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L’Allemagne a-t-elle un problème d’infiltration de son extrême droite dans les rouages de l’Etat ?
©Carsten Rehder / DPA / AFP

Menace pour l'Etat allemand ?

La ministre de la défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, a dénoncé mercredi les "comportements extrémistes" d’un commando d’élite des forces spéciales (KSK) qui sera partiellement dissout. Comment expliquer l'infiltrations de groupes d'extrême droite dans l’État Allemand ?

Benjamin  Biard

Benjamin Biard

Benjamin Biard est docteur en sciences politiques. 
Il est chargé de recherches au sein du secteur socio-politique du CRISP. Ses principaux thèmes de recherche sont la démocratie, les idéologies et les partis politiques.

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Atlantico.fr : Après le démantèlement de l’unité d’élite KSK, comment expliquer l'infiltrations de groupes d'extrême droite dans l’État Allemand ? Y'en a-t-il d'autres ? 

Benjamin Biard : L’infiltration d’individus, voire de groupes d’extrême droite, au sein d’une unité d’élite peut paraître surprenante. Mais plus encore, n’oublions pas que le parti d’extrême droite AfD est aujourd’hui représenté au sein du Bundestag et de la grande majorité des Landers allemands. Là, il ne s’agit pas d’une infiltration, mais du résultat d’une élection démocratique. Pensons aussi au fait que c’est d’abord en Allemagne que s’est développé le mouvement PEGIDA – qui a initié un grand ensemble de rassemblements à travers l’Allemagne puis ailleurs en Europe afin de s’opposer à l’immigration et à « l’islamisation du pays ». Puis l’extrême droite est aussi présente en Allemagne sur la scène musicale, par exemple à travers l’organisation de concerts néo-nazis. Bref, l’extrême droite est largement répandue en Allemagne, sous différentes formes, et il ne s’agit pas d’un phénomène si nouveau qu’il n’en a l’air. Plusieurs éléments peuvent toutefois contribuer à expliquer la force de l’extrême droite aujourd’hui. La crise des réfugiés que nous connaissons depuis plusieurs années maintenant et la gestion de cette crise par Angela Merkel n’est pas étrangère à ce renforcement de l’extrême droite. Par ailleurs, les pays européens souffrent aujourd’hui d’une importante crise de la démocratie représentative. Cela signifie que de nombreux citoyens ont perdu confiance non seulement dans leurs représentants mais aussi dans le fonctionnement actuel de la démocratie. En conséquence, ils se tournent parfois vers une offre politique distincte, notamment située à l’extrême droite de l’échiquier politique.

Comment l’État Allemand détecte et suit les foyers néo-nazis ? 

Comme dans tous les Etats, les services de renseignement allemands s’intéressent aux personnes ou aux organisations qui risquent de représenter un danger pour la stabilité du pays ou qui risquent de commettre des actes violents au sein des frontières nationales. Une fois l’information collectée, elle est transmise aux services compétents, notamment aux services de police, pour qu’ils puissent agir en conséquence. L’enjeu est particulièrement de taille en Allemagne. En 2019, en Europe, c’est en Allemagne que le plus grand nombre d’actes violents d’extrême droite ont été commis. Par ailleurs, alors que quatre attentats d’extrême droite ont fait des victimes en Europe durant la même année, deux d’entre eux l’ont été en Allemagne. Et ce ne sont généralement pas des groupes terroristes organisés ou des gangs (par exemple de skinheads) qui commettent ces attentats. Généralement, et surtout ces dernières années, ce sont des individus isolés qui prennent l’initiative de commettre de tels crimes. Bien sûr, ils sont inspirés par d’autres individus – comme Brenton Tarrant, l’auteur des attentats de Christchurch, en Nouvelle-Zélande – ou par des groupes d’extrême droite. La tâche qui revient aux services de renseignement est donc immense. Ce ne sont en effet pas tant les partis d’extrême droite en soi qui représentent le seul danger possible, mais la galaxie d’extrême droite dans son ensemble – à laquelle appartiennent bien sûr les partis d’extrême droite.

L'émergence d'idées identitaires dans le paysage politique allemand est-elle récente ? Est-ce le cas dans d'autres nations européennes ? 

Le développement et la prolifération d’idées identitaires n’est pas un phénomène nouveau en Allemagne. Il est un leurre de croire que l’absence de partis politiques d’extrême droite au sein des assemblées législatives allemandes pendant plusieurs décennies après la seconde guerre mondiale signifie que l’extrême droite était inexistante avant l’apparition de l’AfD. Si les idées identitaires ne parvenaient pas à se structurer – notamment en conséquence d’une mobilisation très forte de la société civile –, elles demeuraient bien présentes. Pensons au hameau de Jamel, dans l’est de l’Allemagne, où se sont installés depuis le début des années 1990 de nombreux Allemands souhaitant se rassembler sur la base d’une idéologie identitaire et néo-nazie. Le cas allemand est particulièrement intéressant car, dans une perspective comparée, il permet de mettre en garde face à l’apparition soudaine d’une extrême droite organisée. Le cas de VOX, en Espagne, est également éloquent à cet égard. En Europe, de manière générale, l’extrême droite et les idées identitaires qu’elle véhicule est aujourd’hui largement répandue. Mais la vraie évolution que l’on peut repérer depuis une vingtaine d’années est surtout leur accession au pouvoir. Cela est ou a été le cas en Italie, en Autriche, en Finlande, aux Pays-Bas, en Pologne, en Slovaquie, en Bulgarie ou encore en Suisse. Au niveau local, le récent scrutin municipal en France a aussi permis au Rassemblement national de décrocher le maïorat d’une ville de plus de 100.000 habitants dimanche dernier. Les idées identitaires ne circulent ainsi plus seulement à travers les réseau sociaux ou les meetings tenus par les organisations ou groupuscules d’extrême droite, mais directement à travers les institutions étatiques.

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