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Le président français Emmanuel Macron prononce un discours aux côtés de la Première ministre Elisabeth Borne, au ministère des Armées à Paris, le 13 juillet 2022.
Le président français Emmanuel Macron prononce un discours aux côtés de la Première ministre Elisabeth Borne, au ministère des Armées à Paris, le 13 juillet 2022.
©Thomas Padilla / POOL / AFP

Crise de gouvernance

La France est dans une situation chaotique sur le plan politique au regard du contexte à l’Assemblée nationale, des polémiques, des recours au 49.3 et de l’impossibilité pour les oppositions de faire voter leur motion de censure. La France est-elle condamnée à cette impasse politique ?

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Au regard de la situation à l’Assemblée nationale, des polémiques, des invectives envers les ministres du gouvernement, des recours au 49.3 et de l’impossibilité pour les oppositions de faire voter leur motion de censure, la France semble être dans une impasse politique. Comment expliquer ce blocage politique et institutionnel ? La France est-elle condamnée à cette impasse politique ?

Jean Petaux : Je ne pense pas que l’on puisse parler d’une impasse politique. S’il y en avait une on la constaterait immédiatement soit par une censure votée contre le gouvernement Borne soit par un blocage du vote sur le budget ou par sa non-adoption faute de majorité suffisante. En démocratie, au moins au niveau des institutions, précisément au Parlement, seul le résultat compte. Un texte est adopté ou pas. Une censure est votée ou pas. Un gouvernement dispose encore d’une majorité (même relative) ou pas. Liz Truss vient d’en faire l’amère (pour elle) expérience. 48 jours à Downing Street, record absolu dans la vie politique de la plus vieille démocratie parlementaire au monde (sous la forme que l’on connait encore de nos jours). Elle est « tombée » parce qu’elle n’avait plus la majorité dans son propre camp. Or Elisabeth Borne dispose tout à fait des moyens de gouverner. Il faut rappeler que dans le « mécano constitutionnel » de la Cinquième république, l’article 49.3 est parfaitement légal évidemment mais surtout qu’il a été rédigé dans la volonté non pas, comme on le dit trop communément de « museler l’Assemblée nationale », mais de la placer devant ses responsabilités. D’ailleurs la seule et unique fois où un gouvernement a été censuré depuis 1958 (gouvernement « Pompidou 1 », à l’aube du 5 octobre 1962, 4h45) on peut dire que la majorité des parlementaires ont pris leur responsabilité. Ce vote est très intéressant d’ailleurs. Il fallait alors 241 pour atteindre la majorité requise permettant d’adopter la motion de censure. De nos jours il faut atteindre 289 voix. La motion de censure déposée le 4 octobre 1962 a recueilli, au petit matin du 5, 39 voix de plus que la majorité requise, soit 280 voix. Elle a été déposée par Paul Reynaud et 52 autres parlementaires du groupe IPAS (Indépendants et paysans d’action social). La motion a été votée par les Indépendants (123), les centristes chrétiens-démocrates du MRP (57), les socialistes SFIO derrière leur chef Guy Mollet (45), les radicaux éparpillés un peu partout et de nombreux députés dits « isolés ». Rappelons que le PCF est sorti laminé des premières élections législatives de la Cinquième république, le 23 et 30 novembre 1958, avec seulement 10 députés, se trouvant ainsi dans l’impossibilité de former un groupe parlementaire. Pour la suite des « événements » d’octobre 1962, on se souvient de la riposte immédiate du président de la République, Charles de Gaulle, à l’adoption de la censure renversant le gouvernement Pompidou. Celui-ci est renommé et l’article 12 est actionné le 9 octobre : l’Assemblée est dissoute. Le peuple a donc été rendu arbitre de ce qui, alors, était bien devenu une impasse politique. Les Français  vont trancher très largement en faveur de la volonté présidentielle. Rien de comparable aujourd’hui avec cette séquence, hormis le fait que le parti présidentiel et ses alliés n’ont pas de majorité parlementaire absolue. Mais justement, là où sous la Quatrième république, il y aurait forcément crise gouvernementale et obligatoirement changement de « premier ministre » (les guillemets s’imposent car il s’agissait d’un « président du conseil »), sous la Cinquième république, tant qu’une majorité parlementaire ne s’est pas clairement constituée contre le gouvernement, celui-ci, par le jeu de l’article 49.3, peut faire passer ses textes et donc gouverner. C’est ce que les constitutionnalistes ont appelé le « parlementarisme rationnalisé ». Et si les députés ne veulent pas que l’article 49.3 permette au gouvernement de gouverner, alors ils votent majoritairement la censure en prenant leur responsabilité. En connaissant pleinement les conséquences : il est fort probable, même si ce n’est pas automatique, qu’ils seront, ipso facto, renvoyés, par la décision du chef de l’Etat, devant leurs électeurs… On a compris que cette hypothèse en « refroidit » plus d’un… surtout au sein des « Républicains »…

