La fabrication des batteries, un concentré des travers de la mondialisation actuelle<!-- --> | Atlantico.fr
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Cette photo prise le 30 mars 2020 montre un employé travaillant sur une ligne de production de batteries dans une usine de Huaibei, dans l'est de la province chinoise d'Anhui.
Cette photo prise le 30 mars 2020 montre un employé travaillant sur une ligne de production de batteries dans une usine de Huaibei, dans l'est de la province chinoise d'Anhui.
©STR / AFP

Bonnes feuilles

Denis Payre publie « Le contrat mondial : Pour que l'humain et la nature soient enfin au cœur de la mondialisation » chez First Editions. Le libre-échange, jusque-là créateur de richesses, a contribué à creuser les inégalités. L'Occident a accepté une mise en concurrence déloyale de ses industries soumises aux normes sociales et environnementales les plus exigeantes et donc les plus coûteuses, avec celles de pays ayant encore très peu de normes. Il est indispensable que la mondialisation redevienne équilibrée et éthique pour contribuer à résoudre la crise sans précédent que nous connaissons. Il est aussi indispensable d'aider enfin les pays en développement pour la prospérité et la stabilité du monde. Extrait 1/2.

Denis Payre

Denis Payre

Denis Payre est un entrepreneur français, défenseur du progrès social et environnemental, et un organisateur politique. Présent à la fois à Paris et à Boston, il travaille au-delà des frontières nationales depuis plus de trente ans, en tant que salarié de multinationales, fondateur de plusieurs sociétés ayant connu des succès internationaux, membre d’organismes gouvernementaux, dirigeant d’un groupe d’action politique ainsi qu’en tant que business angel et  membre de conseils d’administration et citoyens. Il a publié "Le contrat mondial : Pour que l'humain et la nature soient enfin au cœur de la mondialisation" chez First Editions.  

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Le procédé de fabrication des batteries lithiumion démarre en République démocratique du Congo (RDC), l’ex-Zaïre. C’est en effet là qu’est extrait l’essentiel du cobalt, ce minerai qui est très utilisé dans la fabrication des batteries. La RDC a de fait un monopole sur ce minerai. D’après le US Geological Survey (USGS), l’une des sources les mieux renseignées au monde sur ces sujets, la RDC produisait en 2019 71 % du cobalt de la planète. Le deuxième pays producteur est la Russie, avec une production qui ne représente que 4,3 % de la production mondiale. La RDC est donc un géant incontournable du cobalt. Les fabricants de batteries tentent de réduire ou de se débarrasser du cobalt pour le remplacer par d’autres minerais, compte tenu des circonstances épouvantables d’extraction en RDC et de la dépendance totale à ce pays. Cependant, cela reste un composant majeur. Le magazine Fortune, l’un des plus importants dans le monde des affaires et en aucun cas une publication altermondialiste, a publié en août 2018 un article détaillant les conditions d’extraction du cobalt en RDC. Il décrivait le travail d’enfants de 10 à 15 ans dans des mines artisanales qui revendent leur production à des intermédiaires chinois, pour la plupart, et qui gagnent 2 dollars par jour en moyenne. Les mineurs, y compris dans les mines officielles, n’ont pas de gants, de casques ou de masques, alors que le cobalt est un minerai très corrosif qui attaque la peau. Il peut aussi déclencher des maladies respiratoires graves. Les mines ne sont souvent pas étayées, les accidents sont donc fréquents. Le Times de Londres rapportait en mars 2019 que lorsqu’une mine s’effondre et qu’un mineur décède, le travail continue. On creuse un nouveau puits à côté sans prendre la peine, le plus souvent, d’aller rechercher les mineurs ensevelis. Il décrivait aussi les expropriations brutales des mineurs individuels par des sociétés minières chinoises, car la Chine est de loin le premier pays producteur de batteries lithium-ion. Des sociétés comme Apple tentent d’éviter d’utiliser du cobalt ayant impliqué le travail des enfants, mais la traçabilité du cobalt est très difficile, car l’essentiel de la production transite par la Chine. Compte tenu de ces polémiques persistantes, les fabricants de batteries tentent de s’affranchir du cobalt, mais n’y sont pas encore parvenus. Le cobalt pourrait être remplacé par deux autres minerais, le manganèse et le nickel. La production de ces minerais est aussi très concentrée sur un petit nombre de pays, parmi lesquels on trouve le Gabon, le Ghana et l’Inde pour le manganèse, et l’Indonésie et les Philippines pour le nickel. Quelles seront les conditions d’extraction dans ces pays ? Seront-elles nettement meilleures qu’en RDC du point de vue des normes sociales ? Malheureusement, non.

