L’individualisme forcené, ce mal français des élites politiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Une pancarte de l'Ecole Nationale d'Administration.
Une pancarte de l'Ecole Nationale d'Administration.
©Patrick HERTZOG / AFP

Bonnes feuilles

François Garçon publie « France, démocratie défaillante : Il est temps de s'inspirer de la Suisse » aux éditions de L’Artilleur. François Garçon fait le diagnostic des différents blocages qui entravent la France : une verticalité des pouvoirs construite sur des élites mal formées, conformistes et orgueilleuses, des médias complices par facilité et des dispositifs politiques dépassés. Il montre que la solution suisse est l’exacte inverse : des pouvoirs aussi horizontaux que possible où la démocratie participative vient compléter les systèmes représentatifs sans les gêner. Extrait 1/2.

François Garçon

François Garçon

Auteur de France défaillante, Il faut s’inspirer de la Suisse, Ed. L’Artilleur, 2011, prix Aleps du livre libéral 2022. François Garçon a rédigé plusieurs ouvrages sur les mérites de la Suisse (Le modèle Suisse, Perrin – Le Génie des Suisses – Tallandier) , et a enseigné pendant plusieurs années à la Sorbonne.

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Autre infirmité des élites françaises : l’individualisme forcené. Selon Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique : « Tout ce qui est valorisé pour obtenir le diplôme à la Kennedy School ne l’est pas à l’ENA : s’exprimer, valoriser ses idées, être un bon coéquipier64 ». Évidemment, l’exercice n’est pas facile car, avec l’empilement des notes rédigées en vue du concours, épreuve éminemment individuelle, l’esprit d’équipe a depuis longtemps disparu. Et l’exemple venant d’en haut, comment s’en détacher, comment oser autre chose dans un univers étriqué, où les faux pas sont scrutés à la loupe : « Le Président ne gère pas davantage ses ministres. Il ne leur téléphone jamais, ne les voit presque pas en tête à tête ». « [Macron] s’est façonné dans un univers très concurrentiel, l’Inspection des finances, la banque d’affaires, qui encouragent la starisation, où chacun court dans son couloir. Un univers qui encourage les neurones, pas les synapses. L’individu, pas le collectif. Et ce manque est cruel au plus haut sommet de l’État ». Dans cette course du rat, les survivants se comportent, naturellement, comme des rats. Plus ils montreront leur capacité à se comporter ainsi, plus rapide sera leur ascension, plus haute sera la cime atteinte. Inutile de le déplorer. Leur est-il en effet demandé autre chose que de sortir victorieux de l’épreuve pour laquelle ils sont coachés, entraînés, et à laquelle ils se soumettent en connaissance de cause ? « Nous avons préparé l’ENA ensemble, explique-t-il. Camille apprendra tout à l’heure que Louis était major de sa promotion, tandis que l’Autre se traînait en queue de peloton ; on a beau réussir, ces complexes sont indélébiles ».

À être sélectionnés puis bichonnés en prévision de leurs olympiades scolaires, les vainqueurs acquièrent une très haute estime d’eux-mêmes. Qui oserait reprocher à Nadal ou Federer de se considérer les meilleurs dans leur discipline sportive ? Ils ont vaincu, et revaincu, tout ce qui passait à portée de leurs raquettes. Tel est ce que doivent également penser les lauréats des concours français. Certains, parmi ceux qui ratent le podium, repartent en course l’année suivante. Pourquoi, alors qu’on a réussi, retenter l’agrégation de mathématiques, sinon pour viser une meilleure place, voire la première, suprême honneur dont l’intéressé fera état dans sa nécrologie. Selon plusieurs témoignages, ces exercices fascineraient les Français : « Le cas Macron est très intéressant sur ce qu’il dit de la schizophrénie française : les Français pestent contre les élites mais sont ébahis (sic) de ce grand oral de l’ENA de sept heures qu’est le Grand débat que tous les observateurs voient comme responsable de la remontée de Macron dans les sondages ». Selon Alain Minc, la prestation du président Macron qui, lors de la crise des Gilets jaunes, enchaîna ses fameux débats, dont on a surtout constaté qu’ils n’étaient que des monologues, aurait ébahi (sic) les Français. Alain Minc poursuit : « Ce qu’il fait dans ces débats est typiquement ce que le système de fabrication des élites françaises prépare à faire : un long grand oral de l’ENA. Ce qui signifie qu’il existe toujours une forme de révérence très profonde de la société française envers ses élites ». Pour ce qui est de la « révérence », sans doute la trouvait-on parmi l’assistance assise, flattée par la proximité avec le président de la République. La révérence se notait déjà moins dans les rues adjacentes, où seule la police contenait le chahut. Pour Alain Minc, familier « des anti-chambres du pouvoir », maîtriser le discours serait en France la marque d’affiliation à l’élite. Si tel est le cas, et si l’on suit ce raisonnement, on comprend surtout que la France est entre les mains de phraseurs, convaincus de leur capacité à vendre n’importe quoi à des décervelés peu regardant sur les produits faisandés. Retour sur la salle des fêtes de l’Élysée où, pendant le marathon des Gilets jaunes, Emmanuel Macron a assuré une performance devant une soixantaine d’intellectuels. « Ce fut un feu d’artifice. Ce soir de mars, jusqu’à 2 h 30 du matin, Emmanuel Macron a pu démontrer sa virtuosité rhétorique et intellectuelle sur n’importe quel sujet ». Lors de la crise de la Covid-19, en démiurge, Emmanuel Macron a ré-enthousiasmé ses fans. Ainsi a-t-on appris que « le président lit tout ce qui sort de scientifique sur le sujet, interroge les experts et cherche chaque jour ce qui se produit de nouveau pour ne rien laisser passer. Un jour, il pourra briguer l’agrégation d’immunologie », s’amuse Richard Ferrand. Considérant le bilan calamiteux de la crise sanitaire, avec ses errances administratives et l’incurie de la gestion vaccinale, sans aurait-il été préférable que le président de la République potasse moins The Lancet et délègue davantage aux acteurs de terrain. À propos du Grand débat, un article de L’Express révélait qu’avant de monter sur scène, Macron mémorisait les paquets de fiches que lui mitonnaient ses assistants. Dans cette prestation, Macron correspondait au portrait-type du bonhomme pas forcément intelligent, autrement dit innovant et créatif, mais parfaitement adapté au milieu qui le juge : « On sélectionne ainsi des gens scolaires, qui savent répondre superficiellement, rapidement et à froid à des questions. On les retrouve au sommet de l’État ». Bref, au long de cet exercice, Macron récitait. Cruel, Marcel Gauchet porte un jugement à l’opposé de l’admiration narcissique d’Alain Minc : « Ses soliloques interminables et répétés, où il ne s’agit que de démontrer son brio, cette espèce de grand oral de l’ENA, récurrent », que signifient-ils sinon : « Je suis le seul, le meilleur, donc faites-moi confiance » ? Donc, il s’est agi d’un barnum où, doté d’une grosse mémoire, un « performer » a tenté de séduire les spectateurs. Certainement, le jeune prince a jubilé au spectacle de cette assistance, hier rebelle, là assise, silencieuse, apparemment domptée. Le one-man-show du jeune prince dissertant brillamment ne lasse pas. Certains ont même paru en redemander. Doit-on se réjouir d’avoir pour président un intellectuel trapéziste se produisant devant un parterre pythonisé ?