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L’opposition pourrait-elle être plus constructive ? Au regard de la récente polémique et des incidents liés aux propos du député RN Grégoire de Fournas, l’opposition est-elle responsable de l’impasse politique dans laquelle se trouve le pays ?

Jean Petaux : Distinguons clairement les choses et les situations. Le « cas de Fournas » est une « bulle de plus » qui explose dans la vie parlementaire. Il y en a toujours eu. Quand ce n’était pas des propos à connotation raciste, cela pouvait être une mise en cause de l’attitude du Président de la République pendant la Seconde guerre mondiale ; une sombre histoire de voiture à laquelle on n’a rien compris mais qui a donné lieu à un « dérapage » (c’est le cas de le dire) non contrôlé. Dans les années 60, au grand dam du général de Gaulle qui n’a vraiment pas apprécié, on a même vu un député gaulliste, Ribière, se battre en duel, à l’épée, avec Gaston Defferre, maire de Marseille et l’un des leaders de la FGDS. Il suffit de lire le « JO des Débats » sur plusieurs décennies pour se rendre compte du niveau des insultes prononcées (criées pour ne pas dire « hurlées ») depuis les travées de l’hémicycle à destination de tel ou tel orateur ou oratrice. Cette fois-ci le député de Fournas a fait une « saillie » raciste et xénophobe, c’est inacceptable et le bureau l’a sanctionné sévèrement. Et c’est tant mieux. Comme d’habitude dans ce genre de séquence tout le monde se drape dans des postures mélangeant sans retenu la vertu outragée, la victimisation, la morale (comme s’il y en avait « une » en politique…), l’escalade, l’outrance surjouée et la surenchère et, le plus souvent, la médiocrité.

