La Belgique, un Etat infiltré par les islamistes ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Terrorisme
Un policier belge se tient dans une rue après que deux personnes ont été tuées lors d'un attentat à Bruxelles, le 16 octobre 2023.
Un policier belge se tient dans une rue après que deux personnes ont été tuées lors d'un attentat à Bruxelles, le 16 octobre 2023.
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Terrorisme

Deux personnes de nationalité suédoise sont mortes après un attentat dans les rues de Bruxelles lundi soir. L'homme soupçonné d'être le tireur à l'origine de l'attaque a été neutralisé ce mardi à Schaerbeek.

Claude Moniquet

Claude Moniquet

Claude Moniquet, né en 1958, a débuté sa carrière dans le journalisme (L’Express, Le Quotidien de Paris), avant d’être recruté par la Dgse pour devenir "agent de terrain" clandestin. Il exerce ainsi sous cette couverture derrière le Rideau de fer à la fin de l’ère soviétique, dans la Russie des années Eltsine, dans la Yougoslavie en guerre, au Moyen-Orient ou encore en Afrique du Nord. En 2002, il cofonde une société privée de renseignement et de sûreté : l’European Strategic Intelligence and Security Center. De 2001 à 2004, il a été consultant spécial de CNN pour le renseignement et le terrorisme, et est aujourd’hui consultant d’iTélé et RTL. Il est l’auteur, notamment, de Néo-djihadistes : Ils sont parmi nous (Jourdan, 2013) et Djihad : d’Al-Qaïda à l’État islamique (La Boîte à Pandore, 2015), de Daech, la Main du Diable(Archipel, 2016) et, avec Genovefa Etienne, des Services Secrets pour les Nuls (First, 2016). Il est également scénariste de bandes dessinées : Deux Hommes en Guerre (Lombard, 2017 et 2018). Il réside à Bruxelles.

Voir la bio »

Deux personnes de nationalité suédoise sont mortes après un attentat dans les rues de Bruxelles lundi soir. L'homme soupçonné d'être le tireur à l'origine de l'attaque a été neutralisé par les forces de l'ordre ce mardi à Schaerbeek. Ce suspect était bien le terroriste recherché depuis l’attaque de lundi soir à Bruxelles, selon le parquet fédéral. Touché par des tirs de la police lors de son interpellation, il est décédé des suites de ses blessures. Les autorités belges ont affirmé avoir identifié Abdesalem L. comme l’auteur de l’attentat de lundi soir à Bruxelles. Ce Tunisien de 45 ans, en situation irrégulière sur le territoire belge, n’était pas suivi pour radicalisation. Le fusil d’assaut retrouvé près de l'individu interpellé ce matin à Schaerbeek est le même que celui utilisé lors de l’attaque de lundi soir, selon la ministre de l’Intérieur belge Annelis Verlinden à VRT, la télévision publique flamande.

Atlantico : Une fusillade lundi soir à Bruxelles a fait  2 morts. Le suspect aurait annoncé son attaque dans une vidéo, revendiquant son appartenance à l'Etat islamique. L’auteur des faits a été abattu par la police mardi matin, que sait-on, deux jours plus tard ? 

Claude Moniquet :Nous avons désormais une idée claire de ce qui s’est passé. Lundi soir, vers 19h15, un individu radicalisé a ouvert le feu sur deux supporters suédois qui se trouvaient à Bruxelles pour assister à un match Suède-Belgique. Deux hommes sont morts et un troisième a été blessé. Après une traque de moins de douze heures, le terroriste a été neutralisé par la police mardi matin et est mort des suites de ses blessures. Il avait effectivement enregistré et diffusé deux vidéos de revendication l’une avant et l’autre après son attaque, dans lesquelles il dit avoir voulu « venger le prophète en tuant des Suédois (à la suite des profanations du Coran qui se sont produites ces derniers mois à Stockholm) et évoque également la situation des enfants à Gaza. L’attentat a été revendiqué, tard mardi soir, par Daech, via un de ses canaux officiels.

