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63 % des Français se disent mal informés des risques naturels auxquels ils sont exposés.
63 % des Français se disent mal informés des risques naturels auxquels ils sont exposés.
©Reuters

Jusqu'ici tout va bien...

63 % des Français se disent mal informés des risques naturels auxquels ils sont exposés, selon un sondage Ifop dévoilé lors des Assises nationales des risques naturels qui se tenaient du 2 au 3 décembre à Bordeaux.

Atlantico : Un sondage Ifop réalisé pour le ministère de l’Écologie en novembre 2013 révèle que 63 % des Français se disent mal informés des risques naturels auxquels ils sont exposés. Quels sont ces risques naturels, et où ont-ils déjà sévi ?

Frédéric Decker : La France se situe au carrefour de nombreuses influences climatiques : arctique, continentale, tropicale, océanique... et de nombreux phénomènes violents, liés à ces diverses influences, sont susceptibles de sévir chez nous à un moment ou à un autre. Une descente d'air arctique peut provoquer un refroidissement brutal et des chutes de neige très abondantes, notamment dans l'est et sur les montagnes. Une vague de froid continentale peut survenir subitement en hiver, en provenance de Russie, et concerner tout le pays, comme en février 2012, ou pire comme en février 1956 avec -15°C à Paris, -22 à Châteauroux, ou 1879 (-24°C dans Paris, -30 à Orléans, près de -40 dans le Jura). D'origine tropicale, les masses d'air peuvent parfois occasionner des orages très dévastateurs entre la fin du printemps et le début de l'automne. Enfin, un flux océanique très dynamique peut générer des tempêtes très violentes (comme fin décembre 99, Klaus en 2009)... et c'est parfois le mauvais mélange de ces masses d'air qui dégénèrent en violentes intempéries. La rencontre entre de l'air froid et de l'air chaud peut provoquer des orages, voire des tornades comme ce fut le cas en octobre dernier. Il ne s'agit que de quelques exemples parmi tant d'autres. Toutes les régions sont plus ou moins exposées à des phénomènes extrêmes.

Magali Reghezza : La France est exposée à de nombreux phénomènes climatiques : cyclones et tempêtes, neige, grêle, canicules, sécheresses, etc. Outre les phénomènes climatiques, à l'origine également d'inondation lentes comme en Île-de-France ou la Somme ou rapide comme dans le sud de la France, il faut aussi parler des risques d'origine tellurique : les départements-régions d'Outre-mer sont soumis au volcanisme, avec des risques majeurs en Guadeloupe et Martinique (Saint-Pierre rasée en 1902), et aux séismes. Certaines régions métropolitaine sont également menacées par les séismes : Lambesc a par exemple été ravagé en 1909 par un tremblement de terre. La région de Nice est particulièrement menacée par exemple. Il faut également signaler les nombreux mouvements de terrains dont certains représentent des risques majeurs : Séchiliennes dans la vallée de la Romanche ou La Clapière dans les Alpes-Maritimes. N'oublions pas aussi les incendies de forêt.

A l'heure actuelle, à quelle(s) catastrophe(s) naturelle(s) la France est-elle la plus vulnérable ? Pourquoi ?

Frédéric Decker : Les phénomènes de grande ampleur, tels que les tempêtes, sont ceux qui présentent le plus de risques, car ils peuvent frapper de nombreuses régions simultanément. Fin 1999, Lothar a ravagé toutes les régions situées entre la Bretagne et l'Alsace. 1 jour et demi plus tard, Martin touchait à son tour le tiers sud du pays. Rappelons que ces deux tempêtes ont semé le chaos et, malheureusement, la mort à leur passage.

Les crues simultanées de nombreux cours d'eau présentent également un risque important, pouvant toucher de grandes étendues (comme en 1910).

Des catastrophes plus silencieuses et moins visibles, telles qu'une vague de froid intense (1985, 1963, 1956...) ou une canicule (2003) nous laissent vulnérables également, même si il est plus facile de s'en protéger.

