L’abaya, les Insoumis et leur mépris inconscient des musulmans <!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme portant une abaya marchant dans les rues de Paris.
Une femme portant une abaya marchant dans les rues de Paris.
©MIGUEL MEDINA / AFP

Atteintes à la laïcité

Gabriel Attal, le ministre de l’Education nationale, a annoncé l'interdiction du port de l’abaya à l'école. Cette décision a suscité de vives réactions à gauche. Les critiques émises par les personnalités de LFI et EELV ne participent-elles pas à une forme d'essentialisation des populations musulmanes ?

Malik Bezouh

Malik Bezouh

Malik Bezouh est président de l'association Mémoire et Renaissance, qui travaille à une meilleure connaissance de l'histoire de France à des fins intégrationnistes. Il est l'auteur des livres Crise de la conscience arabo-musulmane, pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol),  France-Islam le choc des préjugés (éditions Plon) et Je vais dire à tout le monde que tu es juif (Jourdan éditions, 2021). Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.

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Atlantico : Gabriel Attal, le ministre de l’Education nationale, vient d’annoncer qu’il a l’intention d’interdire le port de l’abaya à l’école à compter de la prochaine rentrée scolaire. Une déclaration qui n’a pas manqué de faire réagir, à gauche notamment. Clémentine Autain, de la FI, a ainsi critiqué une décision “anticonstitutionnelle” qui ferait office de “police du vêtement”. De son côté, Aurélien Taché attaque “la chasse aux élèves musulmans”. Que répondre à de tels propos ? Faut-il craindre qu’ils ajoutent de l’huile sur le feu de la division ?

Malik Bezouh : De tels propos, en particulier ceux de Monsieur Aurélien Taché, posent question pour le moins. En effet, notre pays, et cela est une évidence, ne fait nullement « la chasse aux élèves musulmans ». Par conséquent, tenir de tels propos ne peut que rajouter, en effet, de l’huile sur le feu. Pire. Dans le contexte récent des violences urbaines qui ont secoué notre pays, ce type de discours, que l’on peut qualifier d’irresponsable, peut servir de carburant et de motifs à de nouvelles révoltes urbaines avec les conséquences dramatiques que l’on sait.

Il convient donc d’éviter de verser dans la démagogie et l’outrance verbale. Notre pays, déjà fragilisé, n’en a nullement besoin. Distiller dans l’esprit des individus, tantôt crédules et donc influençables, tantôt plein de ressentiments à l’égard de la France, l’idée saugrenue et infondée selon laquelle les autorités françaises s’acharneraient sciemment contre la composante musulmane de la société est extrêmement dangereux. Oui dangereux car cette affirmation-là contribue à fractionner le pays en jetant les germes de la discorde nationale. Une telle irresponsabilité politique a de quoi dérouter.

Aussi, conviendrait-il plutôt de débattre sereinement et rationnellement en rappelant, par exemple, que le Troisième République, naguère, s’est montrée intraitable avec les tenants du catholicisme, jusqu’à contraindre à l’exil des milliers de moines et à fermer, dans des proportions du même ordre, des écoles catholiques. Elever le débat en rappelant notre histoire serait une piste à creuser car cela permettrait la prise de distance et le recul. Hélas, dans notre société, où les passions politiques nuisibles et hystériques éclipsent le débat nuancé, une telle approche, celle du savoir et de la raison, n’a que peu de chance de trouver un écho favorable dans nos médias. Et cela est fort regrettable. Les réseaux sociaux et la recherche du buzz à tout prix, souvent pour exister politiquement, tant à gauche qu’à droite du reste, n’aident pas, à l’évidence, à orienter le débat dans cette direction-là : celle du débat argumenté et dépassionné.

Aurélien Taché et Clémentine Autain ne sont pas les seuls à avoir dénoncé cette décision. Danièle Obono n’hésite pas à parler d’une “islamophobie décomplexée” tandis que Sandrine Rousseau y voit l’occasion, une fois de plus, de “contrôler” les “corps des femmes et des filles”. N’est-ce pas, à certains égards, contourner le problème ? Que répondre aux accusations en sexisme ou en racisme, en l'occurrence ?