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Rappelons quelques faits objectifs sur Monsieur de Fournas. Père de famille de cinq enfants, propriétaire d’un petit château dans le Médoc (à l’intention des non-connaisseurs : il y a des dizaines et des dizaines de châteaux dans le Médoc qui ne sont pas tous des « grands crus » prestigieux et hors de prix), Grégoire de Fournas est associé à son père dans cette exploitation viticole. Il fait partie des chasseurs médocains qui, pendant des années, se sont comportés comme des gougnafiers quand les dirigeants de la Ligue de Protection des Oiseaux (Allain Bougrain-Dubourg en tête) venaient protester contre la pratique de la chasse aux oiseaux traditionnelle interdite par les textes de Bruxelles. C’est dans le Médoc (mais pas que là d’ailleurs) qu’est né dans les années 1990-1992, un mouvement intitulé Chasse, Pêche, Nature et Tradition. J’ai eu l’occasion de démontrer, cartes à l’appui, que CPNT a, un temps, fonctionné comme un « produit masquant » pour le vote FN en 1995, s’effaçant (d’abord en Lot-et-Garonne)  en 2002 où Jean-Marie Le Pen est arrivé en tête au premier tour de  la présidentielle. De Fournas adhère au FN en 2011. Il est parfaitement représentatif d’une partie de la base du parti lepéniste. Pas du tout « normalisé » à la mode « Marine ». C’est une illustration de la « beaufitude » obsédée par l’étranger et son invasion. Le Médoc, fin de terre et donc « finistère », a forgé une partie des comportements de certains de ses habitants : syndrome du refoulé (dans tous les sens du terme) en bout de presqu’ile ; forte endogamie ; misère sociale ; misère intellectuelle et misère humaine. Pas étonnant que Grégoire de Fournas, homme de terrain, en phase avec ce territoire, soit élu une première fois aux élections départementales de mars  2015 à la faveur d’un redécoupage cantonal initialement conçu par ses auteurs (socialistes) comme devant être favorable. Six ans plus tard, le conseiller départemental RN a été battu.  Il a passé son mandat seul à l’extrême-droite de l’hémicycle girondin puisque « sa binôme », elle aussi RN, a rompu avec lui au bout d’un an, allant même demander au président socialiste du département de la Gironde, de la faire siéger à l’opposé de de Fournas dont elle dénonçait l’emprise psychologique sur elle…  Ambiance ! Toutes les interventions du conseiller de Fournas le démontrent : l’homme est obsédé par l’étranger. Il réclame constamment l’expulsion, l’exclusion des « non-Français de souche ». Cette xénophobie fondatrice est celle du FN « canal historique », celle de Le Pen père, celle que Mégret cultivait aussi avant de s’établir à son compte. Celle de Zemmour contre Le Pen fille. Laquelle n’en parle plus guère mais « adoube » un successeur à la présidence de l’entreprise familiale qui ne cache pas cette obsession xénophobe. En réalité tous ces « courants » convergent. Adeptes officiels ou pas de la thèse du « grand remplacement », ils ont en commun sa déclinaison sous des termes différents. De Fournas fait partie de ceux qui croient mordicus à cette thèse, qui le clament, même quand on leur dit de se taire parce que cela fait « mauvais genre » de s’y référer. Il est comme cela Monsieur de Fournas, il croit au « grand remplacement » et entend défendre son credo à coup de « grand barrissement » depuis son siège de député. Voilà pourquoi il pratique le « grand défoulement ». Avec un tel pedigree et une « belle tête de vainqueur » au concours des Dupont-la-Joie médocains, comment a-t-il pu se faire élire député alors qu’il avait été remercié par une partie des électeurs de la 5ème circonscription de la Gironde correspondant à un des cantons (parmi les moins peuplés) de la circonscription ? Par un « alignement de planètes » où l’on découvre que toute la classe politique est responsable.

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D’abord un député sortant en 2022, Benoit Simian totalement décrédibilisé. Ancien membre du PS, il a été élu sous l’étiquette LREM en 2017 contre la députée sortante, socialiste, Pascale Got. C’est une femme de valeur, sérieuse et présente sur le terrain, élue du sud de la circonscription dans sa partie la plus peuplée, celle du « cadran nord-ouest » de l’ agglomération bordelaise où l’on trouve des communes de la Métropole (Blanquefort, Eysines, Parempuyre) très éloignées des misères évoquées plus haut, et dont les maires sont presque toutes socialistes (il s’agit de femmes expérimentées, compétentes et bien implantées). Simian a eu un mandat médiocre, confondant tout, changeant de groupe parlementaire plusieurs fois, condamné en justice pour harcèlement moral sur son ex-épouse. Il n’est plus investi par LREM ou par un de ses partis alliés en 2022. Il aurait dû se retirer s’il avait eu un petit reste d’éthique de responsabilité… Au lieu de cela il est candidat à un nouveau mandat, se déclarant au dernier moment. Son score, ridicule, au premier tour (3,68% des SE), n’a pas d’autre effet que celui de prendre des voix à la candidate investie par la majorité présidentielle, la docteure Karine Nouette-Gaulain, maire du Temple, commune forestière du sud-ouest de la circonscription et candidate « Horizons » à qui il manquera 0,21% des SE pour se qualifier au second tour, devancée de 300 voix par le candidat LFI investi par la NUPES. On arrive ici à ce qui constitue un facteur primordial dans l’élection de de Fournas : la candidature NUPES. Les responsables girondins de La France Insoumise ont tout fait pour s’opposer à l’investiture de l’ancienne députée socialiste sur la 5ème circonscription. Pascale Got souhaitait retourner au combat sous l’étiquette PS avec l’investiture NUPES. Il est manifeste qu’elle aurait réalisé un score nettement supérieur à celui du candidat LFI finalement investi : Olivier Maneiro, ancien Gilet Jaune, ambulancier, absolument inconnu de l’ensemble des électeurs de la circonscription. Mal défendu par des instances fédérales et nationales socialistes faibles et inconséquentes, Pascale Got a été lâchée par le PS dans cette affaire. Pendant 48 heures elle s’est interrogée sur une possible candidature dissidente, en dehors de la NUPES. Femme d’honneur, elle a appliqué la phrase de Jaurès : « On n’a jamais raison contre son parti ». Sauf que le parti en question est déjà mort. Elle a donc renoncé à se présenter. Les cadres de LFI ont eu ce qu’ils voulaient : « plutôt perdre avec un des nôtres que faire gagner une socialo ». Et l’on s’interroge encore sur la cohérence de cette coalition au plan national ? Il serait préférable de tirer les leçons du terrain…. Pour couronner le tout, entre les deux tours, la candidate Horizons-LREM, éliminée, refuse d’appeler à voter pour le candidat LFI en faisant obstacle ainsi au RN. L’abstention, déjà haute au premier tour (50,44% des inscrits), progresse de 1,8% au second (52,24%). Les blancs et nuls, qui étaient de 2,6% des votants au premier tour, passent à 11,71% au second. Grégoire de Fournas est élu par 53,28% des suffrages exprimés et 21,71% des inscrits. Par comparaison, sa collègue parlementaire mariniste, Edwige Diaz, personnalité à l’exact opposé de de Fournas, élue sur la « circonscription d’en face », celle située sur la rive droite de l’estuaire de la Gironde, la 11ème, couvrant le Blayais, le Cubzadais et le nord-est du département, a été élue avec 58,70% des voix soit 25,41% des inscrits, l’abstention étant quasiment la même. C’est peu dire que ces deux-là ne sont pas les meilleurs amis du monde d’ailleurs…

Alors il fait beau jeu d’entendre les voix concordantes des uns et des autres partis politiques en déploration du comportement inexcusable et lamentable du nommé de Fournas, chez qui on ne soupçonnait pas d’ailleurs une telle maitrise de la langue française et de ses subtilités syntaxiques entre « qu’ils retournent » et « qu’il retourne »… De fait, de LFI à LREM, en passant par Horizons et le PS, tous ont apporté leur petite contribution à son élection. On appellera cela : des « circonstances favorables »…. Ce furent plutôt des petites « combinaisons déplorables ». Il n’y a guère que le PCF qui sort indemne de cet épisode de « corne-cul ». Aux départementales de juin 2021, le binôme qui a battu Grégoire de Fournas, conseiller sortant sur « son »  canton 33-22 « Nord-Médoc », était constitué de Stéphane Le Bot (PCF) et de Michelle Saintout (PS), maire de Saint-Estèphe. Dans ce canton, en 2021, le candidat LFI était déjà Olivier Maneiro. Il avait obtenu 5,75% des voix (soit 1,96% des inscrits) : c’était vraiment le bon candidat à présenter pour la NUPES en juin 2022 pour battre le candidat RN à la députation en effet !...

Une dissolution de l’Assemblée nationale est-elle souhaitable et recommandable face à l’impasse politique ? 