Cette attaque individuelle était évidemment difficile à prévoir, mais ce qui se pose problème se sont les erreurs et les cafouillages des autorités. D’abord, l’auteur des faits, Abdesalem Laoussed n’aurait jamais dû se trouver en Belgique. Tunisien d’origine, il avait demandé l’asile politique en 2019, après avoir vécu en Italie et en Suède, mais avait été débouté en 2021 et avait reçu un ordre de quitter le territoire (OQT). Celui-ci n’a jamais été exécuté au prétexte que Laoussed était « difficile à localiser ». Pourtant, il continuait à cohabiter avec son épouse qui, elle, est en situation parfaitement légale. Mardi, c’est même à cent mètres de ce domicile qu’il a été abattu… Autre problème, l’homme était un délinquant, trafiquant d’être humains et de stupéfiants et avait fait de la prison en Suède. Dès 2016, un pays ami, l’Italie avait signalé qu’il était radicalisé et susceptible de partir pour un terrain de djihad. Mais rien n’a été fait. Enfin, les autorités belges avaient refusé de hausser le niveau d’alerte après l’attentat d’Arras, contrairement à ce qui avait été fait en France et malgré le contexte de la guerre entre Israël et le Moyen Orient…   

Quel est l’état de la menace islamiste en Belgique ? Est-elle aussi importante que lors des attentats de 2015 ? Molenbeek est-il encore au coeur des préoccupations de l’anti-terrorisme ?

Cet attentat vient de démontrer que le niveau de la menace reste élevé, mais ce n’est pas propre à la Belgique. La situation est la même en France ou au Royaume-Uni, pour ne prendre que deux exemples. Ce qui complique les choses, en Belgique c’est l’absence totale de culture de sécurité, le clientélisme politique de la gauche qui refuse de s’attaquer à la radicalisation quand celle-ci n’est pas liée au terrorisme et la totale incapacité des autorités à anticiper la menace, comme on l’a vu avant l’attentat  

Pour le reste, la situation est très comparable à celle que nous connaissons en France. Le risque avait, incontestablement, baissé suite à la défaite de l’Etat islamique et à la perte de sa territorialité, mais la menace générale reste élevée. Ce qui se passe au Sahel par exemple, pourrait déboucher sur la création d’une nouvelle zone de non-droit qui favoriserait la remontée en puissance du djihadisme. Comme il y a un certain nombre de binationaux-européens sur place, le risque de les voir tenter quelque chose en Europe est réel. Mais le risque numéro un, aujourd’hui, découle évidemment de l’attaque terroriste du Hamas à laquelle nous avons assisté le 7 octobre et, surtout à la riposte israélienne qui ne va pas manquer de susciter des actions de « solidarité » contre la communauté juive ou les intérêts israéliens, voire contre des pays occidentaux comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou la France. Mais cette menace est identique pour toute l’Europe.  

A quel niveau assiste-t-on à la progression de l’’entrisme islamiste en Belgique ? Est-ce au niveau des institutions, du gouvernement, de la justice ou à un niveau plus local via les mairies ou des associations ?

Le problème de la Belgique n’est pas tellement « l’entrisme islamiste » en tant que tel. On ne peut pas dire qu’il y ait réellement un « entrisme » massif d’éléments islamistes qui noyauteraient l’Etat. Il y a, bien entendu, des fonctionnaires et des politiques qui sont acquis aux idées islamistes ou, au moins, qui défendent publiquement une vision rigoriste de la pratique religieuse musulmane. Je pense par exemple à quelques élues d’origine musulmane qui portent le voile, mais leur nombre est extrêmement limité et l’on ne peut pas parler de noyautage. Non, le problème est ailleurs : il réside dans la faiblesse terrifiante de l’Etat, dans la peur du politique de déplaire à certaines minorités et du clientélisme dont font preuve certains partis, en particulier de gauche, je pense notamment au PS. Cette faiblesse, cette peur et ce clientélisme se traduisent par une trop grande « tolérance » par rapport à certaines déviances, entre autres en milieu scolaire. Encore faut-il relativiser : c’est vari du côté francophone (soit en Wallonie et à Bruxelles) mais ça l’est beaucoup moins du côté flamand.     

Après le procès des attentats de Bruxelles, la cour d'appel de Bruxelles a interdit à l'État belge de procéder au transfèrement de Salah Abdeslam vers la France, où le jihadiste est censé purger sa peine de perpétuité incompressible pour les attentats du 13 novembre 2015. Qu’est-ce que cela traduit sur la justice belge face à la menace terroriste ? Assiste-t-on à une certaine forme de laxisme ?

