La BCE ne veut plus de salariés « écologistes » tout en s’autofixant des objectifs qu’aucun traité européen ne prévoyait <!-- --> | Atlantico.fr
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Pour Don Diego De La Vega, "la BCE sort complètement de son champ de compétences dans ce dossier".
Pour Don Diego De La Vega, "la BCE sort complètement de son champ de compétences dans ce dossier".
©Daniel ROLAND / AFP

Hors de contrôle

Un haut responsable de la Banque centrale européenne a stupéfié les employés en déclarant que les personnes qui n'adhèrent pas aux objectifs écologiques de l'institution ne sont pas les bienvenues pour y travailler.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Un haut responsable de la Banque centrale européenne, Frank Elderson (l'un des six membres du directoire de la BCE) a stupéfié les employés en déclarant que les personnes qui n'adhèrent pas aux objectifs écologiques de l'institution ne sont pas les bienvenues pour y travailler, selon des informations de Politico. Est-ce le rôle de la BCE de s’occuper des questions liées à la transition écologique alors qu’aucun traité ne lui en donne la compétence ?

Don Diego De La Vega : La BCE sort complètement de son champ de compétences dans ce dossier. Son seul champ de compétences, normalement, est le contrôle de l'inflation. La BCE a une vision différente des choses. La BCE estime qu'il y a de nombreux critères qui peuvent concourir à l'exercice de son mandat. Dans ces nombreuses choses, il y a l'emploi, les salaires, la croissance, les conditions structurelles d'offre et d’autres éléments. Dans ce cadre, depuis quelques années, la BCE estime qu'il faut aussi qu'elle participe en tant qu'institution au respect des objectifs climatiques, et que ces objectifs climatiques ont aussi des impacts sur les conditions d'offre et de demande hors zone euro à moyen et à long terme, et que cela peut avoir un impact sur le profil de l'inflation, et que donc cela fait bien partie de son mandat. 

Pour y parvenir, elle se fonde sur la même chose que le Conseil d'État quand il découvre des principes qui étaient présents depuis 1789, mais que le législateur ou le citoyen dans leur grande distraction démocratique n'avaient pas cru bon de mettre sur le papier. Ils se fondent sur le même principe que le Conseil constitutionnel qui découvre des principes généraux du droit, qui n'étaient pas à proprement parler présents dans la Constitution, mais qui apparemment ont une valeur juridique parfaitement supérieure. Toutes les institutions découvrent des principes, élargissent leur mandat, ou interprètent leur mandat à leur guise. C'est le destin de toutes les institutions, en tout cas toutes les institutions indépendantes, tous les juges indépendants, à partir du moment où on les laisse avec un peu trop de pouvoir et d'indépendance. 

Normalement, il y a deux garde-fous. Mais ces garde-fous ont sauté dès le début. Le premier garde-fou est qu'en général lorsque l’on donne à une institution de l'indépendance, elle n'a pas beaucoup de pouvoir. Dans le cas de la BCE, malheureusement, dès le début, un pouvoir gigantesque lui a été conféré, littéralement le monopole sur l'émission de billets, le monopole monétaire avec tout ce que cela suppose sur les taux d'intérêt, sur les marchés financiers, sur le taux de change. Donc on lui a donné beaucoup de pouvoir. Et en même temps, on lui a donné un niveau d'indépendance digne de la Banque centrale allemande. Elle ne rendait de comptes à personne. Donc lorsque vous conjuguez pouvoir et indépendance, c'est très rare, et cela est complètement contraire aux principes libéraux. Les principes libéraux font qu'à partir du moment où vous avez du pouvoir vous n'êtes pas indépendant. Vous devez rendre des comptes, c'est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dans son article 15. Il y a donc une violation totale de tous les principes libéraux. Beaucoup de pouvoir et beaucoup d'indépendance ont été donnés en même temps. Seuls les Etats pouvaient arrêter la BCE. Manque de chance, ils sont 20 autour de la table et ne s'entendent pas. Ils ont des visions différentes de toutes ces questions et sont très divisés. A partir du moment où ce sont eux qui ont donné le pouvoir à la BCE, ce n'est pas pour le récupérer, parce qu’ils ont estimé que ce n'était plus de leur compétence. Dans votre légitimité technocratique, il faut que ce soit le gouvernement des meilleurs, car implicitement, et d'ailleurs c'est dans le traité, il faut que vous ayez autour de la table les 23 personnes les plus compétentes en Europe pour les questions de politique monétaire. Or, petit à petit, les experts sont partis. Désormais, il y a 23 personnes qui sont des amateurs en politique monétaire. Et donc, non seulement ils ont du pouvoir, non seulement ils ont de l'indépendance, non seulement rien ne peut les arrêter, mais en plus, ils ne sont même pas des technocrates. Ils ne peuvent même pas se réfugier derrière le paravent de la compétence. Ils ne sont ni élus, ni compétents en politique monétaire.

Une telle implication de la BCE dans le domaine écologique, en outrepassant ses compétences, est-elle normale ?  