Jean Petaux : J’ai dit qu’il n’y a pas d’impasse politique en ce moment, donc la dissolution de l’Assemblée nationale n’est pas à l’ordre du jour. La dernière application de l’article 12 a eu lieu au printemps 1997. Elle a inauguré une nouvelle catégorie de dissolution alors qu’elle était la cinquième depuis la promulgation de la Constitution du 4 octobre 1958. Première catégorie : sortir d’une impasse politique (une vraie celle-là), en octobre 1962 et mai 1968. Deuxième catégorie : mettre en adéquation la majorité présidentielle et la majorité législative (mai 1981 et mai 1988). Celle de 1997 a été originale. Lionel Jospin l’a qualifié de « dissolution pour convenance personnelle ». C’était plutôt bien vu. Il en fut le principal bénéficiaire d’ailleurs. Car Jacques Chirac a réussi l’exploit balistique, cette fois-là, de se tirer une balle dans le pied avec un boomerang en guise de pétoire. Cette dissolution « à froid » était stupide et politiquement insensée. On sait, aujourd’hui, que Philippe Séguin, président de l’Assemblée nationale « dissoute », l’a dit exactement en ces termes au titulaire du fauteuil élyséen. Il fallait avoir le sens politique d’une truffe, ce qu’avait Dominique de Villepin en matière de politique intérieure, alors secrétaire général de l’Elysée, « gentiment » affublé, de ce moment-là, par Bernadette Chirac, du doux sobriquet de « Néron », pour avoir eu cette idée confondante et la souffler ou, plus exactement la « seriner », avec le soutien d’Alain Juppé premier ministre, aux oreilles du  Président Chirac. On ne dissout pas l’Assemblée nationale pour ramener de l’ordre dans les rangs d’une majorité législative favorable à Edouard Balladur, le concurrent de droite battu deux ans plus tôt à la présidentielle. L’article 12, sauf à se retourner contre celui qui l’emploie, tel le boomerang de la scène inaugurale du film de Veber « Le Diner de cons », ne s’utilise qu’en cas de crise grave ou d’alternance présidentielle substantielle. Ce n’est donc pas un hasard si, depuis 25 ans désormais, aucune dissolution de l’Assemblée nationale n’a eu lieu. Celle-ci interviendra peut-être dans le courant de cette mandature. Rien n’est certain d’ailleurs. Et, surtout, nul n’en connait ni le jour ni l’heure… comme dans la parabole évangélique du « Veilleur ». Il n’est surtout pas écrit, aujourd’hui, qu’elle aura lieu rapidement, si la situation parlementaire ne se dégrade pas, du point de vue du président de la République et de lui seul. Car, là encore, comme pour le feu nucléaire, seul « Jupiter » dispose du bouton pour le faire…

La France est-elle orpheline de la figure de l’homme ou de la femme présidentielle dans le cadre de la Ve République ?

Jean Petaux : La France n’est orpheline de personne. D’abord parce qu’il n’est pas forcément pertinent de parler de « la France » dans un pays « archipelisé » comme le dit fort bien mon ami Jérôme Fourquet. Il y a « des » France sans doute. Des communautés qui ont de plus en plus de mal à se représenter en tant que nation ou, tout simplement, comme un même peuple. Alors si la France est orpheline c’est peut-être d’elle-même. D’une histoire ou d’un récit qui a pu être partagé. Encore que n’exagérons rien par rapport à une « unité passée ». Les affrontements ont toujours existé dans ce pays. Sous forme de lutte des classes ; sous forme de « pro » ou « anti » ; de Républicains contre Monarchistes ; de laïcards contre cléricaux : de dreyfusards contre anti-dreyfusards, de pétainistes contre résistants ; de pro ou anti Algérie française ; de pro ou anti de Gaulle (ce n’était pas le même clivage) ; de communistes contre tous les autres ; du peuple de gauche contre les autres ; de pro ou anti-Mitterrand, de pro ou anti-européens… La figure providentielle présidentielle est souvent celle qui se forme après la disparition physique de celle-ci. Aujourd’hui il conviendrait plutôt de s’interroger sur la capacité à agir du président de la République française dans un contexte très fortement mondialisé, à la tête d’u pays qui n’est plus grand-chose sans ses voisins européens et ses alliés. Sur la réalité du pouvoir du conducteur d’un véhicule aux allures de Ferrari avec un moteur de R5… électrique !...

Le jeu d’alliance et la main tendue de Renaissance et d’Emmanuel Macron vers la droite peut-il se concrétiser, notamment dans l’objectif de sa succession pour 2027 ?