On peut se poser la question. Pour ce qui de la suspension du retour d’Abdeslam en France, on se trouve face à un problème juridique : vers la fin de son procès à Bruxelles, Abdeslam avait introduit un référé pour refuser son retour en France après la sentence, argumentant qu’il serait éloigné de sa famille et soumis à des traitements inhumains et dégradants (entre autres, une observation 24 heures sur 24 dans sa cellule). mais il a été débouté. Il a fait appel et c’est dans l’attente du jugement de cet appel que la procédure de retour a été suspendue ce qui, du point de vue purement juridique, est logique.  En première instance, la cour avait estimé, entre autres qu’ « Il n’appartient pas à la juridiction des référés de se prononcer sur les éventuelles violations des droits fondamentaux dans le passé en France. La surveillance par caméra n’est d’application en France que pour les prévenus [en attente de procès], et non pour les condamnés. Rien n’indique que les autorités françaises ne respecteront pas leur propre législation». J’ai bon espoir que la cour d’appel ira dans le même sens. Pour moi, le vrai problème du procès est qu’il a été recnnu coupable comme « co-auteur » des attentats de Bruxelles (35 morts) mais… dispensé de peine. Cette décision, disons étonnante, se justifierait argumentent les jurés, par le fait qu’il a déjà condamné à une peine de vingt ans à Bruxelles pour une fusillade au cours de laquelle des policiers avaient été blessé puis, bien sûr, à la perpétuité incompressible à Paris et qu’une « unité d’intention » existant entre ces différents faits une peine supplémentaire ne se justifiait pas et était d’ailleurs utile. Certes, cette unité d’intention existait, mais ces faits se sont déroulés à trois endroits différents, à trois moments fort éloignés dans le temps et, surtout, avec des victimes différentes. C’est un peu comme si on disait: « oui, il y a des victimes à Bruxelles, et Abdeslam est coupable, mais il ne sera pas puni parce qu’il l’a déjà été pour les faits précédents. C’est très difficile à accepter, un peu comme si les victimes de Bruxelles étaient des victimes de second ordre, sans réelle importance, que l’on peut, simplement, passer par perte et profits… A mon avis, là, oui, il y a eu laxisme.

La moitié des femmes de l'État islamique rapatriées par la Belgique sont désormais libres. La justice belge a-t-elle conscience de la menace terroriste qui pèse dans un tel contexte ? La justice belge a-t-elle cédé en quelque sorte face à la menace islamiste ?

Il faudrait voir quelle est, en France ou dans d’autres pays, la proportion de ces femmes « revenantes » qui ont été libérées. En tout état de cause, il est certains qu’il y a, parmi ces femmes, de pauvres idiotes qui ont été attiré sur place par des hommes se disant amoureux et qui n’ont pris part à aucun fait criminel. Que celles-là soient libérées ne me pose pas de problème particulier. Mais bien entendu, il y a les autres, qui sont idéologisées, radicalisées et ont pleinement soutenu les objectifs mortifères de l’EI et été complices de ses crimes, par exemple en exploitant des esclaves yazidies comme domestiques (ou pires…). Celles-là doivent être punies. La vraie question à mes yeux n’est donc pas tant que l’on libère telle ou telle mais d’être certain que la décision a été prise pour de bonnes raisons et en s’entourant de toutes les garanties de sécurité, après une enquête serrée. Et là, je dois dire que j’ai des doutes. Les attentats de 2015-2016 à Paris et Bruxelles ont été entièrement préparés à Bruxelles. Cela a été possible parce que les politiques ont fermé les yeux pendant vingt ans sur la pontée du radicalisme dans les quartiers, malgré les mises en garde. Ils n’ont pas donné de moyens suffisants aux services compétents et le résultat en a été une terrible cécité qui a permis  à une vingtaine de terroristes de s’agiter pendant des mois à Bruxelles, sans être inquiétés. Et je ne suis pas certain qu’aujourd’hui, les choses aient vraiment changé. J’entends dire, de plus en plus souvent, « la crise est terminée, passons à autre chose ». C’est une terrible erreur. Dès lors on peut évidemment se demander si toutes les enquêtes nécessaires à la libération de ces « revenantes » ont été menées comme il le fallait…

Au regard de ce contexte, l’infiltration des islamistes en Belgique est-elle préoccupante et a-t-elle atteint son paroxysme ?

Je reviens à ma première réponse : la montée de l’islamisme radical est préoccupante partout en Europe, pas seulement en Belgique, mais oui, le contexte international (Sahel, Israël) est lourd de menace et il existe, à Bruxelles ou ailleurs en Belgique, des  individus susceptibles de passer à l’acte de manière isolée  ou en petits groupes peu structurés et donc difficiles à dépister. La faiblesse de l’Etat belge rajoute une couche de risque….

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !