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Nicolas Sarkozy et Gérald Darmanin lors de l'hommage national à Charles Aznavour aux Invalides, à Paris, le 5 octobre 2018.
Nicolas Sarkozy et Gérald Darmanin lors de l'hommage national à Charles Aznavour aux Invalides, à Paris, le 5 octobre 2018.
©Ludovic MARIN / AFP

Objectif 2027

Alors que le ministre de l’Intérieur fait sa première rentrée politique ce dimanche, l’ancien président de la République a semblé l’adouber en lui souhaitant qu’il « puisse franchir l’étape ultime qui mène à la présidence de la République ».

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Dans La Voix du Nord, Gérald Darmanin déclare, «Je me sens légitime pour dire qu’il faut s’occuper de la marmite sociale qui bout».  Gérald Darmanin estime «assez probable» une victoire de Marine Le Pen et veut, pour contrer cela, s'adresser aux catégories populaires. Ce sera d'ailleurs l'un des enjeux de sa rentrée, dimanche, à Tourcoing. Qu’est-ce que ces déclarations disent de la vision politique et idéologique de Gérald Darmanin ? 

Maxime Tandonnet : Personne ne pourra jamais oublier que Gérald Darmanin aura été, depuis 2017, un acteur essentiel de la politique qui a été conduite, non seulement en matière de sécurité et d’immigration, mais aussi dans le domaine social, notamment lors de la réforme controversée des retraites (les 64 ans) qui a été réalisée contre la volonté et le bon sens) de l’immense majorité de la nation. La marmite sociale bout mais qui  entretient le foyer sous la marmite ? Quant à la « victoire assez probable de Marine le Pen », cette phrase doit se comprendre comme la quintessence du modèle politique qui s’impose depuis une dizaine d’années : réduire les enjeux électoraux au combat contre un « épouvantail » tout en l’exhibant, pour faire oublier la faillite d’un bilan et l’absence de toute perspective. Les déclarations du président Sarkozy et de Gérald Darmanin se rejoignent : l’idée est de valoriser Mme le Pen, tout en maintenant une dose de diabolisation pour préserver la glaciation du système et permettre une élection confortable du successeur désigné de M. Macron en 2027.

Jean Petaux : On ne peut pas découvrir seulement en cette fin du mois d’août 2023 que Gérald Darmanin est un ministre « politique » qui fait de la politique à plein temps. Depuis qu’il est rentré dans l’arène il n’a pas cessé d’y exercer ses talents. Son tout premier mandat électif date de 2008 en tant que conseiller municipal de Tourcoing, mais dans l’opposition au maire socialiste M.F. Delannoy. En mars 2008 Gérald Darmanin n’a que 25 ans et demi. Professionnellement c’est déjà un « permanent » de la politique. Il est diplômé de Sciences Po Lille depuis 2007 mais sa fiche Wikipédia indique qu’il milite au sein des jeunes RPR depuis l’âge de 16 ans. Cette précocité n’est pas sans rappeler le parcours militant d’un certain Nicolas Sarkozy, très jeune alors, que Jacques Chirac, chef du RPR, a découvert un jour de meeting national, qui devait parler à la tribune trois minutes et qui a rendu le micro, après avoir soulevé la salle, au bout de vingt minutes. Darmanin, aujourd’hui âgé de 41 ans a donc un « background » politique de près de 25 ans. Ce qui est considérable de nos jours même si cela ne garantit aucunement un avenir politique couronné de succès. Ces éléments purement factuels doivent néanmoins être présents à l’esprit quand on veut comprendre et analyser le comportement politique actuel du ministre de l’Intérieur.

