La génération des Millennials est comme les autres : en prenant de l’âge, ses votes se décalent vers la droite <!-- --> | Atlantico.fr
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L'une des raisons clés de cette évolution est l'émergence d'un centre politique qui était traditionnellement associé à la droite.
L'une des raisons clés de cette évolution est l'émergence d'un centre politique qui était traditionnellement associé à la droite.
©Emmanuel DUNAND / AFP

Dynamique

L'une des raisons clés de cette évolution est l'émergence d'un centre politique qui était traditionnellement associé à la droite.

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart est le Directeur Général adjoint de l'institut de sondage Opinionway. Il est l'auteur de "La Présidence anormale – Aux racines de l’élection d’Emmanuel Macron", mars 2018, éditions Cent Mille Milliards / Descartes & Cie.

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Atlantico : Les tendances de vote chez les Millennials évoluent-elles de manière similaire en France par rapport aux États-Unis ? Y a-t-il un schéma clair de vote à droite en vieillissant, même parmi les jeunes générations, ou la situation est-elle plus nuancée ?

Bruno Jeanbart : En France, nous observons une évolution des tendances de vote chez les millennials, avec une inclination générale vers la droite en vieillissant, bien que la situation soit plus complexe. Contrairement aux États-Unis, où le système politique est principalement bipartite, la France a connu d'importants changements politiques au cours des 20 dernières années.

L'une des raisons clés de cette évolution est l'émergence d'un centre politique qui était traditionnellement associé à la droite. Toutefois, à partir de 2002, le centre a commencé à se positionner entre la droite et la gauche, avec l'émergence de François Bayrou. Cette tendance s'est renforcée avec l'arrivée d'Emmanuel Macron, qui a réussi à attirer des voix de droite et de gauche. Cependant, il convient de noter que Macron en 2017 et 2022 ne représente pas exactement la même dynamique.

Il est donc plus difficile d'analyser les données de manière simpliste en utilisant la dichotomie gauche-droite, comme cela a été fait aux États-Unis. Une approche plus pertinente consiste à diviser les tendances en gauche, centre et droite, tout en gardant à l'esprit que la notion de centre a évolué au fil du temps.

En 2022, le score moyen de la gauche dans l'ensemble de la population était de 32%. Ainsi, nous constatons une baisse relative du vote pour la gauche parmi les millennials. En 2002, ils votaient à 50% pour la gauche, tandis que dans l'ensemble de la population, la gauche obtenait seulement 40,3% des voix. De même, en 2012, les millennials ont voté à 40,8% pour la gauche, tandis que dans l'ensemble de la population, ce chiffre était de 44%. Ainsi, la tendance selon laquelle les individus votent plus à droite en vieillissant se confirme parmi cette génération.

Cependant, il est difficile de distinguer clairement la droite traditionnelle et la droite extrême dans ce vote de droite. Historiquement, les jeunes en France, notamment en 2002, ont voté en nombre pour le Front National de Jean-Marie Le Pen, dépassant ainsi sa moyenne nationale. Par conséquent, le vote pour la droite traditionnelle et la droite extrême n'est pas nécessairement linéaire.

Il convient également de souligner que les élections de 2022 ont perturbé cette dynamique, car une partie des électeurs de droite traditionnelle ont voté pour Emmanuel Macron, qui est classé au centre. Par conséquent, il est complexe de faire une distinction claire entre la droite traditionnelle et la droite extrême. En France, il est plus difficile d'avoir une vision précise de cette situation, contrairement aux États-Unis. Cependant, il est indéniable qu'il y a une tendance naturelle des électeurs à se tourner vers les partis conservateurs en vieillissant.

Un article du Financial Times a présenté des données suggérant une inversion en France. Malgré cela, peut-on envisager une progression moins prononcée de ce phénomène par rapport à d'autres générations ?

Oui, en effet. Ce que nous observons, cependant, c'est que bien que les jeunes votent moins à gauche, nous ne constatons pas nécessairement un sur-vote en faveur de la droite. Par exemple, si l'on prend les Millennials en 2022, ils ont voté à 41 % pour la droite, ce qui se situe dans la moyenne nationale de 40 %. Ainsi, ils ne se démarquent pas significativement. En revanche, nous remarquons qu'ils ont un fort vote centriste, avec une moyenne de 28 %. Ils se situent donc plutôt dans la moyenne nationale lors des dernières élections. Donc oui, il est possible que cette tendance soit moins prononcée que chez d'autres générations, ce qui serait cohérent si l'on considère l'analyse globale des votes lors des récents scrutins, tels que ceux de 2017 et 2022, par tranche d'âge. Nous constatons qu'il faut atteindre des tranches d'âge plus avancées pour observer un basculement clair vers la droite, généralement à partir de 50 ans et surtout après 65 ans. Ainsi, il est possible que ce phénomène soit moins marqué qu'auparavant, notamment chez les générations plus aisées. Par exemple, les thématiques liées à la sécurité deviennent particulièrement importantes au-delà de 50 ans, tandis que des enjeux tels que l'environnement restent prépondérants, voire plus importants que la moyenne, chez les jeunes. Les thématiques sociales, notamment liées à l'emploi, sont plus prédominantes que la moyenne jusqu'à l'âge de 50 ans. Par conséquent, il est effectivement possible de formuler cette hypothèse. Cependant, il convient de noter que les Millennials sont encore jeunes, actuellement âgés de 35 à 45 ans. Il faudra donc attendre de les évaluer à la fin de leur parcours, ou du moins dans 10 ou 20 ans, pour observer l'évolution de cette tendance.