Jean Petaux : Cela me semble bien trop prématuré. Emmanuel Macron est déjà confronté à une donnée nouvelle et constitutionnelle inconnue et inédite : celle de l’impossibilité de se représenter en 2027. Non pas pour des raisons politiques ou personnelles (santé par exemple) mais parce que la Constitution, consécutivement à la révision de juillet 2008, la dernière que nous avons connue, l’interdit désormais. C’est, non seulement, inédit dans la « norme » pour la France (c’est le cas aux Etats-Unis après Roosevelt, mais les circonstances de la Seconde guerre mondiale étaient tout autres) mais cela crée aussi une nouveauté dans la pratique politique. Emmanuel Macron, du soir-même de sa réélection, était « en train de sortir » en somme. Face à cette situation de « président institutionnellement sur le départ » (même si c’est dans 4 ans et demis), si, de surcroît l’homme de l’Elysée se préoccupe (trop visiblement) de sa succession, alors il n’est plus « en train de sorti » mais « déjà parti ». « Y penser sans doute tout le temps, n’en parler jamais, ne surtout pas le montrer » : tel est désormais le sort du président actuel, en matière de succession.

Emmanuel Macron a-t-il les cartes en main pour sortir la France de l’impasse politique dans laquelle elle se trouve d’ici la fin de son quinquennat ? Quelles solutions pourraient permettre de sortir de cette impasse ?

Jean Petaux: Le Président a toutes les cartes en main. C’est le seul, du fait de la Constitution, à disposer d’un tel jeu. Sous la Cinquième république le recours au peuple est la seule véritable voie pour sortir d’une crise politique majeure où, à  la paralysie sociale et économique,  viendrait s’ajouter une crise politique, parlementaire, institutionnelle, environnementale ou sanitaire, comme en Mai 68 par exemple (encore que ces deux variables n’étaient pas à l’agenda politique alors). Celle des Gilets Jaunes par exemple n’en fut pas une car il n’y a pas eu de crise institutionnelle et parlementaire. Ce recours au peuple peut prendre deux formes auxquelles on peut ajouter une troisième hypothèse. Première option : le référendum (à la de Gaulle et pas à la Pompidou, à la Mitterrand ou à la Chirac) : autrement dit avec mise en jeu sur la table du mandat présidentiel. Les opposants crieront au plébiscite. C’est ce qui s’est toujours fait pour de Gaulle. Ce sera normal. Ils hurleront au plébiscite mais appelleront à voter « non » (quelle que soit la question) en espérant l’emporter et donc de faire partir le Président en place. Mais si celui-ci l’emporte, il aura « fait tapis » et aura, sérieusement, dégagé le paysage politique à son profit. Y compris pour son successeur en 2027. Deuxième option : la dissolution. Je n’y reviens pas.

Il reste une troisième voie. Elle est encore plus risquée et donnerait lieu à un fameux débat constitutionnel. Le Président démissionne et se représente. Mettant le peuple en demeure de se prononcer sur la légitimité de ses choix politiques. Pari risqué, très risqué même. On sait aussi que l’actuel locataire de l’Elysée aime bien cette expression : « Prendre son risque ». Mais il n’est même pas certain que cela puisse se faire… Depuis la réforme de juillet 2008 l’article 6 de la Constitution de 1958 révisé, dit explicitement ceci : « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Qu’entend-on ici ? S’agit-il d’un « mandat plein », autrement dit un total maximum de 10 années dans la fonction présidentielle ? Un mandat qui s’arrête avant son terme « normal » (au bout de deux ans ou trois par exemple) est-il considéré comme un « vrai mandat » et autorise-t-il ou non une « troisième candidature consécutive » ? Et dans l’hypothèse où une troisième candidature serait déclarée constitutionnelle, en cas de réélection, le « nouveau » mandat sera-t-il de cinq ans ou s’achèvera-t-il lorsque l’on aura atteint les dix années consécutives de présence à l’Elysée, donc, toujours en 2027, autrement dit 10 ans après la première élection en mai 2017 ? Si le constituant avait voulu être précis il n’aurait pas parlé de « mandat » mais de « candidature ». Ce serait le scénario le plus amusant… En tous les cas peut-être le plus riche en rebondissements. On peut rêver.

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