Sursis
La France face à la perte de la maîtrise de son territoire : la justice en perdition
Selon le criminologue Xavier Raufer, "l'appareil judiciaire se disloque et menace désormais de couler", témoignant de l'incompétence de la garde des Sceaux et de sa conception laxiste de la justice, qui risque aujourd'hui de tomber en perdition. Deuxième épisode d'une série sur la sécurité en France.
Alexandre Giuglaris
Alexandre Giuglaris est délégué-général de l’Institut pour la Justice.
Xavier Raufer
Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date: La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers.
Xavier Raufer : D'abord, le fondamental. "Etat" vient du substantif latin "status", du verbe "stare" : se tenir debout et stable. Depuis au moins notre XVIe siècle, ce pouvoir souverain d'Etat assure aux français unité et pérennité. Dans l'appareil de l'Etat, la justice, fonction-clé, garantit la stabilité de la société. Si le droit n'irrigue ni ne régule la société, celle-ci sombre vite dans un chaos qui la menace toute entière.
>>>> Lire aussi l'épisode 1 : Maîtrise du territoire et autorité de l'Etat : la descente aux enfers de la France
Prisons passoires...
Laxisme exacerbé
Absurdités administratives
Atlantico : "Prisons passoires", "laxisme exacerbé" et "absurdités administratives"... dans quelle mesure partagez-vous le constat de Xavier Raufer en tant que délégué-général de l'Institut pour la Justice ?
Alexandre Giuglaris : Le constat qui est fait est sévère mais assez juste malheureusement car M. Raufer connaît bien ces questions et la presse rend compte des dysfonctionnements judiciaires qui, bien souvent, sont le fait de nos lois.
Ce que vous appelez « prison passoire » ou « laxisme exacerbé » sont en fait les conséquences directes d’un désarmement pénal et législatif qui est à l’œuvre depuis plusieurs années. Les organisations représentant les forces de l’ordre ou l’administration pénitentiaire sont d’ailleurs les premières à s’en plaindre.
Sous différents prétextes, on a complexifié le travail des forces de l’ordre ou celui des magistrats. Ainsi, l’échec (prévisible) de la contrainte pénale s’explique avant tout par la complexité de sa mise en œuvre. De même, faute de places de prison suffisantes, on a multiplié les expédients pour éviter les incarcérations ou faciliter les sorties. C’est notamment le cas des aménagements ab initio qui prévoient que par principe, une peine de prison inférieure à 2 ans doit être « aménagée », c’est-à-dire exécutée en dehors de la prison. Cela concerne tout de même 15% des personnes condamnées à une peine de prison ferme chaque année.
Plus globalement, notre système judiciaire traverse une grande période de doutes car les Français et les professionnels de la chaîne pénale attendent mieux que des discours. Il est temps de réformer en profondeur notre justice dans le sens d’une plus grande fermeté, d’une plus grande rapidité et d’une plus grande efficacité. Ce sont les attentes concrètes des Français. Cela passera par des moyens supplémentaires conséquents, mais pas uniquement pour répondre à la situation de crises que vivent les professionnels de la chaîne pénale.
Comment cela se manifeste-t-il sur le terrain ?
Alexandre Giuglaris : L’exemple du fax qui ne fonctionne plus en juridictions n’est pas un mythe. C’est la réalité quotidienne des magistrats.
Dans le champ pénitentiaire, des efforts importants ont été faits jusqu’en 2012. Depuis, les projets ont été interrompus. Pourtant, quand on compare nos chiffres avec nos voisins européens, on constate que notre système judiciaire manque de moyens et que nous manquons de places de prison. Nous préconisons la construction de 20 000 à 30 000 places de prison. Cette idée fait aujourd’hui de plus en plus consensus, à droite comme à gauche, d’Alain Juppé ce week-end à Manuel Valls il y a quelques mois. Mais il faut passer aux actes !
Car en attendant, sur le terrain et faute de places de prison, les magistrats reçoivent des circulaires de la chancellerie les invitant à tenir compte de l’effet de surpopulation carcérale dans le prononcé des peines. En clair, Christiane Taubira demande aux juges de ne pas incarcérer quand il y a déjà une surpopulation carcérale. C’est exactement l’inverse qu’il faut faire, en adaptant la politique pénale et pénitentiaire aux niveaux de délinquance et de criminalité.
Quelles mesures mériteraient d'être étudiées selon vous afin que cette institution retrouve ses lettres de noblesse ?
Alexandre Giuglaris : L’autorité judiciaire est un des poumons qui permet à la société de respirer et à chacun d’être protégé. Sans une justice ferme, rapide, efficace et respectée, le corps social et l’autorité de la République s’effritent. Il convient donc de renforcer cette autorité en urgence.
Cela passe, dans le domaine pénal, par une grande loi de programmation et d’orientation en faveur de la justice qui aura pour priorité l’exécution des peines. C’est aujourd’hui le maillon faible de la chaîne pénale. Cette grande réforme prévoira, notamment, la construction de 30 000 places de prison, un renforcement des droits des victimes, une simplification des procédures judiciaires, le développement des sanctions pécuniaires et la modernisation de l’évaluation de la dangerosité.
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