L’argument sexiste ne tient pas puisqu’il s’agit, et de cela nous devrions tous en convenir, d’un débat où le caractère religieux, ici islamique, est prégnant. Madame Rousseau se trompe donc lorsqu’elle affirme que l’on cherche à « contrôler » les « corps des femmes et des filles ». En effet, il s’agit ici du port de tenues dans le caractère religieux se trouve dans l’« intention » des jeunes femmes qui le portent car dans la religion musulmane, c’est l’intention qui prime. C’est même-là un pilier de cette confession car dans un Hadith (parole du Prophète), il est dit que « Les actes ne valent que par leur intention ». Aussi, l’abaya devient un vêtement religieux dès lors que la femme, quand elle le porte, y met une intention religieuse. Inversement, cette tenue peut aussi être profane et résulter d’un phénomène de mode. Mais dans le cas qui nous préoccupe, les filles qui le portent s’inscrivent majoritairement dans une démarche de pudeur recommandée par les sources canoniques de la religion musulmane. Ainsi donc, cette tenue, du fait de l’intention de se conformer aux valeurs de la foi islamique, devient une tenue à caractère religieux. Madame Rousseau, certainement par méconnaissance de la religion musulmane mais aussi par cette tendance lourde à décrire le réel sous le prisme déformant et un rien obsessionnel du sexisme, fait manifestement fausse route ici.

Quant à l’accusation de « racisme », elle est, là encore, infondée car la foi, en l’occurrence islamique, concerne des populations issues de pays divers et variés. On peut être français de souche et musulman tout comme l’on peut être français musulman de parents issus d’Afrique du Nord, de Turquie, du Sénégal, etc. En outre, l’on peut être français agnostique, voire athée et de famille musulmane d’Afrique. Dit autrement, la réalité est complexe et il est bien dommage que ces élus n’en tiennent pas compte. Plus inquiétant encore, en tenant un tel discours, on favorise le basculement de certains individus fragiles, instables, perdus et en voie de désocialisation, dans l’univers de la radicalité religieuse ou celui de la francophobie. Car ces mots, émis par des personnalités politiques influentes, sont les mêmes que ceux véhiculés par les dévots exaltés tentant de convaincre leurs ouilles, vaille que vaille, que la France est l’ennemi résolu de l’islam et des musulmans. Dans un contexte marqué par une menace terroriste toujours réelle, il serait bon de faire preuve de discernement en évitant d’enflammer et d’exciter les esprits.

Dans quelle mesure de tels propos peuvent-ils illustrer à la fois l'essentialisation des populations musulmanes (qui ne veulent peut-être pas toutes porter l’abaya) et le mépris (potentiellement inconscient) que peuvent leur porter ces figures politiques, prêtes à tirer une croix sur la laïcité à la française ?

L’essentialisation de la composante musulmane de notre société est avérée dès lors que ces propos font fi de l’hétérogénéité de l’islam de France caractérisé par une multitude de façons de vivre le rapport à Dieu, ou de ne pas le vivre car, on le sait, l’athéisme « musulman » est aussi une réalité, fruit de cette interaction – passionnée – entre l’islam venu d’Orient et la culture française profondément marquée par un processus de sécularisation qui s’est amplifié après le siècle des Lumières. Oui, toutes les jeunes françaises ne portent pas l’abaya ; tant s’en faut. Aussi, il serait plus juste de la part de ces figures politiques de préciser que c’est la fraction ultra-conservatrice de l’islam de France qui est ciblé et en aucun cas les « populations musulmanes ».

Il est regrettable, une fois encore, que les débats en France autour de la question de l’islam soient à ce point passionnels car cela empêche l’émergence d’une réflexion distanciée et mesurée si nécessaire au débat sur la laïcité. Aussi, pour une partie de nos concitoyens de confession musulmane, cette laïcité est vue comme un outil de répression contre leur croyance. D’ailleurs ne sont-ce pas des élus – de gauche - qui le clament haut et fort ?

Quand la gauche prétend d’une telle décision qu’elle permet à l’exécutif de tenter “de prendre le RN par la droite”, ne joue-t-elle pas à se faire peur ?