Magali Reghezza : Les risques les plus meurtriers se situent dans l'outre-mer, avec les risques liés au volcanisme et aux séismes. En métropole, un séisme à Nice serait très meurtrier car il affecterait une conurbation de plus d'un million d'habitant alors même que les normes parasismiques ne concernent pas tout le bâti, loin s'en faut (les normes sont relativement récentes, le bâti et très ancien). L'urbanisation des littoraux et des lits majeurs dans des espaces menacés par des crues dites éclairs est aussi un facteur de vulnérabilité majeur : Xynthia a rappelé le risque lié à la submersion rapide liée à la rupture des digues en cas de tempêtes; presque chaque année, on déplore des morts dans les inondations en méditerranées, qu'il s'agisse du Var ou du Languedoc-Roussillon. 

Si l'on se raisonne en termes de dommages matériels, le risque le plus important est celui d'une crue de la Seine et de ses affluents dont le montant s'élèverait à 20 milliards d'euros (fourchette basse). 

Il faut enfin évoquer des risques qui affectent de vaste territoires : les tempêtes de 1999 par exemple, ou bien des risques pour lesquels la société est mal préparée (canicule de 2003). Enfin, on oublie souvent les épisodes de froid ou les sécheresses qui ont des conséquences majeures sur l'agriculture.

Y sommes-nous vulnérables à cause de la puissance incontrôlable du phénomène, ou parce que nous ne sommes pas assez préparés ?

Frédéric Decker : A vrai dire, pour ces deux raisons ! On peut tenter de se protéger au mieux d'une tempête ou  d'une tornade... mais si les rafales détruisent le toit de sa maison, on ne peut plus faire grand chose. Idem face à une inondation subite : la force de l'eau peut devenir colossale et tout emporter. Il vaut mieux écouter les bulletins d'alerte météo pour anticiper en quittant un lieu d'habitation situé en zone inondable, par exemple.

Les Français sont en effet très peu préparés aux risques naturels, faute de "culture du risque naturel". Cette "culture" existe dans des pays régulièrement frappés par des catastrophes naturelles (Etats-Unis, Japon). En France, malgré des phénomènes violents plus ou moins réguliers, cette culture n'existe pas, ou très peu. Les météorologues, les services d'Etat et les médias ont du mal à se raccorder les uns aux autres, malheureusement, pour instaurer cette culture du risque. Il reste à souhaiter que nous puissions progresser dans ce domaine à l'avenir pour davantage informer la population des risques encourus en fonction de leur région.

Magali Reghezza  : Si au-delà d'un certain seuil d'intensité, la science et les techniques se révèlent impuissantes pour empêcher le processus physique de se produire (pour les crues par exemple, les digues et les réservoirs d'eau sont efficace jusqu'à un certain point) ou pour rendre les bâtiments résistants (normes parasismiques, anti-cycloniques, etc.), il faut bien reconnaître que la plupart du temps, la catastrophe est d'abord d'origine humaine. En premier lieu, les hommes ont, par leurs aménagements, aggravé certains processus naturels, voire les ont crées : ainsi, l'inondation qui a ravagé Nîmes en 1988 n'est pas liée au débordement d'un cours d'eau mais à l'imperméabilisation des surfaces par l'urbanisation et à l'obstruction des drains naturels qui permettaient d'évacuer l'eau de pluie lors des orages. Ensuite et surtout, les sociétés ont oublié les risques : durant plusieurs décennies, on a construit dans des zones menacées sans prendre les précautions nécessaires. Par exemple, dans le sud-est de la France, on a urbanisé les zones inondables avec des lotissements de plain-pied... Dans le Val-de-Loire, on s'est installé dans des déversoirs, sur le littoral, on est allé se mettre dans les polders à "l'abri" des digues en oubliant qu'elles pouvaient céder. Cela ne signifie pas qu'on ne doit pas habiter dans les zones à risque : y habiter suppose de prendre un certain nombre de précautions, d'adopter certains types de construction et surtout d'être prêt à faire face à la survenue du danger (évacuer quand il le faut, se confiner si nécessaire, etc.). En France, le débat est souvent très mal posé : le seul choix possible serait soit l'interdiction pure et simple de l'occupation des zones à risques, soit le laisser-faire n'importe quoi. Les deux options sont absurdes : la première va créer d'autres risques (sociaux, économiques, environnementaux), la seconde est carrément criminelle. Habiter des zones à risques a un coût qu'il s'agit de définir à l'échelle individuelle et collective. Cela suppose que les individus et la société ait conscience du danger et qu'elle se prépare à y faire face en l'intégrant à son quotidien. On évoque souvent la "culture du risque" au Japon par exemple (même si Kobé et Fukushima en ont montré les limites) mais on doit aussi rappeler que par le passé, les sociétés intégraient l'existence de la menace sans fatalisme mais en développement des organisation pour faire face et résister. Aujourd'hui, les progrès techniques nous permettent de mieux faire face : mais ils ne doivent pas servir l'alibi pour faire n'importe quoi.

