La « refondation » de l’image de l’exécutif, c’est pas gagné…<!-- --> | Atlantico.fr
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L'opinion des Français a-t-elle évolué à l'égard d'Emmanuel Macron et d'Elisabeth Borne en cette rentrée politique ?
L'opinion des Français a-t-elle évolué à l'égard d'Emmanuel Macron et d'Elisabeth Borne en cette rentrée politique ?
©GONZALO FUENTES / POOL / AFP

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Si le chef de l’Etat continue de bénéficier, auprès de son cœur de cible, de l’image de celui qui « essaie de réformer un pays impossible à réformer », sa Première ministre est perçue comme souffrant d’un manque de « hauteur » et de « charisme », selon la dernière vague de l’Observatoire de la politique nationale, réalisée par BVA fin septembre pour Orange et RTL.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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La dernière vague de l’Observatoire de la politique nationale, réalisée par BVA fin septembre pour Orange et RTL, donne de très précieuses informations pour comprendre cette rentrée parlementaire et politique, si passionnante, si passionnelle !

Si toute la place est prise, dans le débat public, par la réforme des retraites et par les débats intenses qui traversent notre vie parlementaire (mais aussi malheureusement par les polémiques), trop peu de choses sont dites sur l’image de l’exécutif aujourd’hui. Or, l’exécutif nous a laissés, depuis la rentrée, sur une énigme importante : l’opinion adhère-t-elle à l’idée d’un « Emmanuel Macron 2.0 », celui qui lors de son investiture le 7 mai 2022 déclarait que « le peuple français n'a pas prolongé le mandat qui s'achève, commencé le 14 mai 2017. Ce peuple nouveau, différent d'il y a 5 ans, a confié à un Président nouveau un mandat nouveau » ? Et l’opinion commence-t-elle à mieux identifier Elisabeth Borne ?

Pour répondre à ces deux questions, nous avons souhaité revenir sur les deux questions ouvertes que pose BVA aux personnes interrogées à propos de l’image du Président et de la Première ministre. Notons tout d’abord que nous sommes revenus à une situation où la Première ministre est plus populaire (51%) que le Président (43%). Mais au-delà de cette simple donnée, que nous disent les Français et les Françaises à leur propos ?

En analysant à l’aide des techniques de l’analyse textuelle des données les verbatims des réponses spontanées que donnent les personnes interrogées par BVA, on constate tout d’abord une importante différence dans le corpus des mots utilisés pour parler de la Première ministre et ceux utilisés pour parler du chef de l’Etat : pour parler d’Elisabeth Borne, on utilise un répertoire de mots à la fois moins loquace et plus diversifié que pour parler d’Emmanuel Macron. Si l’on exclut du décompte ce que l’on appelle les « mots outils » ou les « mots vides » (articles, prépositions, conjonctions, pronoms etc.), la question ouverte génère, pour la Première ministre, 912 réponses et 2316 mots dont 50% sont des « mots distincts » ; pour le chef de l’Etat cela donne 944 réponses et 4091 mots dont 40% sont des « mots distincts ». Plus de cinq ans après sa première victoire et cinq mois après la seconde, Emmanuel Macron continue donc de faire beaucoup parler de lui… et davantage que sa cheffe de gouvernement !

Deux remarques doivent être faites néanmoins : d’une part, nos institutions produisent cette asymétrie dans le regard que portent les Françaises et les Français sur les « deux têtes de l’exécutif », en consacrant le rôle prééminent du chef de l’Etat, « monarque républicain » selon l’expression consacrée. D’autre part l’ancienneté dans leurs rôles n’est pas comparable : tandis qu’Emmanuel Macron ne surprend plus et que son image reste très figée, Elisabeth Borne intrigue encore une bonne partie du pays qui ne sait pas très bien qui elle est.

Cette première différence en explique une seconde encore plus essentielle : le répertoire des mots n’est pas du tout le même pour parler du Président et pour parler de la Première ministre. Regardons simplement les mots qui ont la plus grande fréquence pour chacun des deux : du côté d’Emmanuel Macron le mot le plus fréquent est « France » (70 fois) alors que du côté d’Elisabeth Borne c’est… « Macron » (66 fois). Cette différence est particulièrement symptomatique pour la Première ministre : une part importante de l’image d’Elisabeth Borne est structurellement construite autour de l’idée qu’elle est inféodée à Emmanuel Macron et n’existe que dans son ombre. Si l’on analyse le contexte de cette référence à Emmanuel Macron dans l’image d’Elisabeth Borne, on voit que la plupart du temps, il s’agit d’une connotation négative : « du même acabit que le président », « elle ne peut pas faire grand-chose sinon obéir à Macron », « elle suit les directives de E. Macron », « mêmes défauts que Macron », « elle est la voix de son maître... Elle vient de la gauche mais ça ne s'est pas vu dans ses fonctions précédentes sous Macron », « simple exécutante du roi »… Parfois la connotation est bien davantage positive, mais c’est assez rare : « elle n'a pas que de mauvaises idées et pourrait infléchir les idées trop droitières de Macron ».

