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La France est-elle en train de devenir sans bruit le pays le plus eurosceptique d'Europe ?
©ALAIN JOCARD / AFP

En toute discrétion

Jeudi dernier, "Le Monde" révélait un sondage réalisé par l'université d'Edimbourg et le cercle de réflexion allemand D/part dans lequel 53% des Français déclaraient être favorables à la mise en place d'un référendum sur le maintien ou non de la France dans l'UE.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Un sondage réalisé par l'université d'Edimbourg et le cercle de réflexion allemand D/part auprès des opinions publiques de 6 pays de l'UE (Allemagne, France, Suède, Pologne, Irlande, Espagne) et dont les résultats ont été rendus public il y a quelques jours révèle que 53% des Français se disent favorables à la mise en place d'un référendum sur le maintien ou non de la France dans l'UE. L'opinion publique française est-elle à ce point eurosceptique ? S'agit-il d'une attitude récente ou de longue date ?

Christophe BouillaudLe fait de se déclarer d’accord avec la perspective d’un tel référendum ne signifie pas nécessairement que l’on soit contre le maintien de la France dans l’Union européenne. Cela peut correspondre simplement à une volonté que l’instrument référendaire soit utilisé plus souvent. Un autre sondage, réalisé récemment pour tester l’opinion des Français sur leur démocratie et publié par Le Monde, montre qu’une forte majorité se déclare pour un plus fort usage du référendum en général.

Pour ce qui est de la question européenne proprement dite, l’opinion publique française est partagée. Comme l’ont montré les référendums de 1992 et de 2005 où des votes de force comparables ont émergé, l’opinion publique n’est pas du tout unanime sur l’Europe. Selon le dernier sondage Eurobaromètre disponible réalisé en novembre 2015, les Français déclarent à 35% avoir une image positive de l’UE, à 38% avoir une image neutre, et à 25% une image négative. De même, une nette majorité se déclare en faveur du maintien de la France dans la zone euro (67%) contre une forte minorité pour abandonner cette monnaie (28%). A priori,l’europhilie reste donc majoritaire. Cependant, les sondés français déclarent à 51% que " leur voix ne compte pas en Europe ", tandis que52% se déclarent pessimistes sur l’avenir de l’Europe. Ils sont d’ailleurs plus de sondés à se déclarer ainsi pessimistes en France qu’au Royaume-Uni (seulement 44% des pessimistes outre-Manche). Les sondés français font d’ailleurs partie du groupe des cinq pays aux opinions les plus pessimistes sur l’avenir de l’UE (France, Autriche, République tchèque, et bien-sûr Chypre et  Grèce).  Ce pessimisme majoritaire en France n’est pas sans lien avec la perception par les sondés français de la situation économique : 83% d’entre eux voient la situation économique de la France comme mauvaise, et 63% considèrent même qu’ "en matière d’emploi, le pire est à venir ".A l’automne 2015, la France fait clairement partie de ce très large groupe de pays (toute l’Europe du Sud et presque toute l’Europe de l’Est) où la fin de la crise économique commencée en 2007-2008 n’est pas en vue pour une nette majorité des sondés, et cela pèse d’évidence sur la perception de l’Union européenne – comme chez nos voisins italiens d’ailleurs. 

A lire également sur le sujet : "Tous les référendums sur l'Europe que vous ne connaissez pas"

Traditionnellement, quelles sont les opinions publiques les plus européistes ? Les plus eurosceptiques ? Y-a-t-il une géographie de l'adhésion à l'idée européenne sur le continent ?

Il faut en fait croiser trois grands facteurs : d’une part, la tendance plus ou moins grande des élites nationales à accepter la perspective de l’intégration régionale, et leur capacité à la gérer et à la vendre à leurs populations ; d’autre part, la réalité de la situation économique du pays ; et enfin, les autres problèmes dont l’UE peut être tenue pour responsable. Typiquement, les élites britanniques n’acceptent l’Union européenne que par pragmatisme ; elles gèrent par contre très bien la relation avec Bruxelles (en étant par exemple très présentes au Parlement européen et dans la bureaucratie bruxelloise), mais elles sont nulles pour vendre l’Europe à leur population, largement à cause d’une presse populaire qui ne laisse rien passer de positif sur l’intégration européenne. En même temps, l’immigration préoccupe certes outre-Manche, mais la situation économique est plutôt bonne au Royaume-Uni. Au total, les sondés britanniques sont moins hostiles à l’Union européenne qu’on pourrait le croire.