Le cobalt extrait en RDC était raffiné à 65 % en Chine en 2017, d’après McKinsey, compte tenu de la part de marché dominante de la Chine dans la fabrication des batteries. D’après Bloomberg New Energy Finance, en 2019, la Chine contrôlait 80 % des capacités de raffinage des matières premières, elle détenait 77 % des capacités mondiales de production de cellules de lithium destinées aux batteries lithium-ion et 60 % des capacités de production mondiale des composants des batteries. La Chine contrôle aussi l’approvisionnement en amont des matériaux essentiels comme le lithium. Des cinq principales entreprises qui exploitent le lithium, trois sont chinoises. Les États-Unis arrivaient en deuxième position et ne détenaient que 12 % des capacités mondiales de production alors que, paradoxalement, l’invention des batteries lithium-ion a été faite dans les laboratoires des universités de Stanford, aux États-Unis, et d’Oxford, en Angleterre, dans les années 1980. Les batteries sont un de ces nombreux exemples récents où des efforts de recherche et développement occidentaux ont été industrialisés en Asie, et ont bénéficié massivement à l’emploi dans ces régions, au détriment de l’Occident. Cela a aussi conduit à la création des savoir-faire technologiques désormais hors de portée des entreprises occidentales. Nous reviendrons plus loin sur le processus qui a conduit à ces situations.

D’après un rapport de McKinsey de juin 2019, l’Europe ne représenterait que 1 % des capacités de production des batteries pour véhicules électriques. Ces batteries sont le plus souvent aussi celles qui sont utilisées pour le stockage stationnaire d’énergie. Selon Asia Nikkei, parmi les 10 premiers fabricants mondiaux de batteries pour véhicules électriques, on trouve 7 entreprises chinoises, dont les leaders BYD et CATL, et seulement un Japonais et deux Sud-Coréens, les entreprises Panasonic, LG Chem et Samsung SDI. La Chine a pris le contrôle du marché des batteries lithium-ion en quelques années et a marginalisé les acteurs historiques, les japonais en particulier, qui représentaient, jusqu’en 2000, près de 95 % de la production mondiale, dont Sony, qui avait été le premier producteur en 1992. On a assisté à une chute rapide du coût des batteries ces dernières années. D’après Bloomberg New Energy Finance, les prix des batteries lithium-ion ont chuté de 87 % entre 2010 et 2019. Cette chute des prix s’explique par une bonne raison et par une série de mauvaises raisons. Elle s’explique bien sûr par la croissance des volumes, qui a entraîné des économies d’échelle importantes. Mais elle s’explique aussi par la délocalisation des processus de production du Japon vers la Chine, dont la main-d’œuvre a un coût très faible parce que les normes sociales sont rudimentaires. Pour ne pas disparaître, les fabricants japonais ont donc dû délocaliser leur production en Chine. Elle s’explique enfin par des normes environnementales réduites et par les subventions massives de l’État chinois à ses fabricants de batteries. Asia Nikkei évoque la somme de 10 milliards de dollars entre 2012 et 2020. Ces trois dernières raisons sont rarement citées par les observateurs, qui se contentent de parler des économies d’échelle et occultent totale‑ ment le caractère moins avouable et plus artificiel de cette baisse des prix. Cette baisse est donc le résultat d’un triple dumping : un dumping classique à base de subventions, qui sont le plus souvent illégales devant l’OMC, comme nous le verrons ; un dumping social et un dumping environnemental, sur lesquels nous reviendrons aussi en détail. En résumé, l’ensemble des droits sociaux auxquels les employés américains et français ont accès sur les chantiers de nos sous-traitants n’existe pas en Chine. Il est impossible pour un ouvrier chinois de rejoindre un syndicat indépendant pour améliorer ses conditions de travail et sa rémunération, une grève va entraîner presque automatiquement le licenciement des meneurs. Les salaires ne sont pas toujours versés et les recours dans ce cas sont très difficiles, avec peu de chances d’aboutir et, de surcroît, ils sont très coûteux. Les cotisations sociales ne sont pas toujours reversées aux organismes, et l’accès aux soins reste compliqué, les normes d’hygiène et de sécurité sont rudimentaires et rarement observées.