On ne peut néanmoins réduire l’image d’Elisabeth Borne dans l’opinion à cette seule idée. D’autres mots montrent une image plus nuancée et moins clivée que pour le Président : parmi les mots les plus fréquents utilisés pour parler de la Première ministre, après la référence à Emmanuel Macron, on trouve les mots « femme » (31 fois), « faire » (30), « semble » (29), « sait » (25), « bonne » (20), « sérieuse » (14), « temps » (11), « idées » (10), « air » (9), « efficace » (9). Là encore, l’analyse du contexte d’énonciation de ces mots montre une image plus positive et notamment l’image d’une Elisabeth Borne qui porte avec sérieux et détermination son rôle alors qu’elle est la seconde femme Première ministre en France. L’idée qu’elle « semble » vouloir bien faire et qu’elle « a l’air » de prendre les choses au sérieux et qu’il faut lui laisser du temps revient très régulièrement : « elle a l’air de savoir ce qu’elle veut », « elle a l’air de faire des choses », « elle a l’air de vouloir avancer en tenant compte de l'avis des Français », « elle a l’air compétente », « elle a l’air de prendre son travail au sérieux ». On retrouve ici la différence majeure entre l’image d’Emmanuel Macron et celle de sa Première ministre : si le chef de l’Etat continue de bénéficier, auprès de son cœur de cible, de l’image de celui qui « essaie de réformer un pays impossible à réformer », sa Première ministre est de façon plus transversale perçue comme « ayant l’air » de vouloir faire bien, ce qui ne veut d’ailleurs pas nécessairement dire faire du bien, comme en attestent les verbatims de réponses à la question ouverte chez les sympathisants FI ou RN…

Un point faible très important apparait néanmoins dans l’image que les Françaises et les Français se sont faits d’Elisabeth Borne : elle apparait comme souffrant d’un manque de « hauteur » et de « charisme », une « technocrate » appliquée et sérieuse mais qui ne dégage pas d’affects. Tout se passe comme si, aux yeux de l’opinion, l’image d’Elisabeth Borne se trouvait coincée entre le souvenir laissé par Edouard Philippe (le sérieux technique combiné à une forme de charisme et de hauteur de vue) et celui laissé par Jean Castex (le sérieux technique lié à une certaine bonhomie et proximité). Exister entre ces deux modèles n’est pas chose simple ; si l’électorat crédite Elisabeth Borne de son sérieux, ce sérieux n’arrive pas (pour le moment) à s’incarner dans un personnage auxquels les électrices et les électeurs s’attachent affectivement. Alors qu’Emmanuel Macron ne cesse de générer des affects positifs et plus encore négatifs (les mots « arrogant », « menteur » ou les expressions « président des riches » continuent de pleuvoir sur le Président…), Elisabeth Borne n’inspire presque aucun terme chaleureusement laudatif ou passionnellement critique.

Que conclure de cette analyse textuelle ? Tout d’abord, l’image d’Emmanuel Macron ne varie quasiment plus : elle s’est définitivement structurée autour d’une polarisation dure comme de la pierre, d’un côté le « réformateur qui essaie de réformer le pays qui ne veut pas se réformer » et de l’autre côté « l’arrogant président des riches » qui est fondamentalement éloigné du « peuple ». La gestion de crise est devenue tellement associée à l’image d’Emmanuel Macron que le crédit ne lui en presque plus porté dans l’opinion, si ce n’est par son cœur d’électorat. Pour la Première ministre, la situation est plus malléable : une marge de progression existe dans l’opinion pour Elisabeth Borne, mais on voit d’ores et déjà les limites potentielles de cette marge de progression. Un choix fondamental attend la Première ministre du point de vue de la gestion de son image dans l’opinion : accentuer son image de sérieux au risque d’apparaître trop technocratique ou mieux montrer quel personnage humain la fonction de Première ministre révèle d’elle-même. De manière très différente, ses deux prédécesseurs sont parvenus à exister par eux-mêmes dans l’opinion, même si cela était plus difficile pour Jean Castex que pour Edouard Philippe. Pour Elisabeth Borne tout se jouera, en ce début de session parlementaire, sur la manière dont l’électorat jugera sa capacité à faire vivre l’idée de « concertation ». Qu’est-ce que cette fameuse « nouvelle méthode de gouvernement » nous apprendra (ou pas) d’Elisabeth Borne ?

En ce début d’automne de toutes les passions et de tous les emportements politiques, on voit que si Elisabeth Borne essaie de poser les « fondations » de son image dans l’opinion, Emmanuel Macron quant à lui reste un peu loin de la « refondation » de son image...

Cet article a été initialement publié sur le site de BVA : cliquez ICI

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