Avons-nous tendance en France à pêcher par manque de conscience du danger ? Quelles seraient les raisons de cette "insouciance" ?

Frédéric Decker : Oui, certainement. On me pose parfois des questions saugrenues en dépit des alertes météo : "est-ce que je peux aller faire mon footing dans les bois?", alors qu'une alerte tempête a été émise. On voit régulièrement les gens aller filmer une mer déchaînée, très près, trop près du bord, et des accidents arrivent assez souvent, faute de mesurer la part de risque, très élevée. Il faut savoir que le plus petit orage peut engendrer un coup de foudre fatal. C'est parfois la faute "à pas de chance", mais le grand public doit prendre conscience que l'homme est tout petit face à Dame Nature. Les tempêtes de 99 semblent déjà oubliées, alors qu'une grande partie de la France en a souffert. Ce type de phénomène peut revenir un jour ou l'autre, moins fort... ou pire.

Le Français a tendance à penser que "cela n'arrive qu'aux autres". Jusqu'au jour où un évènement météorologique majeur finit par le frapper. La vie moderne fait que l'on s'éloigne de la nature, de ses effets, bons ou mauvais. Les gens sont sans doute moins insouciants en milieu rural, alors que l'homme moderne de la ville n'est absolument pas préparé à un désastre naturel.

Magali Reghezza : Oui. Il y a plusieurs raisons à cela. D'abord, on a pu démontrer que l'esprit humain était ainsi fait qu'il avait tendance à sous-estimer certains dangers, voire à les nier. D'une certaine façon, c'est heureux car sinon, nous ne vivrions plus... mais c'est un réel  problème car il est difficile de sensibiliser les populations au risque et de maintenir cette conscience dans le temps. Après les tempêtes de 1999, on était obsédé par les tempêtes. Puis la canicule est arrivée, puis les attentats, la grippe aviaire, etc. Les alertes se succèdent, avec parfois des catastrophes, l'une chassant l'autre.

Ensuite, les risques majeurs sont rares : ils ont donc tendance à ne pas appartenir à l'expérience des individus. De fait, ils sont "oubliés" collectivement et individuellement. Il est d'ailleurs intéressant de constater que ce n'est pas forcément l'intensité du phénomène qui pose problème : au Canada, les tempêtes de neige sont très importantes mais récurrentes. Elles sont devenues un accident du quotidien, intégré à la vie des populations (jusqu'à un certain seul d'intensité bien sûr). Il en va de même pour les séismes au Japon. En France, quelques centimètres de neige peuvent paralyser des agglomérations entière et des séismes d'intensité relativement faible causer de gros dégâts parce qu'on n'y est pas préparé. La récurrence des phénomènes joue dans la mémoire du risque et donc dans la conscience et la préparation.

On peut aussi évoquer des intérêts locaux, notamment fonciers, qui font que l'on va "cacher" le risque, le nier, pour ne pas dévaloriser le territoire. Alors que certaines sociétés affichent le risque auquel elles sont exposées pour montrer qu'elles sont capables d'y faire face (au Japon par exemple), nous avons tendance en France à la cacher pour éviter que les espaces menacés ne soient stigmatisés. Les enjeux économiques et fonciers sont tels que l'affichage du risque est vécu comme un risque bien plus grand que le risque lui-même!

Enfin, le progrès des sciences et des techniques a donné un sentiment illusoire de sécurité : or, si ce progrès est réel et s'il a permis de diminuer de façon drastique le nombre de morts par exemple, il est contrebalancé par une exposition au danger de plus en plus grande, et ce alors même que les populations qui s'exposent ne connaissent pas ou mal le danger auquel elles s'exposent et les mesures à prendre pour y faire face. Une digue ne vous met pas à l'abri : elle protège jusqu'à un certain seuil ceux qui se trouvent en arrière, et encore, à condition qu'elle ait été bien entretenue. 

Propos recueillis par Gilles Boutin

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