L’OTAN et l’Union européenne : le fardeau du partage<!-- --> | Atlantico.fr
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De nombreux dirigeants lors d'une déclaration conjointe de soutien à l'Ukraine à l'occasion du sommet de l'OTAN, à Vilnius, le 12 juillet 2023.
De nombreux dirigeants lors d'une déclaration conjointe de soutien à l'Ukraine à l'occasion du sommet de l'OTAN, à Vilnius, le 12 juillet 2023.
© Ludovic MARIN / AFP

Diplomatie

Depuis le déclenchement de l’offensive russe contre l’Ukraine, les deux organisations ont fait étalage de leur complémentarité.

Mathieu Droin

Mathieu Droin

Mathieu Droin est chercheur invité dans le cadre du programme Europe, Russie et Eurasie du Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS), où il se concentre sur la sécurité et la défense européennes transatlantiques. Avant de rejoindre le CSIS, Mathieu Droin a occupé le poste de chef adjoint de l'unité des affaires stratégiques au ministère français de l'Europe et des Affaires étrangères (MAE), où son travail s'est concentré sur l'OTAN, la politique de sécurité et de défense commune de l'UE et les questions de sécurité maritime.

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L’Union européenne est un « partenaire incontournable et sans équivalent ». C’est ce que déclare le communiqué final du sommet de l’OTAN, qui s’est tenu en Lituanie la semaine passée.

Comment pourrait-il en être autrement ? Les deux organisations se situent à six kilomètres l’une de l’autre, ont 23 de leurs membres en commun (sur 27 pour l’UE et 31 pour l’OTAN), elles défendent toutes deux les valeurs des démocraties libérales, elles font face aux mêmes défis et menaces.

Depuis février 2022 et le déclenchement de l’agression russe contre l’Ukraine, les deux organisations ont fait étalage de leur complémentarité. L’OTAN a été réhabilitée dans sa vocation première : assurer une dissuasion crédible face à la Russie, qui a pris soin d’éviter toute extension du conflit au territoire couvert pour l’OTAN, comme l’a montré sa dénégation immédiate lorsqu’un débris de missile (qui s’est avéré être ukrainien) s’est abattu en Pologne en novembre dernier.

L’UE seule ne serait pas en mesure d’offrir de telles garanties. En revanche, l’Union a pleinement mobilisé les outils non-militaires dont elle dispose et dont est privée l’OTAN : les sanctions, avec onze paquets de mesures affectant l’économie et l’appareil militaire russe, l’aide humanitaire (733 millions d’euros) ou l’assistance macrofinancière apportées à l’Ukraine (18 milliards pour 2023). Surtout, fait historique, l’OTAN ne pouvant pas s’impliquer directement dans le soutien militaire à l’Ukraine pour ne pas générer une escalade avec la Russie, l’UE a fait tomber un tabou historique en assurant une fourniture directe de matériel militaire aux forces ukrainiennes.

Une saine articulation donc. Pourtant, complémentarité ne signifie pas coopération.

Ces efforts ont en effet été conduits en parallèle davantage qu’en concertation. La coopération réelle entre les deux organisations est dans les faits très faible, limitée à des réunions communes sporadiques au niveau des haut-fonctionnaires, de rares projets comme celui conduit par plusieurs Etats membres en matière de mobilité militaire ou au sein de l’opération EUFOR Althéa en Bosnie-Herzégovine.

La relation entre l’UE et l’OTAN fait face à deux principales difficultés.

La première est que, même si les deux organisations ont 23 membres en commun, certains Etats membres uniquement de l’OTAN ont un rôle inhibiteur pour la coopération. Le premier est les Etats-Unis, pierre angulaire de l’organisation, qui voit dans l’Alliance un moyen d’aligner ses partenaires derrière ses priorités stratégiques, et incidemment un vecteur pour soutenir son industrie de défense.

Certains alliés européens, à commencer par la France, plaident pour l’émergence d’un véritable « pilier européen » au sein de l’OTAN, mais la réalité est que les Etats-Unis demeurent les piliers de la défense de nombreux pays européens, notamment pour une majorité des pays d’Europe centrale et orientale qui demeurent rétifs à tout signal d’une volonté de découplage transatlantique qui pourrait être adressé à Washington.

Vient ensuite la Turquie qui objecte systématiquement tout approfondissement de la coopération entre l’UE et l’OTAN depuis 2004, date de l’entrée dans l’Union de Chypre, avec laquelle elle est en conflit ouvert. Les récurrentes tensions avec la Grèce, voire avec la France, éloignent davantage encore les perspectives d’un assouplissement turc.

A cela s’ajoute, depuis le Brexit, un Royaume-Uni qui tente de compenser la perte d’influence due à son départ de l’UE par un plein réinvestissement de l’Alliance, de ses structures et en soutien de l’agenda expansionniste de « l’OTAN globale » promue par son Secrétaire général Jens Stoltenberg.

Le deuxième principal frein à la coopération a trait à l’empiètement croissant de chacune des organisations sur les prérogatives de l’autre. L’OTAN s’investit dans des domaines ne relevant pas directement du champ militaire, tels que la résilience (des infrastructures, des institutions), la sécurité économique ou énergétique. De son côté, l’UE ambitionne de structurer des forces projetables (capacité de déploiement rapide) ou de jouer un rôle croissant dans la définition des capacités militaires que doivent prioriser les Européens.

Ainsi le communiqué adopté à Vilnius n’échappe pas à la mention du besoin d’éviter les « doubles emplois inutiles », imposée par les Alliés non-UE depuis des années, en dépit de l’objection française et de certains partenaires qu’il n’y a en fait que des redondances utiles.

Cette compétition institutionnelle n’empêche pas chaque organisation de progresser, mais elle sous-exploite le potentiel de coopération vertueuse, de mise en cohérence et d’optimisation des politiques de défense des deux côtes de l’Atlantique. Cela est d’autant plus regrettable que l’administration Biden est la plus pro-européenne depuis longtemps, et certainement pour longtemps. Le prochain sommet de l’OTAN, qui se tiendra à Washington quelques mois avant les élections américaines, pourrait être l’occasion de porter cette coopération à un autre niveau, mais cela supposera d’injecter un capital politique qui fait pour l’instant défaut.

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