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De l’avis de celles et ceux qui le connaissent bien et le voient pratiquer son « métier » au jour le jour, l’homme est un vrai « professionnel ». Il ne laisse rien au hasard, multiplie les interventions politiques, signe des tonnes de lettres et de courriers divers, multiplie les déplacements, parle autant à des élus locaux de la majorité ou des oppositions, étalonne tous ses discours et ses actes au « pèse-politique » qui est à la pratique politique ce que l’alcootest est au chauffeur routier professionnel : un « marqueur » et un « indicateur » intangible et indispensable. Quand Gérald Darmanin tient comme « assez probable » une victoire de Marine Le Pen en 2027 il ne fait pas une « projection politique » comme le ferait un spécialiste des sondages ou un politologue qui oublierait ainsi, faisant cela, que la science politique n’est aucunement prédictive. Quand il pose ce diagnostic (plus exactement ce « pronostic ») Gérald Darmanin fait encore de la politique. Il invoque une potentielle élection de la leader du Rassemblement national à la présidence de la République pour justifier sa propre candidature. Tel un judoka il s’appuie sur son adversaire pour se renforcer. La particularité c’est qu’il y trouve force et énergie non pas, directement, contre elle et pour mieux la faire chuter (ce que fait tout judoka sur le tatami) mais il l’utilise contre ses concurrents.

Posant comme principe qu’il est le seul à parler aux classes populaires (dont il est lui-même issu) et surtout à être le seul qui peut être entendu par elles, Darmanin renvoie tous les autres (au sein du camp « macroniste » au sens large) derrière lui. Ils ne peuvent rivaliser avec l’élu du Nord dans un affrontement face à Le Pen. C’est du moins l’intention affichée par Darmanin.

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Tout comme Sarkozy, Darmanin entend combattre le populisme par le populisme. L’équation est ainsi posée : « sachant que la présidente du RN est première dans l’électorat populaire ; sachant que cet électorat est le plus abstentionniste du corps électoral ; sachant que tous les discours autres que populistes n’ont plus de prise sur cet électorat, que faut-il tenir comme propos aux Français et aux électeurs de Marine Le Pen en particulier ? ». Gérald Darmanin a, d’évidence, trouvé sa solution : il faut parler « peuple » au « peuple ». Répondre aux attentes sécuritaires formulées par les catégories populaires. Traiter le chômage ou les emplois précaires dans les catégories les plus pauvres de la société française. Et faire en sorte que l’immigration soit strictement contenue et contrôlée. D’autant plus que les tenants d’une politique migratoire strictement encadrée sont justement ceux qui appartiennent aux catégories populaires (quand ce ne sont pas les personnes issues de l’immigration récente…).

Darmanin est de droite. Il ne l’a jamais caché. Il a même été « blacklisté » dans ses premières années militantes parce qu’il n’était pas du tout favorable à la « grande UMP », pur produit du projet d’Alain Juppé d’un parti unique regroupant RPR et UDF, en 2004. Le jeune Darmanin, responsable des jeunes RPR du Nord, a même été « crossé » par la direction centrale de l’UMP (dans laquelle figurait Edouard Philippe comme directeur général, premier lieutenant d’Alain Juppé, le tout nouveau Président) pour avoir « renâclé » à rallier les jeunes RPR du Nord au nouveau parti qui se voulait « attrape-tout » et qui (faute quasiment mortelle pour le jeune Gérald, nourrit au biberon du « gaullisme social et populaire » d’un Philippe Séguin) ambitionnait d’agréger les « libéraux » ou les « démocrate-chrétiens » europhiles, de Madelin à Raffarin, de Barrot à Méhaignerie… Près de deux décennies plus tard, le ministre Darmanin n’a pas changé : il est toujours de droite, sécuritaire et sans concession. Il détient, désormais, un record, celui des demandes de dissolution d’associations dont il estime le comportement contrevenant au respect de l’ordre public). De l’avis même des spécialistes des questions de sécurité ce genre de mesure n’a aucun intérêt opérationnel et peut même se révéler complètement contre-productif, mais ce n’est pas un problème pour le ministre : il fait de la politique et sait parfaitement que les symboles, en la matière, sont plus importants que les résultats. C’est en ce sens qu’il se montre, aussi, un disciple fidèle de Nicolas Sarkozy.

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Certains diront que prendre comme modèle celui qui a été battu à sa propre réélection en 2012 et a terminé troisième de la primaire de la droite et du centre en novembre 2016, n’est pas forcément une bonne idée. On leur répondra qu’avant d’être battu, Nicolas Sarkozy a été très bien élu à l’Elysée au printemps 2007 au terme d’une trajectoire de candidature remarquable et parfaitement réussie. Certes face à une « concurrence » médiocre mais quand même… Si le Darmanin de 2023 s’inspire du « Sarkozy modèle 2007 », il a de réelles chances devant lui…

Politico a révélé que Darmanin entretenait de bonnes relations avec les grands patrons français et que Bernard Arnault avait poussé pour qu’il soit nommé Premier Ministre ? Que faut-il y voir en termes stratégique et politique ?

