinions jugées critiques à l’égard du Parti. Les efforts déployés pour surveiller les discussions en classe se sont intensifiés, notamment par l’installation de caméras de surveillance, le recrutement d’informateurs étudiants et la supervision des cours des enseignants, dont beaucoup s’autocensurent pour préserver leur carrière et leur sécurité. Depuis janvier 2020, tout matériel pédagogique étranger est interdit dans le secondaire et l’endoctrinement politique, y compris l’étude de la « pensée de Xi Jinping », fait partie du programme.

Ces restrictions entraînent un vide intellectuel sur lequel s’articule une politique de propagande massive qui vise à contrôler les esprits par une « réforme de la pensée ». La manipulation doctrinale et la « rééducation » s’exercent en particulier dans le domaine religieux. Malgré ses engagements à respecter la liberté de croyance, le régime investit d’importantes ressources pour influencer le contenu des textes religieux et les convictions individuelles des croyants ; cette pression va même souvent jusqu’à exiger d’eux qu’ils renoncent à des principes religieux fondamentaux. Des initiatives financées par l’État ont été lancées pour identifier dans les enseignements théologiques les éléments jugés compatibles avec l’idéologie du PCC et les pro‑ mouvoir auprès du clergé et des croyants. L’étude de « la pensée de Xi Jinping » et la formation politique « patriotique » font partie du cursus des séminaristes, complétée périodiquement par des sessions de formation pour le clergé en activité. Cette politique d’endoctrinement est particulièrement coercitive pour les bouddhistes tibétains et les musulmans ouïghours car elle ne vise pas seulement à « rectifier » leurs croyances religieuses, mais aussi finalement à briser leur identité culturelle pour les fondre dans « la grande nation chinoise ».

L’échec du régime en matière religieuse

 Pourtant, malgré les contrôles, la répression et les persécutions, l’expansion des religions se poursuit et les communautés de croyants font preuve d’une impressionnante résilience spirituelle. Ces capacités de résistance révèlent les failles du système à un double niveau. D’une part, l’incapacité à étouffer les religions signe la faillite de l’idéologie communiste, de l’autre, la politique religieuse conduite est contre-productive car elle renforce les capacités de résistance des croyants. Comme on l’a dit, la persistance du fait religieux en Chine contredit l’idée marxiste d’une disparition graduelle de la religion grâce au développement économique qui balayerait inévitablement les croyances « féodales ». Même si le constat est cruel, le pouvoir chinois doit bien admettre aujourd’hui qu’il s’est radicalement trompé sur ce point. Bien que l’économie chinoise et le revenu par habitant aient connu une croissance exponentielle depuis le début des années 1980, la religiosité ne s’est pas dissipée dans la société chinoise, bien au contraire. De nombreux Tibétains continuent de vénérer profondément le Dalaï-Lama, les musulmans ouïghours veulent jeûner pendant le ramadan et faire réciter le Coran à leurs enfants, les chrétiens se pressent dans les églises, des millions de Chinois pratiquent encore secrètement le Falun Gong malgré son interdiction ou s’engagent dans diverses pratiques de méditation spirituelle et rituels religieux.

Non seulement la persistance du fait religieux dément l’idéologie marxiste dont se réclame le régime mais, pire encore, l’expansion irrésistible des groupes religieux prouve que la politique visant à l’endiguer est inefficace et même contre-productive. La répression qui s’intensifie renforce paradoxalement la résistance, cercle vicieux qui illustre l’échec fondamental des politiques religieuses conduites depuis des décennies par les autorités chinoises. Malgré le renforce‑ ment des contrôles, des millions de croyants défient les restrictions officielles dans la vie quotidienne ou s’engagent dans des actions de protestation directe, malgré les risques encourus. Pour les religions qui subissent la répression la plus impitoyable, le bouddhisme tibétain et l’islam ouïghour, les méthodes très brutales utilisées par les autorités entraînent frustration et révolte qui alimentent un renforcement de leur identité religieuse et ethnique. Les chrétiens ne sont pas en reste : ils publient des lettres de protestation, boycottent des cérémonies, prient à l’extérieur d’églises frappées de fermeture administrative ou bloquent physiquement la destruction de croix et de lieux de culte. Paradoxalement, le harcèlement accru à l’égard des Églises chrétiennes officielles entraîne une hémorragie de fidèles vers les Églises clandestines, ce qui est exactement à l’inverse du but recherché par les autorités qui veulent embrigader tous les chrétiens dans les Églises « patriotiques ». Plus grave encore, les actions officielles génèrent ressentiment et activisme chez ceux qui jusqu’alors acceptaient ou même appréciaient la gouvernance du pays. Les contrôles et abus du Parti remettent en cause à leurs yeux sa légitimité, car forcés de pratiquer leur foi illégalement, ils en concluent que le gouvernement et ses règlements sont injustes et même illégitimes. La politique religieuse menée actuellement, si elle se poursuit, n’est donc pas sans risques pour la stabilité sociale.

