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Les juges de Karlsruhe doivent évaluer la légalité des OMT (opérations monétaires sur titre) au regard de la loi de la République fédérale allemande.
Les juges de Karlsruhe doivent évaluer la légalité des OMT (opérations monétaires sur titre) au regard de la loi de la République fédérale allemande.
©Reuters

Karlsruhe contre la BCE

La Cour constitutionnelle de cette bourgade du Bade-Wurtemberg se penche sur la politique monétaire de la BCE et sur les plaintes déposées contre le Mécanisme Européen de Stabilité (MES).

André Fourçans

André Fourçans

André Fourçans est professeur d'économie à l'Essec. Il a aussi enseigné dans deux universités américaines ainsi qu’à l’Institut d’études politiques de Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation économique dont Les secrets de la prospérité - l’économie expliquée à ma fille 2, Seuil, 2011.

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Atlantico : Les juges de Karlsruhe doivent évaluer la légalité des OMT (opérations monétaires sur titre) au regard de la loi de la République fédérale allemande. Que revendiquent les plaignants, opposants à ces OMT ?

André Fourçans : Pour comprendre la situation, il faut remonter au Traité de Maastricht. Les Allemands avaient bataillé durement pour que la politique de la BCE ne dévie pas de celle suivie par la Bundesbank (la Banque centrale allemande), notamment en matière de maintien de la stabilité des prix. Nos partenaires d’Outre-Rhin sont très attentifs aux risques d’inflation qui pourraient découler d’une politique monétaire trop expansionniste, leur histoire des années 1920 et de l’après Seconde Guerre mondiale les a « vacciné » contre ce genre d’épisodes destructeurs, si l’on me permet cette expression un peu triviale. Or, à partir du moment où la BCE achète librement des obligations d’État aux banques, le risque que la création monétaire dérape augmente, et par la même celui que l’inflation s’accélère.

On peut même aller plus loin en considérant (ce que font sans doute les plaignants allemands) que ce type d’opération viole le Traité dans la mesure où il correspond de fait à un financement du déficit budgétaire des États dont les dettes sont rachetées en injectant des liquidités dans le système bancaire. Cela dit, une ambiguïté subsiste car ce qui est interdit à la Banque centrale c’est d’acheter directement les obligations émises par les États et non pas, du moins dans la lettre sinon dans l’esprit, d’acheter sur le marché secondaire, c'est-à-dire une fois les obligations émises et échangées sur les marchés. De quoi soulever de belles joutes entre les juristes sur la question !

Enfin, nos voisins germaniques craignent que le rachat de titres des Etats en difficultés diminue les incitations de ces derniers à prendre les mesures nécessaires à leur redressement : ne  pourraient-ils pas considérer dans ces circonstances que leurs partenaires prendraient en charge leur lourd endettement, où renfloueraient leurs banques quoiqu’il arrive, pourquoi alors faire des efforts douloureux ?

La décision attendue de la cour de Karlsruhe vise semble-t-il à limiter les pouvoirs de la BCE sur la politique monétaire européenne. La gouvernance de la zone euro va-t-elle en pâtir et quelles en seront les conséquences concrètes ?

Il est clair que si la cour Allemande considérait que cette politique viole le Traité, des répercutions ne manqueraient pas d’en découler. Même si la cour en question n’a pas le pouvoir d’interdire à la BCE d’acheter ces titres et ne peut pas s’immiscer dans le fonctionnement de l’institution monétaire de Francfort, un tel verdict ne serait sans doute pas sans conséquence. Le rachat des obligations des États en difficultés l’automne dernier a réussi à calmer les marchés et fait baisser les taux d’emprunts par les pays concernés (Grèce, Italie, Espagne). Si la BCE ne pouvait plus effectuer ce genre d’opération, on peut penser que les marchés financiers réagiraient en augmentant la prime de risque sur le coût des emprunts. Ce qui bien sûr ne faciliterait pas le redressement engagé en augmentant la charge de la dette. Mais on en est pas là, d’autant qu’on peut s’attendre à ce que la cour ne rende pas son verdict avant les élections allemandes de septembre prochain.

Mais si tel était le cas, les politiques économiques des pays concernés et de la zone euro devraient s’adapter à cette nouvelle donne. Il faudrait selon toute probabilité en tirer les conséquences sur la vitesse et l’intensité des mesures budgétaires des différents États, voire sur de nouvelles restructurations des dettes. On serait sans doute revenu quelques mois en arrière dans le traitement de la crise budgétaire et financière. Mais, je le répète, juridiquement la cour allemande n’a pas le pouvoir de modifier la politique monétaire. Il reste qu’elle donnerait des armes « morales » et institutionnelles pour influer sur le débat et sur les mesures prises pour sortir de la crise.

Doit-on voir dans la Cour de Karlsruhe un garant des intérêts du Bundestag au dépend du reste des pays de la zone euro, ou alors son action va-t-elle dans le sens de la préservation des restes de souveraineté économique et monétaire des pays de la zone ?

Je ne pense pas que la cour de Karlsruhe soit « un garant des intérêts » du parlement allemand, mais bien sûr elle peut servir de relais aux revendications de certains politiques allemands qui s’élèvent contre la procédure d’achat d’obligations. Soit dit en passant, ce faisant, ils sont en accord avec une large fraction de la population d’outre-Rhin qui reste très réticente au plan de sauvetage européen de peur d’en subir les conséquences fiscales.

Quoi qu’il en soit, la question soulevée ne doit pas être prise à la légère, elle va au cœur de la vision monétaire et du rôle d’une Banque centrale. Ce n’est pas parce que jusqu’à maintenant la politique de rachat n’a pas entrainé de dérapage monétaire que cela ne pourrait pas être le cas à l’avenir. Il est toujours risqué de demander à une Banque centrale de « participer » à la gestion de la politique budgétaire et fiscale, car in fine c’est bien de cela qu’il s’agit. Elle pourrait alors se laisser entrainer par des forces dont elle n’a pas le contrôle dans une direction dangereuse pour l’équilibre économique et pour l’inflation. Et y perdre ainsi l’indépendance par rapport au politique qui lui est nécessaire pour conduire une « bonne » politique monétaire. L’histoire est repue d’épisodes de ce genre. Il n’est donc peut-être pas tout à fait insignifiant que nos amis allemands nous le rappellent en jouant en la matière le rôle de « gardiens du temple » monétaire.

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