Maxime Tandonnet : En ce moment le Système, comme disaient de Gaulle et Mitterrand – les puissances financières, industrielles et médiatiques – commence à paniquer. En rendant inéligible, par la réforme constitutionnelle de 2008 le président de la République pour un troisième mandat, Nicolas Sarkozy savait-il qu’il posait une véritable bombe à retardement ? Sur le champ de ruines qu’est devenue la politique française et dans un contexte d’apathie de l’opinion, une troisième élection d’Emmanuel Macron s’imposerait naturellement si Sarkozy n’avait pas interdit un troisième mandat (sur le modèle américain). Alors, le Système prend peur, quatre ans à l’avance, il tremble. Il voit dans le président Macron – qui a supprimé l’ISF – le protecteur de ses intérêts. Paradoxalement, alors que la France, dans la période récente, a rarement été aussi agitée et violente que depuis 2017, entre les Gilets Jaunes, les mouvements sociaux et la dernière crise des banlieues, le Système voit dans l’actuel président un rempart contre le chaos. Et le chaos s’incarne à ses yeux dans la perspective d’une arrivée à l’Elysée de Mme le Pen ou de M. Mélenchon. Donc, il cherche un successeur à M. Macron dans la stricte continuité de celui-ci. Ces derniers jours, il vient de lancer Gérald Darmanin dans la course, comme un ballon d’essai pour voir si la greffe va prendre dans l’opinion. En vérité, chacun pense au modèle de Nicolas Sarkozy, lancé dès 2002 dans la course pour 2007. Or, les circonstances n’ont strictement rien à voir, ni l’état d’esprit du pays – devenu infiniment plus sceptique et critique –, ni le ressenti populaire autour de l’image de ces deux personnalités. Pour l’instant, la France est confrontée à une inconnue totale et ce n’est pas ce ballon d’essai qui permettra de clarifier les choses…

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Jean Petaux : Paradoxalement en France ce n’est pas parce qu’un candidat peut apparaître comme soutenu par des « milliardaires » ou des « grands patrons » qu’il ne peut pas obtenir les voix d’une majorité de l’électorat populaire. La proximité revendiquée (ou à tout le moins « non-niée ») avec un grand patron du genre Arnault, un Pinault (Chirac), un Bolloré (Sarkozy) voire un Riboud (Mitterrand) n’a pas nuit aux politiques qui se sont ainsi affichés voire recommandés de ces grands noms de l’entreprise ou de l’économie. Après tout si les « affaires » marchent, l’économie marche aussi et les offres d’emplois suivent... Gérald Darmanin peut considérer que si un Bernard Arnault est venu plaider sa cause auprès du Président de la République, début juillet, lors d’un de ces entretiens « hors agenda » que les observateurs se plaisent à désigner sous l’appellation des « Visiteurs du soir » (expression qui ne doit rien au cinéma de Marcel Carné mais plutôt aux manœuvres du fameux Abbé Dubois auprès du Régent et dont l’interprétation cinématographique par le génial Jean Rochefort est un des rôles cultes de « Que la fête commence » du grand Bertrand Tarvernier…), cette démarche vers Emmanuel Macron fait plus pour la crédibilité de « présidentiable » du premier « flic de France » qu’elle ne lui « met des bâtons dans les roues ». D’autant que Gérald Darmanin multiplie les signaux destinés à montrer qu’il n’est pas, justement et seulement, le « premier policier français » mais qu’il entend faire de la politique sur tout et tout le temps. Qu’il lui importe désormais de sortir de sa stricte zone de compétence, celle limitée à l’hôtel de Beauvau pour se mêler de tout… Ce qui ne fait guère plaisir, naturellement, à la première des ministres…