« Le Président français ressemble à un monarque élu », dit François Hollande qui, au cours de son mandat, joua souvent à contre-emploi. Dans ce que rapportent les témoins, tout transpire un fond monarchique, avec ses préséances, ses courbettes, ses courtisans. Si n’est pas jamais évoquée la notion d’étiquette qui, dans les sociétés de cour, gouverne les relations entre les personnes, le rituel de l’espace républicain français en porte cependant l’empreinte. Gare à qui néglige les codes : « Francis, vous ne savez pas que quand le Président a parlé, c’est la fin du Conseil ? ». Francis Mer est visé par l’adresse que lui lance Jacques Chirac, gardien de la solennité protocolaire. Quinze ans plus tard, rien du rituel de cour n’a changé : « Tout ministre honnête reconnaîtra que la seule activité du Conseil, hormis les communications, qui sont rares, est de hocher gravement la tête pour approuver les propos du Président ». Qui peut croire que celui passé par ce conservatoire des mœurs surannées en sort indemne ? Et, surtout, comment imaginer qu’un intrus parvienne seulement à s’y glisser ! Pour accéder à ces jeux d’étiquette, il faut avoir intégré les mœurs du milieu, ce qui se fait non au cours de l’éducation (les bourgeois accordent à leurs enfants une grande liberté), mais lors du processus de formation. Où l’on voit donc que c’est jusqu’au sommet de l’État, à son plus haut sommet, c’est-à-dire le Conseil des ministres, qu’est respectée la dignité de cour. Car ça n’est pas au nom d’un principe d’efficacité que se font ces rappels d’autorité, mais pour rappeler aux étourdis qui est le chef, qui commande. Ces mœurs ont depuis longtemps débordé la machinerie politique et sont signalées partout où sont installés les représentants venus du monde vertical, extractif. L’autoritarisme français est un des ferments du fameux populisme, nourri du « dédain des élites libérales à l’égard de ces citoyens qui n’ont pas grand-chose à perdre.

Ces affaires ne sont pas seulement d’ordre économique ; elles traduisent une soif de dignité et de reconnaissance (...) La dignité exige l’écoute ». Qui subit l’humiliation, dont on voit qu’elle règne jusqu’au sein du Conseil des ministres, vit lui-même dans la peur, peur qu’il répand à doses plus ou moins létales dans ses relations avec ses subordonnés, ses obligés. Ne gagnerait-on pourtant pas de se souvenir que « Le “peuple” est moins fondé à dénoncer les “élites” quand il est associé à leurs décisions ». Certes, mais le problème demeure : la sélection de l’oligarchie scolaire française est gouvernée par un individualisme forcené qui, jusqu’à la remise du diplôme, ne cessera de monter en intensité. Ce processus de sélection de l’élite française est l’exact contraire de la formation par la recherche, comme celle, par exemple, qu’a suivie Angela Merkel. « La recherche est un travail d’équipe, chacun compte ». Or, aucun de nos dirigeants ne s’est formé sur cette partition. Les conséquences sont dramatiques. « Les décideurs ont oublié le célèbre “aidez-moi” de De Gaulle. Ils ont été bloqués par leur prétention à tout faire ». Obéissants, dressés au bachotage, ils appliquent les leçons studieusement apprises. Ensuite, naturellement, vient le règne du chef : place au commandement !

Extrait du livre de François Garçon, « France, démocratie défaillante : Il est temps de s'inspirer de la Suisse », publié aux éditions de L’Artilleur.

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