L’égalité professionnelle, une bonne affaire pour tout le monde (et pas seulement pour les femmes)<!-- --> | Atlantico.fr
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La question de l'égalité professionnelle est intrinsèquement liée à celle du temps imparti entre hommes et femmes pour la vie de famille.
La question de l'égalité professionnelle est intrinsèquement liée à celle du temps imparti entre hommes et femmes pour la vie de famille.
©Reuters

Encore un petit effort

Najat Vallaud-Belkacem présente ce matin en Conseil des ministres son projet de loi cadre sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes. Pour Antoine de Gabrielli, le seul moyen de véritablement parvenir à cette égalité résiderait dans la bonne volonté des hommes à vouloir se saisir de la question. Pour leur plus grand intérêt.

Antoine  de Gabrielli

Antoine de Gabrielli

Antoine de Gabrielli est dirigeant de Companieros, fondateur de l'association Mercredi-c-papa et initiateur du projet Happy Men. Blogueur sur la question de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes (www.mercredi-c-papa.com), il est également membre de la Commission égalité professionnelle du Medef, de la Charte de la Diversité, de l'Association Française des Managers de la Diversité (AFMD) et du Club XXIème siècle qui œuvre pour l'intégration républicaine. Suivez Antoine de Gabrielli sur Twitter : @happy_men_fr ou @adegabrielli 

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Comment comprendre la modestie des progrès enregistrés depuis dix ans en matière d’égalité professionnelle ? On peut se demander si trop d’efforts n’ont pas été concentrés sur le seul changement des femmes, laissant de côté les leviers clés que sont les préjugés des hommes et le management. Une idée simple devrait d’avantage nous guider sur la nature des solutions : on ne change pas la situation d’une minorité en lui demandant de modifier son comportement. Quelle que soit la minorité et la majorité, ça ne marche jamais.

Mentorat, coaching, leadership au féminin ou réseaux de femmes sont autant de moyens qui ont incontestablement permis non seulement d’aider les femmes à prendre conscience des enjeux de l’égalité professionnelle mais aussi à se mobiliser sur cette question. Cela n’a cependant pas suffit, jusqu’ici en tout cas, à sensiblement diminuer les discriminations. Dans le même temps, ces moyens peuvent laisser se développer l’idée que les femmes ont besoin d’un accompagnement particulier pour réussir à devenir aussi performantes que leurs collègues masculins, notamment dans l’accès au pouvoir. Paradoxalement, cela risque ainsi de contribuer, tout en luttant contre les préjugés des femmes sur elles-mêmes, à renforcer les stéréotypes des hommes sur les femmes.

C’est donc à la majorité qu’il faut peut-être davantage s’adresser, si on veut obtenir des résultats décisifs. Cette majorité, dans le monde économique, ce sont les hommes. Pour cette raison, leur mobilisation au service de l’égalité professionnelle ne semble pas seulement importante : elle estpeut-être le levier principal du succès.

Les hommes occupent 90%, à peu près, des postes de CODIR et COMEX dans les entreprises ; et un peu moins de 80% des postes de conseils d’administration grâce aux quotas imposés par la Loi Copé-Zimmermann (plus de 90% auparavant). Pour l’essentiel, les postes de direction, et donc les capacités de changement, sont donc entre les mains des hommes. Pourtant, plus de 70% de ces dirigeants pensent qu’il n’y a pas véritablement de problème d’égalité professionnelle en France. Ils sont convaincus qu’il y a effectivement eu des difficultés par le passé, mais que cette situation est maintenant de l’histoire ancienne. Cette perception est pourtant, on le sait, erronée. Ces chiffres permettent de mettre le doigt sur l’inertie masculine face aux enjeux de changement nécessités par l’égalité professionnelle…

Par ailleurs, le temps des femmes et des hommes au sein des couples, et notamment des familles, obéit à une logique de vases communicants. Si on veut que les femmes puissent être plus disponibles dans leur vie professionnelle, et cela leur est fréquemment demandé, il faut bien que, d’une manière ou d’une autre, les hommes le soient davantage dans la vie du couple et de la famille. Par la nature ou l’ampleur des responsabilités familiales assumées, les hommes sont de fait directement acteurs de la disponibilité professionnelle, ou non, de leur conjoint.