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On mesure que Gérald Darmanin entend être le maître du tempo dans une course où la ligne d’arrivée ne sera en vue que dans trois ans et demi désormais… Dans l’absolu c’est très court… Pompidou aura mis sept ans pour entrer à l’Elysée en 1969 depuis sa nomination à Matignon au printemps 1962 ; Giscard a sans doute eu cette ambition dès le début des années 60… il lui aura fallu plus d’une décennie pour passer de la rue de Rivoli (dont il s’est fait sortir d’ailleurs quelques années) à la rue du Faubourg Saint-Honoré ; Mitterrand et Chirac sont presque « hors concours »… : 23 ans pour le premier entre 1958 et 1981 ; 21 ans (au moins pour le second, entre son arrivée à Matignon en 1974 et son entrée à l’Elysée en 1995). Se positionner maintenant pour conquérir le « Château » pour Gérald Darmanin, cela n’a donc rien d’exceptionnel. Mais tenir trois ans et demi sous le feu croisé des rivaux internes et des adversaires politiques nécessite d’avoir le cuir solide et tanné. Depuis l’âge de ses 16 ans, le petit gars de Ch’Nord, « jeune homme au sang mêlé » (selon la formule réussie de son mentor actuel), a eu le temps de se forger une armure. Ce sont, justement ses origines populaires, celles qui lui permettent, selon lui, comme il le dit à « La Voix du Nord » de se « sentir légitime pour parler de la marmite sociale qui bout » qui lui offrent des perspectives pour 2027.

Ses chances ne sont pas minces ; son destin n’est pas écrit non plus…

Nicolas Sarkozy dévoile sa vision du monde et de la politique dans son nouveau livre, "Le temps des combats". L’ancien président était le dernier à avoir réussi à renouveler le logiciel de la droite, avec une incarnation par le trio Buisson, Guaino, Mignon. Que reste-t-il de cette vision, et du Sarkozysme aujourd’hui, à droite et chez Nicolas Sarkozy lui-même, et chez Gerald Darmanin qu’il adoube dans son livre ?

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Maxime Tandonnet : Gérald Darmanin fait partie du gouvernement formé par Emmanuel Macron et Elisabeth Borne. Il en est même l’un des piliers. Or, la politique qui est menée par ce gouvernement n’a pas grand rapport avec le projet de Nicolas Sarkozy de 2012. On se souvient, le projet sarkozyste remettait en cause la logique européenne dite de Schengen sur la libre circulation des personnes prônant une réforme profonde de la politique européenne de l’immigration. Il se fondait sur une stricte maîtrise de l’immigration préconisant des plafonds d’accueil (à 100 000 titres de séjour annuels) et une fermeté implacable sur l’immigration irrégulière. La présidence Macron depuis 2017 ne correspond pas à cette vision. L’actuel chef de l’Etat, avant son élection, déclarait que « l’accueil des réfugiés était une chance pour l’économie française ». Il vient de réaffirmer que la France devait rester une terre d’accueil même si, dans sa dernière déclaration, il estime que l’immigration doit être « significativement réduite ». Les faits parlent d’eux-mêmes. Les flux migratoires ont battu des records absolus ces dernières années : 350 000 « premiers titres de séjour » et 150 000 demandeurs d’asile en 2022. La politique gouvernementale, telle qu’elle est appliquée depuis une douzaine d’année, est aux antipodes du projet sarkozyzte de 2012.

Jean Petaux : Peut-être faudrait-il se livrer à une analyse de textes assez pointue pour, d’emblée, associer en un même trio Patrick Buisson, Henri Guaino et Emmanuelle Mignon. Pas certain que le passionné d’histoire, contre-révolutionnaire et fondamentalement réactionnaire qu’est Buisson, inspiré par Maurras, puisse être confondu avec celui qui fut proche de Philippe Séguin, auteur du plus fameux discours du candidat Sarkozy pendant la campagne présidentielle de 2007 ou encore avec l’ancienne cheffe scoute, énarque et conseiller d’Etat, responsable du « pôle idées » de Nicolas Sarkozy avant et après son élection à l’Elysée. Au-delà de ça, ce qui est frappant c’est que, si certaines thématiques inscrites dans le répertoire politique et électoral de 2007 sont toujours présentes en 2023, 16 ans plus tard (sécurité, obsession de l’immigration) d’autres sont beaucoup moins présentes comme la question de la place de l’Islam, celle de l’Europe voire la question de la valeur du travail. En revanche, qui s’en étonnera, l’enjeu climatique était bien moins fort en 2007 qu’aujourd’hui même si, ne l’oublions pas, Alain Juppé (pendant un court mois) et Jean-Louis Borloo (en suivant) ont mis en place le « Grenelle de l’environnement » sous l’impulsion du président Sarkozy. C’était avant qu’il n’estime, dans une de ses foucades dont il a toujours eu le secret : « Que l’écologie maintenant ça suffit ! ». Preuve d’ailleurs au passage que Nicolas Sarkozy se caractérise essentiellement par une absence de constance et une « malléabilité » qui confine au « syndrome de la girouette ». Appliquant d’ailleurs, à ce sujet, à ses changements de position, l’aphorisme prêté à Edgar Faure (maître es-plasticité politique s’il en fut) : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ! ».

