La France, cette championne de l'intégration européenne… poussée dans les fossés de l’UE<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron, le président polonais Andrzej Duda et le chancelier allemand Olaf Scholz lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, le 17 février 2023.
Emmanuel Macron, le président polonais Andrzej Duda et le chancelier allemand Olaf Scholz lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, le 17 février 2023.
©Odd ANDERSEN / AFP

Mémé dans les orties

La fronde contre l’interdiction des moteurs thermiques qui se développe sous l’impulsion de l’Allemagne n’est que le dernier exemple en date de la marginalisation de Paris.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Début mars, l’Allemagne a décidé de bloquer la ratification du texte qui interdisait la vente de véhicules thermiques neufs en 2035, bien qu’il ait été voté par le Parlement européen et approuvé par la Commission. Derrière ce revirement allemand, faut-il voir une marginalisation de Paris ?

Rodrigo Ballester : L’Allemagne, certes, mais soutenue ouvertement par l’Italie, la Tchéquie, la Pologne et la Bulgarie et probablement par d’autres dans les coulisses. En effet, cette proposition de la Commission avait fait l’objet de négociations laborieuses pendant plusieurs années entre le Conseil (des ministres des Etats membres) et le Parlement. L’année dernière, ils étaient arrivés à un accord informel qui ne demandait qu’à être entériné formellement et voici que cette coalition menée par l’Allemagne et qui dispose d’une minorité de blocage décide de bloquer le compromis au dernier moment, au grand dam du Parlement, de la Commission et d’autres Etats membres, notamment la France et l’Espagne. Voici la situation, une impasse.

Donc, il ne s’agit pas d’une défaite de Paris, encore moins d’une marginalisation. C’est plutôt une bataille qui va déchirer certains Etats membres en deux camps et, également, une crise grave du couple franco-allemand qui a d’autant plus vexé Paris qu’il s’agit d’un revirement de dernière minute de Berlin et ses acolytes. En effet, pendant les négociations préalables, l’Allemagne s’était pliée au compromis. Mais c’était sans compter avec la détermination du FDP qui pilote le ministère du Transport et de l’arrivée de Giorgia Meloni au pouvoir. Certes, Berlin a changé son fusil d’épaule. Mais vu les conséquences néfastes que cette législation européenne aurait sur le fleuron industriel allemand, ce revirement n’est pas si surprenant.

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Donc, voyons dans cette crise plutôt un signe de la faiblesse du couple franco-allemand et d’une Europe multipolaire dont le centre de gravité se déplace inexorablement vers l’Est, donc, plus loin de la France.

A-t-on d’autres dossiers sur lesquels la France s’est ainsi retrouvée cornerisée de l’UE ?

Parlons plutôt de sujets sur lesquels la France n’a pas eu l’influence qu’elle avait ou qu’on lui prêtait. La grande défaite française (et pour le coup, une victoire allemande camouflée de consensus européen) des vingt dernières années reste bien entendu l’inexplicable sabordage de sa filière nucléaire. Un hara-kiri industriel que la France regrette amèrement aujourd’hui et qui reste difficilement explicable, si ce n’est pour des raisons idéologiques et par la capacité d’intimidation de l’Allemagne quand elle réussit à mettre l’UE au diapason de ses intérêts.

Sinon, récemment, on ne peut pas dire que la France ait été marginalisée sur les deux grands dossiers des cinq dernières années, à savoir, le grand emprunt européen (plutôt une victoire française) ou la position européenne vis-à-vis de l’Ukraine. Par ailleurs, la France reste la référence de l’UE en matière de défense et la parole d’Emmanuel Macron pèse encore dans le débat.

Mais le problème, justement, c’est que l’UE s’est habituée à ces « paroles » qui ne sont pas suivies d’actes pour les mettre en œuvre ou si peu. Autant pendant son premier mandat, Macron le flamboyant jouissait d’une aura et certains de ses discours eurent un vrai impact (celui de la Sorbonne, notamment), autant celle-ci s’est estompée et les messages sont devenus inaudibles. Trop de verbe, trop de gestes, trop de gesticulations, mais de moins en moins de crédibilité à force de ne pas les concrétiser.

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Un exemple récent : Emmanuel Macron a proposé en mai dernier la création d’une Communauté Politique Européenne, un nouveau cadre pan-européen pour tous les pays du continent (sauf la Russie et la Biélorussie), une réponse géopolitique à la situation actuelle et une façon de faire patienter d’une manière moins vexante les pays candidats de longue date tout en donnant une alternative tangible à l’Ukraine. Pourquoi pas ? L’idée se tient.

Dix mois après le discours du Président au Parlement européen, une première réunion fut organisée à Prague en octobre et, depuis, plus rien. Pas de travail de fond pour expliquer cette initiative qui suscite surtout un torrent de questions… à ce jour sans réponses. Comme si un discours suffisait. Il est incompréhensible que le Quai d’Orsay soit inaudible et ne fasse que peu de pédagogie pour expliquer la raison d’être et la valeur ajoutée de cette communauté qui suscite tellement d’interrogations. L’excès de gesticulations se paie en manque de crédibilité. 

Comment se fait-il que la France championne de l'intégration européenne et fervente partisane de celle-ci se retrouve à ce point marginalisée dans l’UE ?

Soyons nuancés : la France n’est ni la championne toutes catégories de l’intégration européenne (du moins, dans les actes) et elle n’est pas devenue non plus le vilain petit canard marginalisé et méprisé. Elle reste un poids lourd mais un poids lourd en déclin, en perte de vitesse. Tout comme l’Allemagne, d’ailleurs, qui a beaucoup perdu de sa superbe de l’ère Merkel. Ce « couple » est désormais concurrencé par une Europe multipolaire et dont le centre de gravité se déplace, lentement, vers l’Est et vers la Pologne en particulier.

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Concrètement, la perte de vitesse de la France s’explique également par des maux propres. Tout d’abord (et j’y ai déjà fait référence) ce penchant pour les discours aussi flamboyants que vides, des effets d’annonces et des montagnes qui accouchent régulièrement de souris. Mais également une situation économique et sociale tendue qui ne contribue pas à faire de la France une référence pour ses voisins. La réforme des retraites (qui, rappelons-le, laisse perplexe dans la majorité des autres pays) en est le parfait exemple. En Europe, il faut balayer devant sa porte pour asseoir son influence.

Que manque-t-il à Paris pour réussir à sortir de ce fossé dans lequel la France est trop souvent poussée dans l’UE ?

Cesser les effets d’annonce, entamer une vraie « Ostpolitik » avec le pays d’Europe Centrale que la France continue à regarder de haut (ce qui relève de l’aveuglement), faire quelque peu le deuil du couple franco-allemand même s’il perdure encore. Mais surtout, je dirais, remettre l’église au milieu du village, c’est-à-dire, les intérêts nationaux au cœur de sa politique européenne. Une UE au sein de laquelle les Etats membres parlent le langage des intérêts nationaux plus que celui des valeurs abstraites est mieux équipée pour naviguer sur les eaux turbulentes de cette nouvelle donne géopolitique. Voilà exactement ce que font l’Allemagne et d’autres pays en s’opposant in extremis au suicide annoncé de l’industrie automobile européenne alors que la Chine est déjà bien en avance sur la filière électrique. Et ce faisant, ils sont peut-être en train de sauver l’Europe d’un excès mortifère de dogmatisme climatique. Un réflexe de survie. Un réflexe que la France a enfoui derrière une couche toxique d’idéologie et de paroles creuses.

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