La mosquée Eyyub Sultan, une basilique constantinienne à Strasbourg ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le site de la future mosquée Eyyub Sultan à Strasbourg.
Le site de la future mosquée Eyyub Sultan à Strasbourg.
©FREDERICK FLORIN / AFP

Canons de l'architecture

Le projet de la ville de Strasbourg de financer la mosquée Eyyub Sultan était au coeur de l'actualité ces derniers mois. Millî Görüs a finalement retiré sa demande de subvention. Jacques Charles-Gaffiot revient sur les spécificités architecturales de ce projet.

Jacques Charles-Gaffiot

Jacques Charles-Gaffiot

Jacques Charles-Gaffiot est l'auteur de Trônes en majesté, l’Autorité et son symbole (Édition du Cerf), et commissaire de l'exposition Trésors du Saint-Sépulcre. Présents des cours royales européennes qui fut présentée au château de Versailles jusqu’au 14 juillet 2013.

 

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Si l’association Milli Görus, porteuse du projet de la construction de la plus grande mosquée d’Europe, a vivement récusé les accusations, selon elle infondées, d’allégeance à Ankara et de séparatisme, il serait sans doute judicieux de demander au président de ce lieu de culte, Eyüb Sahin, s’il a bien conscience de construire sur la rive gauche du Rhin un édifice répondant singulièrement aux canons de l’architecture paléochrétienne ?

Surplombée de sa gigantesque coupole, la salle de prière s’inscrit dans un carré parfait, à la manière de l’architecture antique, fruit de l’admiration sans limite de l’empereur Hadrien pour les constructions d’Apollodore de Damas (v.50 – v. 130) et de ces fameuses « citrouilles » que le souverain voudrait voir se multiplier partout dans sa villa de Tibur. Faisant reposer la voûte céleste sur un quadrilatère régulier, ce plan primitif, professant en quelque sorte les « noces du ciel et de la terre » devait connaître un formidable succès lorsque le christianisme put se développer au grand jour, après 315 (édit de Milan) : les mosaïques à fond d’or représentant sur les parois des coupoles le Christ pantocrator  révèlent à la vue des fidèles la majesté du Fils de Dieu venu pour embraser le monde d’en bas, à l’aune du carré sur lequel ces derniers se rassemblent.

Mais à Strasbourg, les références à l’art chrétien sont encore plus manifestes. En cherchant à s’inspirer de la basilique Sainte-Sophie de Constantinople (consacrée en 360), récemment rendue au culte islamique par le président Erdogan, sans y porter attention, les concepteurs reprennent à leur compte tout le discours christologique, mis également en œuvre dans l’univers architectural chrétien à la suite du concile de Nicée (325).

Après un demi-siècle de controverse trinitaire aboutissant à la condamnation de l’arianisme, ce langage de pierre élaboré pour exprimer les vérités théologiques ainsi définies devait trouver sa pleine dimension au VIe siècle, sous l’empereur Justinien, auquel on doit, à partir de 532, la reconstruction de tout l’édifice pour le rendre plus grand et plus majestueux.

Examinons à présent la future façade de la mosquée de Strasbourg.

Inscrite elle aussi dans un carré, elle déploie tous les canons de l’art byzantin : 

De part et d’autre d’un premier arc brisé triomphal et en retrait, sept larges ouvertures aux arcs en accolade (dont les deux plus basses sont plus élevées) scandent l’intérieur de cet espace destiné à souligner l’entrée du monument ; entrée monumentale marquée par un arc imposant de même style. Deux oculi encadrent de chaque côté l’ouverture sommitale. Cette dernière disposition se retrouve également à l’intérieur de la salle de prière, sur l’ensemble des murs, chacun d’eux percés également de trois portes surmontées d’arcs brisés supportés par des colonnes, et dont l’arcade centrale est légèrement plus développée que les deux autres, sans doute pour mieux répondre au rejet des Orientaux de l’affirmation du Filioque et offrir une place prépondérante à la première Personne de la Trinité.

De la sorte, aux yeux du visiteur, la salle de prière décline en entrant 9 arcades dont le sens symbolique rappelle un aboutissement, un chiffre parfait, comme les 9 chœurs des anges par exemple. Mais si notre explorateur musulman en se retournant considère les trois autres ouvertures par l’une desquelles il est entré, le chiffre 12 pourra orienter ses pensées sur l’ordre du monde avec les 12 mois de l’année, en omettant d’y voir une allusion aux douze apôtres, supportant, comme autant de colonnes, les vérités de la foi chrétienne.

A l’instar de l’art cistercien, le recours à l’utilisation des nombres et à des formes géométriques tente de traduire ou de suggérer, à défaut d’ornementations figuratives, la vocation de l’édifice. Ainsi, nos premières constatations expriment sans équivoque et même avec une réelle insistance une référence trinitaire particulièrement bien charpentée à laquelle s’ajoute, avec l’introduction du chiffre 7, nombre éminemment spirituel, l’évocation des sept jours de la création, des sept dons du Saint-Esprit, des 7 sacrements etc. Plus encore, les deux grandes ouvertures placées de chaque côté de l’entrée suggèrent l’évocation symbolique de l’ancienne et la nouvelle Loi, comme on voit sur nombre d’églises romanes ou gothiques.

Ces références chrétiennes dans l’art islamique ne sont pas pour surprendre, ainsi le minbar de la Kutubiyya de Marrakech (la chaire sur laquelle prend place le prédicateur, placée à droite du mihrab), est considéré comme l’un des principaux chefs d’œuvre de l’art islamique. Cependant, cet élément, dérivant des usages observés par les coptes en Ethiopie, remonte aux années 1137-1145 et a été réalisé à Cordoue dans du bois de cèdre. Façonné par des esclaves chrétiens, le dossier de la chaire est orné par un arc trilobé répondant aux convictions religieuses des artisans sélectionnés.

La façade principale de la mosquée de Strasbourg est encore flanquée de deux pavillons latéraux éclairés par des ouvertures de même type que celles mentionnées plus haut. Au nombre de deux, elles forment donc un ensemble de quatre éléments identiques, qui dans l’univers chrétien, évoqueraient en toute logique, après les références à l’ancien et au nouveau Testament et aux douze apôtres, les quatre évangélistes.

Une dernière ressemblance est encore à noter : à l’arrière de la mosquée est prévue la construction d’un péristyle destiné à favoriser la circulation et qui en son centre laissera probablement place à un jardinet ou à une fontaine. Voici encore une « fâcheuse » référence à l’architecture paléochrétienne renvoyant par exemple au complexe du Saint-Sépulcre de Jérusalem voulu par Constantin, dans lequel le lieu saint (le tombeau) surmonté d’une coupole jouxte le jardin de la Résurrection entouré sur trois côtés d’un portique permettant de desservir, à l’opposé de ce premier édifice, le lieu de culte constitué d’une basilique à cinq nefs.

Le projet strasbourgeois n’est donc peut-être pas totalement abouti mais d’ores et déjà, il est à se demander aux regards de nos observations s’il se présente parfaitement hallal ou haram ?

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