Inversement en Europe du Sud, les élites adoraient l’Europe, géraient souvent mal leur relation avec Bruxelles, mais vendaient l’Europe comme l’horizon indépassable de notre temps aux Européens du Sud. Or, pas de chance, ces mêmes Européens du Sud (Italiens, Espagnols, Portugais, Chypriotes, et bien-sûr Grecs) sont les principales victimes de l’impéritie européenne en matière de gestion de la crise économique de 2007-2008. Du coup, ces pays restent certes pro-européens pour la plupart, mais ils le sont nettement moins qu’avant. Le cas le plus évident est bien sûr la Grèce : il n’y a plus que 22% de sondés grecs à avoir une image positive de l’UE, mais l’Espagne aussi a connu un retournement de l’opinion : 33% des sondés espagnols en ont une image positive. Il faut ajouter que des pays confrontés à des problèmes liés à l’intégration européenne, comme en Autriche avec les migrants allant vers l’Allemagne, voient la montée en puissance d’une image négative de l’UE en dépit d’une bonne situation économique : 41% des sondés autrichiens ont actuellement une image négative de l’UE (un record partagé avec Chypre et la Grèce).

Au total, pour avoir une opinion publique plutôt européiste, il vaut mieux être un pays avec des élites qui savent défendre vos intérêts à Bruxelles, avec une économie prospère (si possible sans trop attendre votre salut de Bruxelles), et enfin ne pas être (trop) confronté à une crise géopolitique (mal) gérée par Bruxelles. 

Parmi les prises de position officielles du FN, on retrouve la sortie de l'UE et de la zone euro, le parti ne cessant d'accuser Bruxelles de tous les maux. Quelle part de responsabilité a le FN dans l'aggravation de l'euroscepticisme de l'opinion publique française ? En quoi ce sondage pourrait lui servir ?

Il ne faut pas exagérer l’importance du discours du FN en lui-même. Ce dernier s’est d’ailleurs rallié à la critique de l’UE au début des années 1990 quand il a vu que cet argument marchait auprès de l’opinion – alors qu’avant 1989, il était plutôt pro-européen par anticommunisme. Les responsabilités sont plutôt à chercher du côté des élites des partis de gouvernement. A droite comme à gauche, la relation avec Bruxelles a été très mal gérée en France – c’est d’ailleurs un trait des pays d’Europe du Sud, qui n’ont jamais été en mesure de bien défendre leurs intérêts à Bruxelles. Il aurait fallu gérer les relations avec l’Union européenne " à la danoise ", de manière à la fois informée et ferme.  La gauche a promis ainsi " l’Europe sociale " depuis au moins les années 1990, et elle n’a jamais été capable de l’obtenir et, au contraire, elle a fini par subir l'opposé, une orgie de dumping social et de délocalisations ! La droite prétendait défendre l’agriculture française, et elle a accepté des modifications de la PAC qui ne pouvaient que mener à cette agonie de l’agriculture moyenne en France. Nos élites ont en fait totalement oublié de penser à l’avenir des Français ordinaires dans cette belle Europe qu’ils prétendaient bâtir, mais aussi celui de certaines de nos activités stratégiques, comme l’agriculture. Par ailleurs, à plus court terme, le FN est largement porté en matière européenne par l’inefficacité alarmante de la politique économique adoptée dans la zoneeEuro, surtout après 2010, et par la persistance du chômage de masse qu’elle implique. La grande politique monétaire de Mario Draghi depuis 2012 n’arrive pas en effet à compenser les erreurs de gestion macroéconomique de la zone euro. François Hollande, en restant inerte depuis 2012 en matière de relance budgétaire de la zone euro, et en acceptant la version à la Merkel de la politique économique européenne , a pour le coup "fait le jeu du FN" comme on dit dans le jargon de gauche.

Par ailleurs, il faut bien dire que tous les autres partis ont commencé à tenir des discours parallèles à celui de FN. La présidence Sarkozy a été  un festival en ce sens. Lors des européennes de 2014, tous les partis ont ainsi eu leur moment d’euroscepticisme. A force de n’avoir aucun défenseur, sauf les écologistes et le Modem, il n’est pas étonnant que l’Union européenne séduise moins les Français.

