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Un ouvrier utilise un outil pour fabriquer des conteneurs dans une usine de Lianyungang, dans la province orientale du Jiangsu, en Chine, le 27 août 2021.
Un ouvrier utilise un outil pour fabriquer des conteneurs dans une usine de Lianyungang, dans la province orientale du Jiangsu, en Chine, le 27 août 2021.
©STR / AFP

Panne de moteur

La question est particulièrement d’actualité alors que le géant asiatique titube au bord de la falaise d’un fort ralentissement après deux décennies de croissance soutenue.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : Après plus de deux décennies d’une croissance effrénée, l’économie chinoise semble avoir du plomb dans l’aile. Quels sont les signes de ce ralentissement et comment l’expliquer ?

Jean-Marc Siroën : L'objectif fixé par le Parti Communiste Chinois d’une croissance de 5 % en 2022 ne sera pas tenu. Il pourrait même être inférieur au taux américain ce qui serait une première et une humiliation.

En fait, la croissance chinoise a commencé à se ralentir après la crise de 2008 ce qui en soi, était normal : une croissance à deux chiffres est plus « facile » à obtenir lorsqu’on part de très bas, ce qui était le cas de la Chine il y a seulement une trentaine d’années. De plus les grandes réformes, dans l’agriculture notamment, ou l’introduction d’une économie de marché ont épuisé leurs effets. Mais il y a aussi des raisons plus structurelles au ralentissement comme l’épuisement d’un modèle fondé sur la sous-traitance internationale soutenue par une main-d’œuvre abondante et bon marché, mais devenue plus chère que dans d’autres pays asiatiques ou africains. Pendant longtemps, la croissance a également été portée par l’investissement qui est d‘ailleurs resté très étatique. La Chine est maintenant engluée dans un surinvestissement, notamment immobilier, dont elle ne parvient pas à sortir. Le plan de relance annoncé il y a quelques jours mise une fois de plus sur l’investissement ce qui peut apparaître comme une fuite en avant.

Mais ce qui explique aujourd’hui le fort ralentissement actuel, voire l’effondrement, c’est bien sûr l’obstination du gouvernement chinois dans sa stratégie zéro-covid. Les confinements dans de grands centres industriels – Shanghai et Shenzhen, mais pas seulement — ont paralysé la production. On peut ajouter à cela, la hausse du prix des matières premières importées, accélérée par la guerre russo-ukrainienne. À plus long terme l’épisode zéro-Covid accélérera la remise en cause du modèle chinois en faisant de ce pays une région à haut risque qui pourrait dissuader les investisseurs internationaux, par ailleurs inquiets d’un retour à l’étatisme, voire à une re- « maoïsation » du Parti. Ceux-ci ont d’ailleurs pris conscience de la nécessité de diversifier leurs sources d’approvisionnement ce qui signifierait désinvestir en Chine pour investir ailleurs. 

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On entend beaucoup dire que la Chine est le moteur de la croissance mondiale, mais est-ce vraiment le cas ? Par conséquent, un ralentissement chinois peut-il, par effet domino, impacter l’économie mondiale ? Comment se traduirait une telle situation concrètement en Occident ?

La Chine a effectivement été un spectaculaire moteur de la croissance mondiale dans les années 1990-2008 (année de crise). Sa forte demande intérieure a offert aux firmes occidentales de très juteux marchés. C’était moins vrai après la crise de 2008. Il n’empêche que l’économie chinoise reste un marché et un sous-traitant important. Le ralentissement de l’économie chinoise aurait donc un impact très significatif sur le reste du monde. Il affecterait les pays occidentaux les plus engagés sur le marché chinois, l’Allemagne notamment ; un tout petit bémol néanmoins : il atténuerait aussi les tensions sur les marchés de matières premières et accélérerait le « découplage » des économies occidentales voulu par les Etats-Unis mais pour des raisons plus géopolitiques et géoéconomiques que strictement économiques. 

Tendons-nous à surestimer l’impact de l’économie chinoise sur le reste du monde ? Quelles seraient la portée et les limites d’un ralentissement de l’économie chinoise ?

Dans un monde extrêmement interdépendant, l’économie chinoise n’impacte pas seulement l’économie mondiale par sa taille mais aussi par son imbrication dans les chaînes mondiales de valeur. Il faut bien comprendre aussi que contrairement aux crises « keynésiennes » causées par une insuffisance de la demande, les confinements Covid et la guerre russo-ukrainienne ont généré une crise de l’offre qui, devenue insuffisante par rapport à la demande, entretient l’inflation.

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On peut craindre que la transmission d’une crise chinoise au reste du monde, notamment aux pays industriels, soit plus rapide du simple fait que la production chinoise puisse avoir un fort pouvoir bloquant sur la chaîne de valeur. Une usine de composants confinée ou un port bloqué pèsent immédiatement sur la production automobile allemande, donc sur sa croissance. D’une certaine manière, le confinement chinois conduit à « confiner » aussi l’industrie des autres pays.

Peut-on comparer le ralentissement de l’économie chinoise au phénomène qui s’est déroulé au Japon dans les années 1990, pays que l’on appelait aussi de manière erronée à ce moment moteur de l’économie mondiale ?

Pour les pays occidentaux, la Chine a été dans les années 2010 ce que fut le Japon dans les années 1980 : un rival déloyal dont on devait se protéger d’où l’idée d’une « déconnexion » maladroitement prônée par Trump et reprise plus discrètement par Biden.

Au début des années 1990 le Japon représentait 10 % des exportations mondiales, c’est moins de 4 % aujourd’hui. Que s’est-il passé ? D’abord une énorme crise financière due à un gonflement déraisonnable de ses banques et qui fut suivie d’une sévère récession. Plus structurellement, le Japon a connu un ralentissement des gains de productivité et le vieillissement de sa population tout en refusant d’avoir recours à l’immigration. Ces caractéristiques sont loin d’être absentes en Chine. Le secteur financier, très lié au financement de l’immobilier, est extrêmement fragile avec la formation d’une bulle prête à exploser. Un géant comme Evergrande a ainsi été mis en défaut. Les gains de productivité sont appelés eux aussi à se ralentir et le vieillissement de la population devient une réalité. L’abandon de la politique de l’enfant unique n’a eu, jusqu’à maintenant, aucun effet pour relancer la natalité. Si la Chine n’est pas plus ouverte que le Japon à l’immigration, elle tente néanmoins de réagir en… délocalisant sa production dans d’autres pays asiatiques ou africains où, d’ailleurs, la main-d’œuvre est devenue moins chère. Cet expansionnisme, complété par le mégalomaniaque projet de « nouvelles routes de la soie » pourrait néanmoins tourner au fiasco.

Si ces analogies donnent une certaine crédibilité au scénario japonais, il serait néanmoins un peu rapide d’affirmer le caractère inéluctable du déclin chinois.

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