Nombre de responsables politiques de droite comme de gauche se livrent à une surenchère lorsque le sujet de l’islam est abordé. Ainsi, à droite, on s’évertue à expliquer que derrière l’abaya se trouve la main de l’islamisme qui essayerait de tester les limites de notre République. C’est bien méconnaitre la réalité de l’islam de France et de ses jeunes adeptes. Que ce soit le voile ou l’abaya, les filles et les femmes qui le portent ne font que se conformer à une lecture conservatrice de la religion élaborée par les théologiens classiques des premiers siècles de l’islam. Les islamistes n’ont strictement rien inventé de ce point de vue-là. Voile et tenue ample ont connu un nouvel engouement après l’émergence et la très large diffusion, à l’échelle planétaire, du wahhâbisme saoudien, courant sectaire et intolérant de l’islam sunnite. Dès la fin des années 1960, ce courant ultra-rigoriste, voire extrémiste, de l’islam a métamorphosé le monde musulman, avec le soutien implicite des États-Unis ravis de voir fleurir une idéologie religieuse capable de contrer le panarabisme laïque et surtout pro-soviétique. Les islamistes ont aussi contribué, cela va de soi, à la transmission de cette lecture intégriste de l’islam. Un demi-siècle plus tard, avec la démocratisation du net, de jeunes françaises, issues de familles musulmanes, redécouvrent la foi via des sites d’obédience salafiste, souvent hostiles aux islamistes et en particulier aux Frères Musulmans. Bref, cette réalité-là, celle des « born-again » de l’islam de France, est totalement méconnue par nos élites politiques de droite et de gauche. Aussi, à droite, trop souvent, à la réalité, on préfèrera cultiver des lieux communs fleurtant avec une forme de complotisme et de simplisme en insistant sur la prétendue offensive de l’islamisme alors même que c’est l’islam, qui dans son interprétation classique, préconise le port du voile et de vêtements amples pour les femmes.

Que ce soit à droite, à gauche ou que ce soit l’exécutif lui-même, l’incapacité des responsables politiques à dire les choses simplement, et de façon dépassionnée, avec intelligence, nous enferment dans des discours déconnectés de la réalité. Car plus que l’islamisme, c’est la sclérose de la théologie islamique qui est à l’origine du mal profond.

Par suite, la gauche, tout comme le reste du spectre politique français, n’est pas en mesure de trouver des solutions viables en termes d’apaisement du débat national sur ces questions autour de la religion musulmane. Celle-ci – la gauche - joue sa partition et contribue, hélas, à l’hystérisation du discours politique relatif à l’islam à travers un discours marqué par la victimisation et l’essentialisation. Aussi, il n’est pas exclu que le Rassemblement National soit le grand vainqueur de ce jeu de dupes. Car le déni du réel, qu’il soit de droite ou de gauche, tend à exaspérer les populations. Et, dans un contexte marqué par la peur de l’islam, cela ne peut que donner l’avantage à un parti comme le Rassemblement National.

Certains, au sein du PS notamment, ont tenu une ligne bien différente. "Notre boussole, c’est l’interdiction des signes ostensibles à l’école. Dès l’instant où l’abaya ou le qamis sont portés dans une dimension ostentatoire, alors il faut les interdire comme la loi de 2004 le permet, sans difficultés majeures", a ainsi affirmé Jérôme Guedj. Faut-il féliciter de tels propos, ou davantage s’étonner de leur caractère isolé à gauche ?

Ce qui est surprenant, en réalité, c’est la dimension obsessionnelle de ce sujet. Nous en parlons trop et souvent trop mal. L’ignorance, la démagogie et l’outrance verbale semblent constituer la boussole du débat public sur l’islam de France. Cela étant dit, il importe de rappeler que la religion musulmane interdit les comportements ostentatoires. La foi, selon cette religion, est basée sur un rapport sincère et intime à Dieu ; ce qui exclut les comportements ostentatoires considérés comme relevant de l’hypocrisie religieuse. Ainsi donc, une jeune femme qui porte le voile et un vêtement ample de type abaya le fait dans une optique non ostentatoire, selon la théologie musulmane. Cela montre à quel point le sujet est complexe car la loi de 2004 interdit les signes ostentatoires qui, aux yeux des intéressées, ne le sont pas. Bien au contraire ! Pour les musulmanes portant ces tenues-là, l’objectif est de plaire à Dieu et uniquement à Dieu. Aussi, une partie d’entre elles se sentent persécutées et ce d’autant plus qu’elles entendent des personnalités de gauche abonder en ce sens.

Face à cette situation, nous aurions dû, collectivement, et par la pédagogie, tenter de discuter calmement afin de dissoudre les moles d’incompréhension. Au lieu de cela, nous avons sombrer collectivement, depuis des décennies, dans des discours hystériques, chargés de passions aggravées par l’ignorance endémique et le poids d’une histoire coloniale instrumentalisée de toute part. Aujourd’hui la question n’est pas tant de savoir si tel responsable de gauche tient un discours isolé ou pas mais plutôt de réfléchir à une thérapie nationale dont l’objectif serait l’unité de la nation française mise à mal depuis la première affaire du voile islamique de Creil en... 1989.

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