Ce tableau peut être aussi éclairé par la constitution même du « plafond de verre » évoqué précédemment. Une étude de l ‘APEC, menée en 2008 auprès de femmes cadres, montre que, pour celles-ci, ce plafond provient, dans 54% des cas, des préjugés des hommes sur les femmes : doutes sur leur capacité à assumer des responsabilités, trop affectives, pas assez d’autorité, trop émotionnelles… Dans 48% des cas, elles estiment que c’est le « présentéisme » qui est en cause, c’est à dire une organisation du travail et un management qui exigent une présence longue sur le lieu de travail, avec notamment la participation à des réunions très tôt ou très tard dans la journée. La maternité est citée dans 35% (seulement…) des cas. Enfin, 18% pensent que ce sont les préjugés des femmes sur elles-mêmes qui sont en cause : manque d’assertivité, investissement insuffisant dans les réseaux, difficultés culturelles à afficher ses ambitions…

Ces chiffres, et surtout leur comparaison, sont étonnants à plus d’un titre. D’abord parce que les deux principaux constituants du plafond de verre concernent très principalement, les hommes : il s’agit des préjugés des hommes sur les femmes et du présentéisme (celui-ci dépend directement de choix managériaux et organisationnels de dirigeants, donc majoritairement d’hommes). Ensuite parce que la maternité, qui est en général pointée comme le principal frein à la carrière des femmes, n’arrive qu’en troisième position. Enfin parce que les préjugés des femmes sur elles-mêmes ne comptent, selon les femmes, que pour 18% du problème alors que leur « déconstruction » concentre depuis 10 ans l’essentiel des investissements.

Un troisième élément peut expliquer la stagnation des progrès. L’égalité professionnelle est un des grands combats du féminisme. Dans ce terreau intellectuel qui postule la domination des hommes sur les femmes, l’inégalité professionnelle a toujours été vue comme perdante pour les femmes mais gagnante pour les hommes. Dans ce contexte, le sujet de l’égalité professionnelle a été d’abord appréhendé comme celui d’un combat des femmes contre les hommes. On peut le comprendre, mais ce faisant, on a peut-être trop ignoré le point de vue des hommes et notamment l’intérêt qu’ils pourraient eux-mêmes trouver à l’égalité professionnelle. En 2011, l’association Mercredi-c-papa a formulé le concept innovant de « plancher de verre », qui illustre comment les stéréotypes masculins tendent à isoler les hommes au sein de la sphère professionnelle, limitant leur épanouissement personnel et familial. Si on considère que l’inégalité professionnelle pénalise, certes différemment, les femmes mais aussi les hommes, l’équation à résoudre n’est plus constituée de perdantes et de gagnants, mais uniquement de perdants, ce qui suggère l’existence de possibles synergies et solidarités.

Par ailleurs, la première étude Women Matter publiée par McKinsey en 2007, suivie par plusieurs autres, a permis de mieux comprendre l’intérêt pour les entreprises de l’égalité professionnelle. Cette étude a pointé la corrélation entre un taux de femmes supérieur à 30% dans les instances de direction de grandes entreprises mondiales, et la surperformance de ces mêmes entreprises. Ce taux est lui-même lié à la mise en place d’un management qui permettre à tous, ce qui profite d’abord aux femmes mais aussi aux hommes, de mieux valoriser leurs compétences et de moins subir barrières et rigidités inutilement limitantes. C’est probablement dans ce type d’organisations, libérées du modèle managérial des années 50, qu’est en train de se construire le modèle managérial du XXIème siècle.

L’inégalité professionnelle est donc un système triplement perdant, pour les femmes bien-sûr, pour les hommes, nous l’avons vu, mais aussi pour les entreprises publiques ou privées. Paradoxalement, ceci constitue une excellente nouvelle, puisque dans cette vision du problème, toutes les parties prenantes ont aujourd’hui objectivement intérêt à unir leurs forces pour que des solutions soient trouvées.

Si donc on accepte l’idée, assez surprenante, que les hommes sont le levier principal de l’égalité professionnelle, encore reste-il à découvrir la manière de s’adresser à eux pour les inciter à s’y engager. La difficulté sur ce point ne doit pas être sous estimée : pour l’instant, une large partie des hommes considère l’égalité professionnelle comme une question qui ne regarde que les femmes. Peu d’entre eux ont identifié qu’ils pouvaient eux-aussi en tirer un bénéfice personnel et professionnel.

Plutôt que de chercher à changer les hommes, l’efficacité commande de tenter de les rejoindre là où ils sont, dans leurs préoccupations d’hommes. Cela peut se faire en leur montrant par exemple qu’en tant que professionnels, il ne peuvent se désintéresser d’un levier important de la performance de leur entreprise ; qu’en tant que cadres ou managers, il ne peuvent ignorer les compétences managériales liées à l’égalité professionnelle, sauf à être bientôt dépassés par des organisations du travail performantes ; que dans la vie économique d’aujourd’hui, par nature fragile et fluctuante, pouvoir compter sur la réussite professionnelle d’une compagne est important ; qu’en tant qu’hommes, pères, fils et conjoints, il ne peuvent limiter leur vision du succès au seul monde professionnel, mais que leur enjeu, comme pour les femmes, est de réussir aussi leur vie privée, en somme, sinon de tout réussir, de tout chercher à réussir.

On le voit, les arguments ne manquent pas pour convaincre les hommes de s’engager pour l’égalité professionnelle. Il reste maintenant à trouver les moyens innovants de les leur faire entendre !

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