Qu'est-ce qui peut expliquer cette tendance selon laquelle plus on vieillit, plus on vote à droite et moins à gauche, une tendance qui persiste encore aujourd'hui ?

Il y a plusieurs éléments à prendre en compte. Tout d'abord, il y a une certaine corrélation entre l'âge et une préférence pour le conservatisme. Les jeunes générations ont généralement moins d'intérêt pour la préservation des institutions et aspirent davantage à changer la société. Cela les conduit naturellement vers des partis politiques de gauche, historiquement plus enclins à remettre en question l'ordre établi. Par exemple, le parti politique La France Insoumise maintient clairement cette position progressiste. En revanche, les attitudes conservatrices sont plus courantes à droite, ce qui explique en partie cette tendance.

De plus, les préoccupations évoluent tout au long de la vie. Cela est particulièrement marqué de nos jours avec l'émergence de nouvelles thématiques telles que l'environnement, combinées à des préoccupations plus traditionnelles comme l'emploi et les inégalités sociales. Ces enjeux ont une importance plus significative chez les jeunes, tandis que les préoccupations liées à la sécurité et à la fiscalité sont davantage présentes chez les personnes plus âgées. Ainsi, ces priorités variables influencent indéniablement les orientations politiques.

Il est également important de souligner un changement plus profond dans les repères culturels occidentaux, dont on parle beaucoup. Par exemple, la perception de la diversité et de la différence a évolué de manière significative dans les générations récentes, se distinguant des générations précédentes. Cette évolution se reflète dans la façon dont les nouveaux courants politiques sont perçus par les jeunes générations par rapport aux plus âgées. Globalement, la société dans son ensemble fait preuve d'une plus grande tolérance sur de nombreux sujets, une tendance qui s'amplifie avec l'âge. Cette acceptation croissante des différences culturelles est plus marquée chez les jeunes générations et se diffuse progressivement. Un exemple concret est l'acceptation du mariage et de l'adoption par les couples homosexuels, qui a été portée en grande partie par les jeunes générations pendant longtemps.

En résumé, les motivations qui influencent le vote à gauche ou à droite varient en fonction de l'âge et des préoccupations spécifiques à chaque période de la vie. Les facteurs tels que l'attitude envers le conservatisme, les priorités politiques changeantes et les évolutions culturelles jouent tous un rôle dans cette tendance.

Il y avait ce sentiment que les jeunes générations, étant plus sensibles aux questions de diversité et d'environnement, risquaient de ne pas suivre cette tendance conservatrice. Comment expliquer que malgré tout, on observe toujours cette tendance ?

C'est un phénomène intéressant, car lors de l'élection d'Obama aux États-Unis, il y avait eu beaucoup d'analyses sur ce nouvel avantage démographique pour les démocrates. On pensait que l'augmentation importante de la population d'origines diverses allait conduire à une majorité naturelle et durable pour les démocrates.

Cependant, cette prévision ne s'est pas vérifiée. Cela souligne qu'il n'y a pas de règle absolue dans ces phénomènes, et que les effets de l'âge et de la génération peuvent varier. La plupart du temps, ce sont les effets de l'âge qui prévalent, c'est-à-dire que les tendances conservatrices en vieillissant se maintiennent, même chez les nouvelles générations. On avait pensé que les effets de génération prendraient le dessus, mais pour le moment, ce sont les effets de l'âge qui continuent à prédominer politiquement.

Bien sûr, chaque individu réagit différemment, certains agriculteurs commenceront à gauche et finiront également à gauche. Il y a des évolutions observables tout au long de la vie, et cela plaide plutôt en faveur des effets de génération, même s'il y a parfois des générations atypiques. C'est notamment le cas de la génération de 1968, du moins sur certains sujets. Nous avons vu ces attitudes plus libérales se perpétuer dans le temps, même chez les générations qui ont suivi. Les millennials auront probablement aussi certaines caractéristiques similaires, mais peut-être pas suffisamment pour rompre complètement cette chaîne observée jusqu'à présent.

Il convient également de mentionner que le paysage politique est moins stable qu'auparavant, ce qui rend plus difficile le suivi des attitudes politiques d'une même génération qui évoluent avec l'âge. De plus, il serait erroné de penser que la gauche d'aujourd'hui est identique à la gauche d'autrefois. Les partis politiques sont capables de s'adapter à ces changements et de répondre aux préoccupations évolutives. Par exemple, le parti républicain aux États-Unis peut s'adapter à la diversité croissante de la population américaine et être en mesure de répondre aux préoccupations des Latinos. Dans certains États, les Latinos ont voté davantage pour les républicains lors des dernières élections, ce qui montre que la politique est un système en constante évolution.

En résumé, les tendances politiques liées à l'âge continuent de jouer un rôle prépondérant malgré la sensibilité accrue des jeunes générations aux questions de diversité et d'environnement. Les partis politiques et les candidats sont capables de s'adapter et de répondre aux changements démographiques ainsi qu'aux préoccupations qui évoluent au fil du temps.

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