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Le sarkozysme, comme nombre de « sensibilités » de droite n’est pas une idéologie, c’est, au mieux, une posture. Plus précisément même : une méthode. Celle qui consiste à saisir les opportunités qui se présentent pour en faire un semblant de doctrine. S’il demeure une « vision du Sarkozysme », qui serait faite d’une paire de lunettes chaussées par Gérald Darmanin, c’est bien cette capacité à « surfer » sur une actualité féconde (ou pas) pour en tirer une « similigne politique » où l’écume des choses tient lieu de programme. Sarkozy, de ce point de vue, a plus été un « réactif » qu’un « réactionnaire » même si la seconde qualité n’est pas incompatible avec la première. On comprend mieux alors comment le « Darmanisme » (le terme reste à populariser, mais cela se fera et constituera un marqueur dans le cheminement politique de l’actuel ministre de l’Intérieur et des Outre-mer) pourra se présenter comme une sorte de « Néo-Sarkozysme » : pas seulement du fait de son contenu mais surtout de fait de son modus operandi…

Par rapport à l’évolution du monde et des droites européennes, dans quel référentiel se place Nicolas Sarkozy avec ses récentes prises de positions. Gérald Darmanin est-il dans le même ?

Maxime Tandonnet : Avec cette prise de position, Nicolas Sarkozy ne se semble pas se situer, principalement, sur le plan des idées et du projet politique. Un point essentiel de l’entretien de Nicolas Sarkozy avec le Figaro Magazine a été peu relevé par les commentateurs. Avec une grande lucidité, il explique que la situation du chef de l’Etat, aujourd’hui, tient davantage de Gulliver empêtré que de Jupiter tout-puissant. Confronté à de multiples contre-pouvoirs, il ne dispose pas d’autant de marges de manœuvre qu’on le pense généralement. Dès lors, l’adoubement de Gérald Darmanin par Nicolas Sarkozy, semble relever d’une logique personnelle davantage que d’un objectif tourné vers le bien commun du pays. Tous deux sont sur la même ligne, héritée du chiraquisme, mais ce sont avant tout des pragmatiques tournés vers la conquête et la préservation du pouvoir bien davantage que sur les débats de fond. Pour des raisons surtout affectives, le président Sarkozy serait sûrement heureux – et qui ne le serait pas – d’avoir un ami proche et de toute confiance à l’Elysée.

Jean Petaux : Nicolas Sarkozy, pour ce que l’on peut en comprendre aujourd’hui, ne se situe pas dans l’axe des droites européennes. Celles-ci, en premier lieu, sont diversifiées et parfois très opposées sur certains sujets. L’extrême-droite de Giorgia Meloni n’est pas celle des leaders de l’AFD, le parti d’extrême-droite allemand. Son opposition à Poutine est bien plus marquée par exemple que celle de Marine Le Pen. Les extrême-droites suédoise et finlandaise, bien que proches, ne peuvent être confondues. La droite populiste du PIS polonais incarnée par son leader idéologique Jaroslaw Kaczynski n’est pas celle du Hongrois Viktor Orban, même si, improprement d’ailleurs on s’accorde à « ranger » la Pologne et la Hongrie dans une « case commune », celle des « démocraties illibérales ». Pour l’exécutif polonais la détestation (justifiée en particulier par la proximité spatiale) de Poutine et de la Russie est maximale. Pour le leader populiste hongrois, la complaisance est très nette… Au milieu d’une telle cacophonie des droites et des droites extrêmes où se situe Nicolas Sarkozy ?  Sans doute dans un entre deux mêlé de souci de se distinguer des autres leaders politiques conservateurs européens. L’homme a souvent recherché la lumière seul, en cultivant une forme d’autonomie de pensée qu’il a toujours aimé présenter comme une prescience ou comme une compréhension de la réalité plus subtile que le « main stream » (comprendre les « intellectuels de gauche », souvent confondus avec « les experts »…).

