L’effet Ketchup : ce que le rachat de Heinz par Warren Buffett révèle du changement d’état d’esprit des marchés<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans le paquet Heinz se trouvaient cinq milliards de dollars de dettes.
Dans le paquet Heinz se trouvaient cinq milliards de dollars de dettes.
©Flickr

Decod'Eco

Warren Buffett a racheté Heinz : une acquisition qui en dit long sur les conditions de marché... et sur les perspectives de l'économie.

Cécile  Chevré

Cécile Chevré

Cécile Chevré est titulaire d’un DEA d’histoire de l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) et d’un DESS d’ingénierie documentaire de l’Institut national des techniques de documentation (INTD). Elle rédige chaque jour la Quotidienne d'Agora, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance.

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Warren Buffett, associé au fonds brésilien 3G, a acquis le géant américain de l'alimentaire Heinz pour 28 milliards de dollars, soit la plus grosse acquisition depuis le début de l'année et la quatrième plus importante de l'histoire de l'industrie agroalimentaire.

Warren Buffett est traditionnellement un de ces investisseurs que l'on respecte et que l'on admire. Des sites entiers sont consacrés à traquer le moindre investissement du sage d'Omaha, la moindre de ses déclarations – et vous proposeront de vous transformer en parfait épigone de Buffett en 10 leçons.

Warren Buffett aurait-il perdu son légendaire flair ?

Pourtant, ces dernières années, Buffett a perdu un peu de son aura. Depuis 2009, son fonds, Berkshire Hathaway, fait moins bien que le S&P 500. Et la dernière acquisition de Buffett donne du grain à moudre aux Buffett-sceptiques.

Pourquoi ? Parce que dans le paquet Heinz se trouvaient cinq milliards de dollars de dettes... et que surtout Buffett n'a pas respecté une autre des règles d'or de l'investisseur : acheter bon marché.

Car 24 milliards de dollars, c'est 21 fois le chiffre d'affaires du groupe l'année dernière. C'est aussi 72,5 $ par action, alors que celle-ci cotait un peu plus de 60% au moment de l'opération, et près de 20% au-dessus du plus haut historique. La plupart des commentateurs ont jugé que l'acquisition de Buffett était une erreur stratégique.

Ce n'est pas un hasard s'il a été surnommé le sage d'Omaha... lui qui a fourni une des règles d'or de l'investisseur particulier : n'investir que dans des sociétés que l'on comprend, des sociétés à forte valeur ajoutée, reconnues, qui sauront conserver leur avantage sur le long terme.

Heinz suit-il les règles d'investissement de Buffett ?

Selon cette règle, Heinz est un investissement parfaitement "buffettien". Premièrement, son activité est parfaitement compréhensible. Ce groupe agro-alimentaire vend non seulement le mondialement connu ketchup mais aussi d'autres sauces, des aliments préparés, des conserves, des frites surgelées ou encore de l'alimentation pour bébé.

Deuxièmement, Heinz est une marque forte, parfaitement identifiable et qui bénéficie d'un capital de sympathie de la part des consommateurs – qui sont prêt à payer quelques dizaines de centimes de plus pour acheter du ketchup Heinz plutôt que celui d'une marque concurrente.

Troisièmement, Heinz affiche une croissance de son chiffre d'affaires de 8,8% l'année dernière, due en très grande partie à une présence grandissante dans les pays émergents.

Enfin, grâce à son énorme force de frappe, Buffett s'est assuré de quelques petits avantages dont des actions préférentielles. Ces actions permettent à leurs détenteurs de voir leurs dividendes servis avant tout le monde. Buffett s'est ainsi assuré un dividende de 9% sur les actions Heinz. Ce qui est tout simplement énorme comparé au rendement des bons du Trésor à 10 ans (un peu plus de 2% ce matin) et avec le taux officiel d'inflation aux Etats-Unis (1,9%).

Comment expliquer le choix de Buffett ?

Plus que toutes ces bonnes raisons citées plus haut, l'acquisition de Heinz par Buffett nous en apprend beaucoup sur l'évolution récente des marchés.

Premièrement, les fusions-acquisitions seraient-elles de retour ? C'est la question que posait Le Monde : "Assiste-t-on au démarrage d'une nouvelle vague de fusions-acquisitions ? En 24 heures, hormis le rachat de Heinz, on a vu la fusion des compagnies aériennes American Airlines et US Airways ; on a appris que Time Warner veut céder pour 1,75 milliard de dollars au groupe de presse Meredith une partie de son département magazines (hormis quelques fleurons comme Time, Fortune ou Sports Illustrated)".

"Une semaine avant, on avait vu Michael Dell s'associer à un groupe d'investisseurs pour racheter sa propre société dans une opération la revalorisant à 24 milliards de dollars. Le rythme des fusions-acquisitions, sur les six premières semaines de 2013, est en hausse de 26% par rapport à la même période de 2012".

La multiplication de ces acquisitions est le signe d'un manque de croissance économique : pour les entreprises en mal de croissance organique, la seule voie pour continuer à se développer est de passer par la croissance externe, et donc acheter. Pas forcément bon signe donc.

Deuxième enseignement, avec l'achat de Heinz, Buffett fait clairement le choix de la sécurité. Car il faut bien l'avouer, Heinz n'est pas une société qui suscite l'enthousiasme du point de vue de l'investisseur. C'est une valeur bien gérée, en croissance régulière mais pas faramineuse, qui offre un bon dividende. Bref, un investissement "charentaises", bon père de famille. Une valeur qui saura résister dans les années à venir, quel que soit le contexte économique.

Dernier enseignement : Buffett se prépare peut-être au grain. Car avant l'acquisition de Heinz, Berkshire Hathaway disposait d'une réserve de cash de 47 milliards de dollars. Autant d'argent en cash n'est peut-être pas une très bonne idée alors que, malgré le coup de semonce délivré par la Fed la semaine dernière, la politique de taux et de liquidité semble devoir perdurer. En période d'inflation, votre argent perd de sa valeur. Pour Buffett, mieux vaut des bouteilles de ketchup plutôt que des milliards en papier monnaie qui se dévaluent au rythme de la fièvre inflationniste.

[Cécile Chevré passe tous les jours l'actualité économique et financière au crible dans La Quotidienne d'Agora : n'attendez pas pour découvrir ses analyses et ses conseils -- gratuitement. Tout est là...]

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