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La "dictature des marchés financiers", un bon alibi pour un gouvernement pieds et poings liés par ses propres contradictions
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Excuse facile

La ratification du Traité de stabilité européenne devrait intervenir début octobre. Hollande n'en voulait pas, une partie de la gauche s'y oppose. Pour faire diversion, le Premier ministre évoque "la dictature des marchés financiers". Mais ce ne sont pas les marchés qui limitent les marges de manœuvre du gouvernement, plutôt ses errements originels.

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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La chute de popularité du gouvernement français est lourde, sévère et rapide. Elle est dangereuse dans la mesure où un pouvoir privé de légitimité et de soutiens aurait des difficultés à intervenir en cas de troubles sociaux et d'agitation. Or, il est évident que la situation présente s'y prête et que l'évolution prévisible de la conjoncture dans le sens de la médiocrité va renforcer les risques.

Une partie de la population rejette les prélèvements accrus, les ponctions injustes, l'ambiance de lutte des classes, chasse aux riches et aux entrepreneurs, les atteintes à la famille, à l'identité. L'autre partie est déçue, elle ne voit pas les bénéfices de son choix politique, le chômage progresse, les revenus stagnent, l'espoir régresse.

Le nombre de ceux qui, dans le système, n'ont rien à perdre va augmenter considérablement. Au même moment, la possibilité de désamorcer les troubles par la distribution de cadeaux sociaux financés par des déficits se réduit de jour en jour ; le trésor est épuisé.

Les dégagements en touche de diversion du style vote des étrangers, mariage homosexuel, islamisme ou autres ne trompent personne, même s’ils font la première page des médias. L'échec, maintenant patent, des aventures idiotes du type Libye que l'on a plongé dans le chaos, interdit les diversions du type va-t-en-guerre, malgré l'opportunité que constitue la Syrie.

François Hollande s'était promis, avait promis, une présidence « normale ». En contraste avec Sarkozy, il voulait rester dans l'ombre, tirer les ficelles, s'exposer le moins possible. Les sondages lui indiquent que cela ne marche pas, qu’Ayrault ne joue pas son rôle de fusible ou paratonnerre. Hollande est obligé de sortir de sa clandestinité, maintenant, il s'expose. La multiplication des bavures et des incohérences, pourtant normales dans un ensemble politique hétéroclite, l'a obligé à monter au créneau.

Le signe évident de ce changement de pied est, bien sûr, l'intervention à la télévision début septembre. Tout était étudié pour, non pas la reprise en mains, mais pour la prise en mains. Aussi bien le propos que la gestuelle et le langage du corps.

Hollande va peut-être, finalement, imiter son anti-modèle, Sarkozy, et faire comme lui, se précipiter pour annoncer les bonnes nouvelles et laisser à ses ministres le soin de se coltiner les mauvaises et d'avaler les couleuvres. Témoin, ce qu'il a fait en matière agricole depuis. On dit qu'il a demandé à Ayrault de s'exposer plus. En clair, d'accepter de prendre plus de coups. La perspective du combat pour la ratification prochaine du Traité imposé par Merkel explique certainement ce réaménagement tactique des positions de chacun et de la répartition des rôles.

La tâche est et sera de plus en plus difficile.

L'idéologie et les promesses de gauche ont obligé à des mesures fiscales symboliques mais lourdes de conséquences négatives sur le plan économique. L'attentisme s'est installé, les ponctions sur le pouvoir d'achat vont le relayer et le valider. Le début du quinquennat a été marqué par des choix anti-croissance, on a refusé de réduire les dépenses en raison des promesses à la gauche de la gauche. On a augmenté les prélèvements pour satisfaire aux promesses contenues dans le Pacte de stabilité. On a même taxé les entreprises dont on reconnait pourtant qu'il faut alléger les charges pour besoin de compétitivité.

Tout cela dans un environnement qui penche vers la récession.

Le mythe de la croissance qui devait financer toutes les promesses et mettre de l'huile dans les rouages sociaux, économiques et politiques, ce mythe est repoussé, au mieux à la seconde partie du mandat.

Le cocorico du soi-disant succès des idées et du poids français pour faire pencher la balance européenne dans un sens plus expansionniste, ce mythe est enterré. On gère la stagnation, récession, en attendant la régression. Il est d'ores et déjà évident que la contradiction entre les promesses et la réalité se manifeste, se concrétise et elle le fait par le biais de la hausse du chômage, la détérioration de la confiance et du sentiment des agents économiques.

La marge de manœuvre est quasi nulle, c'est le fil du rasoir.