Pour ce qui est de ce sondage, qui montre qu’une majorité de Français aimerait être consulté, cela peut effectivement profiter au FN, qui pourra ainsi souligner que les élites ont peur de la vox populi

Pourrait-on imaginer le gouvernement actuel entende l'avis de l'opinion publique française à travers ce sondage ? 

Un seul sondage ne peut rien changer à la perception par les gouvernants de l’opinion publique. Ils disposent de leurs propres sondages et ils lisent tout ce qui parait en la matière. Par ailleurs, je ne vois pas bien quelle action le pouvoir actuel devrait entreprendre. Organiser un référendum sur un sujet européen ou sur un autre sujet d’ailleurs serait actuellement un suicide pour le pouvoir politique. En effet, l’hostilité à son égard est telle dans l’opinion que les votants répondraient contre l’avis du gouvernement quelle que soit la proposition de ce dernier. 

Celui-ci révèle également que les Français sont les plus enclins au Brexit (44%). Devrait-on y lire la survivance de la rivalité historique entre ces 2 peuples ?

Je n’irais pas jusque-là, et cela d’autant plus que, de ce côté-ci de la Manche, les guerres napoléoniennes obsèdent vraiment peu de monde désormais. Le " French-bashing " existe certes dans la presse populaire britannique, mais pas vraiment la stigmatisation de nos partenaires britanniques ici. Il est plutôt possible qu’une partie de l’opinion française soit séduite par l’idée de la rationalisation de l’intégration européenne qu’amènerait le départ britannique. Un Michel Rocard me semble être sur cette ligne. On pourrait ainsi espérer que les autres pays se décideraient enfin à bâtir une fédération européenne de plein exercice, sans avoir à gérer le frein britannique. Inversement, ce chiffre traduit sans doute aussi les espoirs de ceux qui pensent que le Brexit ouvrira la voie à la dissolution de l’Union européenne dans sa forme actuelle.

Ce sondage, et ce résultat en particulier, ne révéleraient-ils pas que certaines opinions publiques puissent être réfractaires à l'idée d'être associés à d'autres peuples du continent dans un projet d'intégration tel que l'UE ? Quel risque pour l'avenir de l'entité européenne ?

Autant qu’on puisse le savoir, les relations entre Européens sont plutôt tissées d’indifférence, et éventuellement de sentiments de communauté de destin régionale (les Scandinaves, ou les pays du bassin danubien par exemple). Au total, les Européens se connaissent très mal entre eux, et c’est presque mieux ainsi, puisque cela évite des débats difficiles (par exemple, sur le statut du communisme ou du nazisme comme le mal absolu du siècle dernier). Le seul pays dont la présence dans l’Union européenne énerverait – pour ne pas dire plus – des parties substantielles de l’opinion publique européenne n’est autre que la Turquie. Sur ce pays en particulier, le blocage est total, par exemple en Autriche ou en France, pour ne pas parler de Chypre. Il est vrai qu’un référendum va être organisé aux Pays-Bas sur l’accord d’association de l’UE avec l’Ukraine. Il semble que le non néerlandais à cet accord soit probable, mais il s’agira moins d’une hostilité " ethnique " des Néerlandais envers les Ukrainiens que d’une répétition du vote de 2005, où les Néerlandais ont voté non au TCE parce qu’ils ne voulaient plus contribuer au budget européen. Le non d’Harpagon inquiet pour sa cassette en somme.

En fait, en dehors de la Turquie, les risques de division pour l’avenir sont surtout ceux qui opposent les pays créditeurs et les pays débiteurs. L’acrimonie peut se développer sur ce point – comme je le constate de plus en plus en Italie où le discours anti-allemand se développe -, mais cela restera limité à partir du moment où tous les dirigeants européens, y compris au Nord des Alpes, auront enfin décidé de gouverner l’Union aussi au profit de la périphérie méridionale et orientale, et pas seulement du centre industriel et financier (Londres-Bruxelles-Luxembourg-Francfort). Quand l’intérêt des Bulgares et des Italiens du Sud compteront autant que ceux des Luxembourgeois et des habitants de Londres et du Sud de l’Angleterre, l’Union européenne ira sans doute bien mieux. 

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