La sinisation, instrument de lutte idéologique : valeurs chinoises contre valeurs occidentales

Le christianisme, religion « occidentale »

La sinisation est le second volet de la politique religieuse menée par Xi Jinping. Elle concerne toutes les religions même si le bouddhisme et le taoïsme sont déjà largement sinisés. La sinisation du christianisme en particulier est prioritaire car le pouvoir le considère comme une religion étrangère dont les valeurs occidentales sont contraires à la ligne du Parti et incompatibles avec les traditions culturelles chinoises. Cette perception plonge ses racines dans la mémoire longue de la Chine. Dès 1715, après l’interdiction papale des rites chinois, l’empereur Kangxi interdit les missions chrétiennes en Chine car elles sont « sources de problèmes ». Les missionnaires du XIXe siècle, liés aux puissances étrangères, sont vilipendés pour leur complicité avec l’impérialisme des envahisseurs et en outre, pour exiger des fidèles qu’ils renoncent à leur héritage culturel. Le soulèvement des Boxers à partir de 1899 déchaîne des violences contre les missionnaires et les fidèles, dont beaucoup sont massacrés. Plus tard, sous la République, se développe un courant antichrétien, nourri de nationalisme et de marxisme, notamment dans « Le manifeste de la Ligue étudiante antichrétienne de Shanghai », publié en 1922, qui déclare : « Les capitalistes de tous les pays envahissent la Chine pour la couper en morceaux et l’exploiter. L’église chrétienne est la tête de leur colonne d’assaut. »

Les influences étrangères sur le christianisme chinois sont aujourd’hui limitées mais elles existent, notamment chez certains évangéliques et pentecôtistes en lien avec leurs homologues amé‑ ricains ou sud-coréens. On peut cependant s’étonner que le pou‑ voir soit à ce point obsédé par le danger du christianisme perçu comme une religion occidentale. Après tout, il existe des centres de recherche spécialisés proches du Parti qui pourraient corriger sa vision anachronique et lui rappeler que le christianisme n’est plus à dominante occidentale comme il pouvait l’être au XIXe siècle. À ce jour, l’Amérique du Nord et l’Europe ne comptent au total que pour 36 % des chrétiens dans le monde ; de plus, on peut difficilement dire que le christianisme tel qu’il est vécu en Afrique, en Asie, etc., repose sur des pratiques et valeurs occidentales, bien que le contenu même de la foi soit commun.

Il est vrai que certaines valeurs occidentales ont une origine judéo-chrétienne, même si elle n’est pas toujours reconnue dans nos sociétés multiculturelles postmodernes. L’universalisme véhiculé par l’Occident, par exemple, est la traduction séculière de la vocation de l’Église à être catholique (καθολικός, universelle). Même la laïcité trouve ses racines dans la séparation du temporel et du spirituel, long‑ temps oubliée par le clergé mais clairement affirmée dans l’Évangile : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22,15‑22). Ce sont précisément ces deux principes fondateurs du christianisme — l’universalisme et l’autonomie du religieux par rapport au politique — que la Chine actuelle rejette, car ils s’opposent Frontalement à ses propres visées. L’universalisme va à l’encontre de la sinisation idéologique qu’elle conduit sur fond de regain nationaliste et d’exaltation de la « sinitude », porteuse d’une supériorité culturelle et morale. De même, l’autonomie du religieux est un concept inacceptable car les religions doivent être soumises à la primauté du politique. La mission du Parti est précisément de tout contrôler, comme le disait avec fierté Xi Jinping en 2017 à l’ouverture du 19e congrès : « Le gouvernement, l’armée, la société, les écoles, etc. ; au nord, au sud, à l’est et à l’ouest, le Parti dirige tout. »

A lire aussi : Le spectaculaire retour du religieux en Chine

Extrait du livre de Claude Meyer, « Le renouveau éclatant du spirituel en Chine, Renaissance des religions, répression du Parti », publié aux éditions Bayard.

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