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L’agilité d’esprit, clé d’un monde dominé par l’intelligence artificielle ? Pourquoi il est grand temps d’enseigner la philosophie dès le plus jeune âge
©Reuters

Je pense donc je suis

Selon Michael Higgins, président de la République d'Irlande, la philosophie est l'outil le plus puissant pour éduquer la jeunesse. Pour résister au torrent des "fake news", savoir penser par soi-même s'avère bien utile et constitue un préalable nécessaire à la construction d'une société harmonieuse.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Michael Higgins, président de la République d'Irlande a déclaré que : "L'enseignement de la philosophie est l'un des outils les plus puissants qui soit à notre disposition pour valoriser et éduquer les enfants". Que vous inspire cette réflexion ? La philosophie peut-elle permettre aux enfants de s'élever face aux rudesses de notre société?

Pierre Duriot : L'enseignement, tout court, est l'un des outils les plus puissants et il a largement fait ses preuves avec un enseignement massifié en Occident, au XXème siècle, qui a permis de passer de l'illettrisme généralisé à l'alphabétisation et l'instruction généralisées. Non seulement cela se traduit par des avancées technologiques, scientifiques, mais l'acquisition d'un langage et de codes de communication communs permet la médiatisation des conflits et donc leur résolution pacifique. L'instruction préside également à l'étayage et à l'analyse des discours et des situations. Elle fait vivre la démocratie en permettant au citoyen, soit de prendre une part active à la vie de la cité, soit de choisir, après mûre réflexion, le candidat qui va le représenter. Dans l'idéal bien sûr. Après, la philosophie va sans doute plus loin en instaurant le questionnement dynamique et la réflexion humaniste, au contraire, bien entendu, de l'idéologie ou de la religion, qui apportent des réponses tranchées, des dogmes et des certitudes. Elle prolonge, par l'acquisition de la capacité à se décentrer et à réfléchir, la faculté d'utiliser au mieux les codes communs de communication pour entamer le dialogue constructif avec l'autre, pour peu qu'il accepte de s'engager lui-aussi dans la même voie. Avec pour limite une éventuelle rencontre avec la force brutale contre laquelle la philosophie ne peut pas grand chose.

La philosophie ne permet pas de « s'élever au-dessus des rudesses de la société », elle permet de transformer la société, de diminuer justement l'impact des rudesses et ce effectivement, dès les premiers âges scolaires. Il existe des formes très intéressantes d'ateliers de philosophie déployées avec les jeunes publics, dès la maternelle, dont l'efficacité a été montrée en matière d'ambiance de classe et de compréhension des relations humaines au sein d'un groupe.

Quelles sont les conséquences négatives des technologies que l'on a pu observer sur les enfants et les jeunes ? Sont-ils capable de raisonner et réfléchir sur des sujets qui les concernent ?

La technologie informatique, l'écran, induit chez le jeune enfant la relation duelle exclusive, avec la machine, quand ce n'est pas addictive. Cette forme relationnelle, selon la dose pratiquée et l'âge auquel elle est introduite, va altérer les autres formes de communication, avec les autres enfants, mais aussi avec l'adulte. Non seulement la relation à la machine est duelle et exclusive, mais elle ne permet plus la décentration et l'ouverture sur le monde. Elle est également non asymétrique, c'est à dire que l'enfant ne va pas, avec la machine, mettre en place la communication différenciée qu'il peut adresser alternativement à un copain ou à un professeur. Captivante, uniforme, stéréotypée, la communication à la machine ne permet pas à un très jeune enfant de développer des capacités relationnelles intéressantes avec le monde et les personnes qui l'entourent. Mais attention, ne diabolisons pas la machine, ce n'est qu'un objet qui peut servir justement de refuge, à l'adolescence ou plus tard, à des personnes qui n'auront pas appris, sans la machine, à développer très jeune des modes de communication efficaces pour appréhender le monde et leurs concitoyens. Et bien entendu, l'apport permanent et en grande quantité, d'informations défilantes qui n'ont pas le temps d'être réfléchies et analysées, provoque un gavage qui interdit à la longue toute capacité de décentration et donc de recul par rapport à des contenus anxiogènes pour les enfants. La réflexion qui précède est donc à comprendre en termes de graduation, en fonction du temps passé avec l'écran, des contenus visionnés et des analyses qui sont menées à posteriori, avec une personne capable d'amener l'enfant à la réflexion sur ce qu'il a vu. Autant l'informatique bien encadrée peut être une immense source de connaissance, autant laissée en libre-service et libres contenus, elle peut se révéler désastreuse pour la construction du psychisme et l'acquisition des codes de communication.

Les entreprises d'Internet, Google et Facebook sont en train d'essayer de commencer à agir pour lutter contre les "fake news". Comment est-ce que la philosophie peut faire pour permettre de démêler le vrai du faux en termes d'informations sur internet ?

Se méfier quand même des velléités des grands groupes industriels à lutter contre les « fake-news ». Il peut tout aussi bien s'agir de lutter contre l'information politiquement incorrecte ou non conforme à l'idéologie du groupe en question. Ceci dit, la philosophie, mais également, la culture, la multiplication des références et des analyses logiques enregistrées chez le spectateur, permet de mieux démêler le vrai du faux, de se distancier et d'entamer à propos de l'information, une critique étayée avec des éléments de référence. Ils vont permettre, soit de la trouver plausible et de pouvoir la recouper, soit de la trouver fantaisiste parce qu'elle contredit des items scientifiques ou culturels établis. Encore faut-il que le sujet ne soit pas noyé sous un flot d'informations qui ne lui laisse pas le temps de la réflexion. La philosophie introduit le doute en lieu et place de la certitude et pousse à recouper, analyser, vérifier, questionner, mais il faut impérativement que soit présent un autre ingrédient devenu rare dans nos mondes d'information circulante : le temps. Le temps que l'on se donne, ou celui que la vie nous laisse, pour se payer le désormais luxe de la réflexion. L'homme philosophe qui doit prendre le temps a créé une machine à ce point performante qu'elle ne lui laisse plus le temps de la contrôler.

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