La quasi-absence de normes environnementales

De plus, les normes environnementales en Chine sont aussi très rudimentaires et cela concerne en particulier l’extraction du lithium, avec des cas nombreux de pollution et des dommages importants sur la faune. Extraire le lithium nécessite des produits très toxiques qui se retrouvent souvent dans des rivières proches des mines. Le Washington Post19 rapportait en décembre 2016 de nombreux cas de pollution sur les plateaux du Tibet. La pollution des rivières tue des poissons et des yaks en très grande quantité, en particulier la mine de lithium de Jiajika, dans la ville-district de Dartsedo. Tout cela permet donc aux entreprises chinoises d’accéder à des coûts de production très bas, comparés aux pays occidentaux où nous devons respecter l’environnement scrupuleusement comme nous l’avons décrit plus haut.

Les processus d’extraction des autres pays producteurs de lithium sont aussi souvent très polluants, car il s’agit de pays émergents et en développement qui ont aussi le plus souvent des normes environnementales très rudimentaires. Dans un article de décembre 2016, le Washington Post20 évoquait ce qu’il appelait la « ruée vers l’or blanc » pour exploiter les gisements de lithium des hauts plateaux de l’Atacama dans les Andes, aux confins de l’Argentine, du Chili et de la Bolivie, dans ce que l’on appelle le « Triangle du lithium ». Il s’agit d’une zone qui a la plus forte concentration de lithium au monde. La demande de lithium explose pour pouvoir alimenter les batteries des produits électro‑ niques, mais aussi celles des véhicules électriques, et le stockage stationnaire d’énergie pour les réseaux électriques afin d’aider à l’intégration des énergies renouvelables intermittentes. Les quantités peuvent être considérables pour un véhicule électrique allant de 20 kg pour un petit véhicule à 50 kg pour une Tesla puissante. L’exploitation du lithium nécessite des quantités d’eau considérables : 1,9 million de litres d’eau pour produire une 1 tonne de lithium. L’eau contenant le lithium est extraite du sous-sol. Elle est stockée dans de vastes bassins, le lithium est récolté après évaporation de l’eau. Cette eau est salée et donc impropre à la consommation, mais un certain nombre de scientifiques pensent que les ressources en eau souterraine sont connectées et que les réserves d’eau potable sont impactées aussi par cette exploitation du lithium. Ils pensent que l’eau potable vient remplacer l’eau salée dans les cavités laissées vacantes par l’exploitation du lithium et devient alors impropre à la consommation, ou n’irriguent plus les sols naturellement. Plusieurs éleveurs de lamas des plateaux de l’Atacama se sont plaints d’une augmentation de l’aridité des sols depuis l’ouverture des mines et d’une forte diminution de leur capacité à continuer cette activité. L’article du Washington Post montre bien comment les compagnies minières financent des scientifiques et abusent de la pauvreté des communautés de ces régions pour acheter, à très bas prix, le silence des populations sur les conséquences environnementales de leur exploitation. Là encore, le vrai coût de l’exploitation est minimisé par rapport à ce qu’il serait dans un pays développé, où des études indépendantes seraient menées et où des normes strictes d’exploitation seraient imposées, incluant probablement une obligation de reconstitution des réserves d’eau potable par traitement des eaux usées des mines et par désalinisation d’une partie des eaux rejetées, pour compenser les pertes en eau potable. Cela augmenterait bien sûr le coût d’extraction du lithium dans l’Atacama. Ce sujet est un sujet sensible dans n’importe quelle région du monde, il est d’autant plus sensible dans des régions très arides comme les plateaux de l’Atacama où il pleut moins de 10 cm par an… Le lithium n’étant pas recyclable pour le moment, cette situation risque de perdurer longtemps et d’avoir des conséquences considérables pour ces régions arides et pauvres et pour leurs populations.

Extrait du livre de Denis Payre, « Le contrat mondial : Pour que l'humain et la nature soient enfin au cœur de la mondialisation », publié chez First Editions.

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