Tout dans ce dossier est surréaliste. Premièrement, il y a un problème de gouvernance. La gouvernance est surréaliste. Pourquoi la BCE s'empare de ce sujet-là ? Quelle est sa légitimité à s'emparer de ce sujet-là ? Est-ce que ce n'est pas une extension inouïe de son mandat ? Cela pose un premier problème. Cela constitue un problème démocratique. Il y a un problème de manque de contre-pouvoir. La BCE étend son mandat dans le silence institutionnel et démocratique le plus complet. Il y a un deuxième problème. Quand bien même la BCE déterminerait le futur et une trajectoire de correction de ce futur, avec des objectifs climatiques, quand bien même, elle arriverait à avoir raison, alors qu'elle ne sait même pas qu'elle sera la production industrielle dans six mois en zone euro, quand bien même, elle aurait raison, de toute façon, il est très compliqué d'en déduire une politique monétaire. Cela est très difficile car les questions de climat et d'énergie peuvent générer un choc de demande négatif.

Cela peut également être vécu comme un choc d'offres négatif. Qu'est-ce qui va l'emporter ? Quel sera l’impact sur l'implantation tendancielle ? Il n'y a pas de certitude. La BCE a précisé au moment de sa construction que l'inflation était un phénomène monétaire, que normalement, il ne fallait pas trop se soucier des questions d'offres, ni du court-terme, ni de long terme, parce que finalement, la vraie responsabilité de la BCE était l'offre de monnaie, et que c'était d'ailleurs pour cela qu'on l'avait rendue indépendante. Maintenant, l’explication repose sur le fait que l'inflation n'est plus vraiment un phénomène monétaire qui dépend de la BCE. Dans ce cas-là, si cela ne relève pas véritablement de la responsabilité de la Banque centrale, pourquoi la BCE est-elle indépendante alors ? Si l'inflation n'est pas uniquement à la main du banquier central, alors dans ce cas, c'est à la main de la société, et si c'est à la main de la société, il n'y a pas de raison que le banquier central soit protégé par un mandat extraordinairement indépendantiste. Il est très difficile de savoir à l'avance ce que le changement climatique va avoir comme impact sur l'inflation tendancielle, si jamais un jour cela aura un impact. La BCE n'a aucun outil analytique aujourd'hui pour le déterminer. 

Aujourd'hui, le quart des articles en économie, en macroéconomie, sont de près ou de loin liés aux questions énergétiques. Il y a une production académique mais cette production académique est assez largement inopérante ou agnostique ou sans véritable conclusion claire sur l'impact à court, moyen et long terme sur la trajectoire de l’inflation. La BCE ne peut pas vraiment se saisir de cela aujourd'hui. Elle se saisit de ça aujourd'hui pour faire de la communication, pour faire de la dilution de responsabilités, pour marquer son territoire aussi, et pour organiser des symposiums sur le climat en 2080, mais la réalité, on l'a vu au moment notamment de la révision des procédures opérationnelles de la BCE, est que l’institution a inclus beaucoup d'éléments, notamment climatico-énergétique, dans son raisonnement, et pour le moment, comme le flou persiste sur l’effet que cela va avoir sur l'inflation, la BCE fait de la communication. 

Un dirigeant de la BCE qui impose une idéologie à ses salariés, ne dit-il pas l’état du débat au sein de l’institution ? 

On voit la façon dont les débats sont gérés, ou plus exactement, comment les débats sont éteints, à la BCE. Un officiel, comme par hasard un officiel allemand, qui fait partie du directoire nous dit explicitement : “je ne veux pas de gens qui ne pensent pas, comme moi, sur les questions environnementales.” Évidemment, personne ne remet en cause le réchauffement climatique dans ces instances. Mais commencer à dire qu'éventuellement, cela pouvait poser un problème pour la croissance et les associations s’emparent alors du problème. Cela porte atteinte, certainement, à votre employabilité comme banquier central dans quelques années, mais aussi, quelque part, cela à un impact sur l'institution. Donc il ne doit pas y avoir de débat sinon, cela va nous faire une mauvaise publicité. Merci aux experts de partir ou de se taire. 

La BCE nous dit : comme ces questions sont hypersensibles, elles sont gérées par les communicants. On passe notre temps à critiquer la Russie, mais finalement, sur certaines questions, c'est clairement un climat russe d'expression. Alors comme le disait Jean Yanne, ce n'est pas la censure, c'est pire, c'est l'auto-censure. Puisque clairement, on précise aux gens que s’ils s’amusent à ne pas réciter notre catéchisme, ils sont virés, cela impose un climat délétère. Dès que la situation commence à devenir délicate, et les questions environnementales sont considérées comme très délicates, la solution est « tu te tais, on s'en occupe ».

Dans ce cas, la BCE devient une institution politique. Attention ! Si la BCE est une institution politique, je veux voter pour eux. 

Cela s’inscrit dans un contexte général qui dure depuis maintenant plusieurs siècles. Les institutions indépendantes ont une fâcheuse tendance à déborder de leur mission d'origine. Les institutions évoluent de façon sournoise et parfois surprenante. Si on ne les arrête pas, à un moment, elles finissent par avoir et du pouvoir et de l'indépendance, et à ce moment-là, plus rien ne les arrête.

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