Est-ce que cette ligne promue par Sarkozy aujourd’hui sur les différents sujets peut être une attitude gagnante pour la droite ? ou pour Gérald Darmanin s’il décidait de se lancer ?

Maxime Tandonnet : La question de l’immigration qui est au cœur du discours sarkozyzte est de tout évidence un enjeu fondamental pour l’avenir de la droite et au-delà du pays. Comme le président Sarkozy le dit lui-même, ce phénomène ne fait sans doute que commencer au regard de l’enjeu démographique et économique de l’Afrique dont la population devrait passer de 1 à 4 milliards d’ici la fin du siècle dans un contexte de paupérisation croissante. La sécurité est aussi au cœur des préoccupations des Français profondément choqués par une succession de tragédies épouvantables et signes de l’impuissance de l’Etat. La droite ne reviendra pas au pouvoir si elle n’est pas en mesure de proposer une politique à la fois équilibrée et réaliste dans ces secteurs régaliens. La question essentielle pour elle est de retrouver une crédibilité dans ces domaines en s’appuyant sur des propositions fermes. Il est probable qu’un jour ou l’autre, Gérald Darmanin aura de son côté la tentation de se démarquer du bilan macroniste dans ce domaine et dans d’autres. Mais avec quels arguments, quelles justifications ? Et puis sera-t-il en mesure de réconcilier la droite LR qu’il a quittée en pleine crise en 2017 pour rallier le président Macron ?

Jean Petaux : Autant comme Nicolas Sarkozy a réussi, en 2007 (surtout) et en 2012 (avec moins de succès) à « contenir » (au sens de la doctrine du « containment » que les Américains appliquaient à la progression de l’idéologie communiste à l’époque de la Guerre Froide) les idées du Front National alors, aussi bien vis-à-vis de Jean-Marie Le Pen, dont Sarkozy va littéralement aspirer l’électorat en 2007, que de sa fille, cinq ans plus tard, autant comme, depuis lors, il est bien difficile pour les candidats « Les Républicains » de « doubler » par la voie de droite et donc « sur sa droite » un véhicule présidentiel RN lancé à toute allure, aussi bien en 2017 qu’en 2022. La fameuse formule : « Les électeurs préfèrent toujours l’original à une maigre photocopie » joue pleinement en faveur du parti de Marine Le Pen. On peut, comme le fait, Sarkozy, considérer qu’Eric Ciotti est un excellent président de parti (prière de ne pas rire ici…) ou que « le meilleur d’entre tous » (Laurent Wauquiez) devrait s’engager dès maintenant (impossible de ne pas penser ici que Jacques Chirac n’a pas que rendu service à Alain Juppé en le qualifiant devant ses propres compagnons militants du RPR de « celui qui est, probablement, le meilleur d’entre nous »....), on peut donc, comme le fait Sarkozy, distribuer des bons points, à défaut d’images pieuses, aux représentants de la « génération qui suit », cela ne suffit pas à désigner tel ou tel vainqueur. « Les Républicains » sont confrontés à un vrai problème de crédibilité pour l’électorat de droite éclaté entre, d’un côté un président Macron et de l’autre côté sa challenger à deux reprises : Marine Le Pen. Où est l’espace pour la « droite de gouvernement » ici, celle qu’incarnait justement hier Sarkozy ? Peut-être en lieu et place du président actuel qui sortira forcément en 2027 ?  Mais on conviendra que le « péage » est quelque peu chargé en cette période de « retour de plages » entre un Edouard Philippe, un Bruno Le Maire, un Gérald Darmanin (le plus pro-actif actuel) et, en embuscade, un Jean Castex ou une première ministre Elisabeth Borne à qui l’appétit élyséen pourrait bien venir (même si, de notoriété publique, elle n’a pas souvent faim…). Et encore, ne parle-t-on ici que des leaders de la droite venus en « macronie ». Les autres, les Wauquiez, Bertrand, Larcher, ne sont pas encore sortis du bois…

Il est manifeste que pour concurrencer le RN et sa leader il faudra aller loin sur leur terrain et se saisir de thématiques dont ils ont pris, en quelque sorte, le « lead ». Ou alors inventer d’autres sujets pour se saisir de dossiers qu’ils n’ont pas vraiment su « accrocher » : la politique de défense et de sécurité européenne, le rôle de la France en Afrique, le dérèglement climatique et les grands enjeux de la transition écologique ou la réforme de l’organisation administrative du pays.

A propos de Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy a déclaré "Elle connaît mieux ses dossiers et sait les exposer avec davantage de calme, de force et de modération. Je n’ai jamais aimé sa diabolisation". L’ancien président a pourtant toujours été ferme sur son attitude par rapport à l’extrême droite et la démarcation avec celle-ci. On se souvient de Gérald Darmanin trouvant Marine Le Pen trop molle. Quelle peut être la bonne stratégie en vue de 2027 face au RN ?

Maxime Tandonnet : Nicolas Sarkozy a parfois recouru aux anathèmes contre Marine le Pen (« pire que son père »). Mais il a raison de souligner que son arrivée à l’Elysée ne réglerait rien. Elle n’aurait probablement pas de majorité à l’Assemblée, même pas relative, ni au Sénat, serait isolée sur le plan international, combattue par les médias, les juges, la haute administration, etc… Personnage, extrêmement clivant, elle aurait contre elle un vaste pan de l’opinion publique, son arrivée au pouvoir aggravant le climat de violence et de guerre civile. Elle ne pourrait rien faire. La France a besoin de fermeté et d’apaisement, sûrement pas d’un nouveau psychodrame. Alors, la bonne stratégie pour la droite face au RN (mais aussi face au macronisme)?  Ne jamais oublier que 54% des Français se sont abstenus aux dernières législatives et que les partis prétendument respectables, dits « de gouvernement » représentent désormais une petite minorité du corps électoral. Aujourd’hui, la droite doit tourner le dos à une image d’arrogance qui s’attache aux équipes actuelles, et trouver les mots d’une réconciliation populaire en tenant un discours de vérité et de respect du peuple, destiné à tous ceux qui se disent écœurés par-delà les clivages. L’enjeu est de sortir la politique du spectacle narcissique pour la replacer au service de la France.

Jean Petaux : Nicolas Sarkozy n’aime rien tant que d’endosser le costume du « vieux sage » qui contemple et commente la vie politique française. Privilège de celui qui « en a vu d’autres » et qui a « fait beaucoup de guerres » ce qui lui permet d’avoir un œil expert sur telle ou telle personnalité. Son livre regorge ainsi de petits portraits « photomatons » de la scène politique de son époque (près de deux décennies désormais) et d’aujourd’hui. Ce n’est ni du Sainte-Beuve ni du Mauriac pour la qualité du trait et l’intelligence du portrait. Si l’on a pensé que « déjà Nicolas Sarkozy perçait sous François-René de Chateaubriand » on s’est, malencontreusement, trompé de style… Pour autant ces « dessins » se laissent lire et dessinent surtout un paysage politique rêvé par leur auteur : la droite dite « de gouvernement », celle qui fut la sienne et qu’il fut le dernier à faire triompher, pourrait retrouver, dans ce monde imaginaire, son lustre et sa superbe. L’extrême-droite serait renvoyé sous la barre des 15% des suffrages exprimés, encore mieux sous celle des 10%... Alors, tout comme Paris « valait bien une messe » pour le futur « Bon Roi Henri », une Marine Le Pen, dès lors qu’elle serait réduite à son « noyau dur » vaut bien quelques « caresses ». Seulement Nicolas Sarkozy devrait se rendre compte que les temps ont bien changé…. « Les Républicains » devront faire un spectaculaire come-back pour « revenir du diable Vauvert, formule fétiche qu’affectionnait le célèbre Léon Zitrone commentant le tiercé dominical à l’époque de l’ORTF, en 1970… Nicolas Sarkozy était né certes, il avait quinze ans alors… Mais Marine Le Pen n’en avait que deux… « The Times They Are a-Changin’» chantait Dylan… 

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