La peur des marchés et l'ignorance de leurs mécanismes de fonctionnement conduisent à une peur irraisonnée d'une attaque qui marquerait la France du sceau de la peste financière. Le 19 septembre encore, Ayrault lançait « il faut sortir de la dictature des marchés ! » C'est ce qui explique la priorité à la poursuite de la réduction des déficits; mais la crainte de la montée du chômage, de la précarité et de la déstabilisation sociale empêche de prendre les mesures qui seraient efficaces.

On ne peut à la fois prendre l'argent du secteur privé et vouloir qu'il fasse tourner la machine économique. On ne peut à la fois réduire les déficits et vouloir assigner un rôle moteur à l'Etat.

Un miracle du côté des exportations est d'autant plus exclu que :

  • la France a perdu beaucoup de compétitivité
  • l' Europe est en quasi récession
  • les Etats Unis ont une croissance faible pour ne pas dire inexistante, tandis que la parité des changes joue en leur faveur
  • les émergents sont confrontés à leurs premiers ralentissements


Pour couronner le tout, le pétrole et certains inputs voient leurs prix galoper.

Nous avions annoncé le virage du gouvernement, en particulier le fait qu'il allait devoir se renier. Dans les faits, ce virage a bien commencé, mais nous ne sommes qu'à mi-chemin. On a fait machine arrière sur beaucoup de points, on a mis beaucoup d'eau dans son vin rouge, mais, au niveau du discours, de l'ambiance, on reste dans le climat de Goche. Témoins, les ponctions symboliques sur les riches et les soi-disant riches, les épargnants des classes moyennes. C'est ce qui explique que la gauche de la gauche,  tout en étant sur la défensive et tout n'apportant qu'un soutien modeste, ne soit pas encore entrée dans l'opposition. On verra après le budget.

Nous disons « sur le fil du rasoir » car le chemin est étroit, pour ne pas dire impossible, à parcourir entre le péril extérieur, la chute du côté des pestiférés et le péril intérieur, la montée du chômage et la déstabilisation sociale. Hollande ne pourra faire appel, ni à l'union nationale unifiante, ni à un miraculeux technicien apolitique.

En fait, le rêve, c'est le miracle européen. C'est de ce côté que le rêve est encore possible, même si, d'une part, il n'est pas réaliste et si, d'autre part, le coût pour le réaliser est exorbitant. Plus exactement, le rêve ce n'est pas l'Europe, mais la BCE. Hollande et Ayrault prient pour que la BCE vienne les sauver, vienne, par ses bail-out illimités, faire sauter toutes les contradictions dans lesquels ils sont enfermés. Ils prient pour que la Banque centrale européenne repousse les limites de la solvabilité de tous, repousse le calendrier des remises en ordre budgétaires, retarde sine die les réformes.  

Cet espoir n'est pas sans fondement. Les résultats obtenus depuis le mois de mai, mois de l'élection, ne sont pas négligeables, un nouveau rapport des forces politiques au sein de l'Europe a permis de belles avancées dans le sens du laxisme et de la fuite en avant. Cependant, ces avancées sont plus théoriques que pratiques et il ne faut pas confondre le bénéfice du doute accordé par les marchés avec les vraies mesures effectives.

L'Allemagne garde les clefs des solutions au niveau pratique et le verrou qui est encore mis, le verrou de la nécessaire consolidation budgétaire et des réformes de compétitivité, ce verrou est bien serré. Or, c'est la possibilité de faire sauter ce verrou qui conditionne l'avenir de Hollande et Ayrault. Le verrou imposé par les Allemands, et fermé également par Draghi, est celui de la convergence économique et sociale,  c'est à dire l'abandon de ce à quoi Hollande tient le plus, « le modèle social français » plus exactement « l'Etat providence » conçu, non pas pour ses mérites intrinsèques, mais comme étape dans la marche vers le socialisme. Conçu comme échec au système du profit.

La gauche française trouve son unité sur un malentendu et des mensonges. Une partie est résolument sociale-démocrate et veut gérer le système kleptocratique, pseudo capitaliste, faussement libéral à condition qu'elle en profite, tandis qu'une autre partie veut changer de système, veut vraiment que cela change au niveau structurel, fondamental. Le mensonge des gens au pouvoir consiste à faire croire que le modèle social français est une étape dans le changement par les réformes. Faire croire qu'au bout du chemin, il y a le paradis d'un monde égalitaire, sans capital, sans dictature du profit, etc. Et il est clair que si on devait faire marche arrière sur ce chemin, couper dans l'Etat providence, le mensonge serait découvert, toutes les ambiguïtés seraient levées, les masques seraient mis à bas. La fausse unité volerait en éclats. Violemment.

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