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Khloé Kardashian / Meghan Markle, même combat : honni qui mal y pense.
Khloé Kardashian / Meghan Markle, même combat : honni qui mal y pense.
©Jean-Baptiste Lacroix / AFP

Interdiction de douter de ce que je suis

Une vieille photo non retouchée de Khloé Kardashian a été massivement partagée sur les réseaux ces derniers jours. La star et son entourage ont cherché à la faire supprimer. Les célébrités n’hésitent pas à mettre en avant leur vie privée en vue d’en retirer des avantages financiers tout en refusant à quiconque le droit d’émettre des doutes sur ce qu’elles racontent. L’intérêt général est-il en net recul face à la montée du droit des individus ?

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Khloe Kardashian, l’une des sœurs de Kim a provoqué une tempête sur les réseaux sociaux cette semaine. Un assistant de la famille a publié par erreur une photo non retouchée de la jeune femme en bikini prise par sa grand-mère lors du week-end de Pâques. De quoi constater qu’au naturel, Khloe ne ressemble pas franchement aux photos glamour qu’elle publie à jet continu sur Instagram et autre réseau social... Les avocats de la famille Kardashian ainsi que son armada de chargés de communication sont entrés en ordre de bataille pour intimer à tous l’ordre de retirer la photo. Argument invoqué : le droit de la jeune femme à son image et à son corps. Mais où se trouvent les limites des droits de l’individu face à ceux de la collectivité puisque l’image du corps des femmes véhiculée par les Kardashian finit par impacter l’idée même de la normalité que se font nombre de jeunes gens ?

Bertrand Vergely : On s’interroge sur la place du droit dans l’affaire Kardashian qui secoue actuellement l’actualité.  La réponse est simple : dans cette affaire le droit est bafoué, que ce soit par Khloe Kardashian, par les réseaux sociaux et par l’attitude de Khloe Kardashian à propos des réseaux sociaux. 

Pendant un certain temps, Khloe Kardashian a été le droit et le droit  s’est confondu avec elle, Khloe Kardashian.  Au nom du droit absolu  pour l’individu de faire ce qu’il veut, droit sacré aux États Unis, Khloe Kardashian s’est donné 1. le droit à l’impudeur et à l’exhibition 2. le droit de faire de la femme un objet sexuel 3. le droit d’enflammer l’imaginaire des garçons et des filles au risque de les perdre dans une multitude de fantasmes 4. le droit de faire passer le faux pour le vrai en faisant prendre des photos d’elle truquées pour de vraies photos. Au nom du droit individuel de faire ce qu’elle veut, Khloe Kardashian  n’a respecté ni la morale, ni la femme, ni les jeunes, ni la vérité. Faisant la maline en bikini, elle s’est moquée du monde en profitant de la déliquescence collective.

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Dans le même temps, les réseaux sociaux ne valent pas plus cher. Au nom de la liberté d’expression, ils ont 1.incité Khloe Kardashian à s’exhiber 2. incité à faire de la femme un objet sexuel 3.  incité à enflammer l’imaginaire collectif 4.  incité à mentir en fabriquant des photos retouchées présentées comme vraies.  Au nom de la liberté d’expression, ils n’ont respecté ni la morale, ni la femme, ni la jeunesse, ni la vérité. Comme Khloe Kardashian, ils se sont moqués du monde.

Actuellement, dans le conflit qui oppose Khloe Kardashian aux réseaux sociaux, au lieu de se calmer, ce jeu éhonté avec le droit s’emballe. Continuant de se donner tous les droits Khloe Kardashian ose 1. prétendre qu’elle est une victime, 2. réclamer un droit au respect de sa vie privée 3. réclamer que les réseaux sociaux  interdisent de montrer son image 4. réclamer un retour au mensonge.

De leur côté, les réseaux sociaux avancent 1. Que les images leur appartiennent 2. qu’ils ont un droit absolu sur celles-ci 3. qu’il en va de la liberté d’expression  4 qu’ils sont les garants de la démocratie. Si Khloe Kardashian n’hésite pas à dire que le droit c’est elle, les réseaux sociaux n’hésitent pas à dire que le doit c’est eux.

On se demande où est le droit. La seule loi qui règne actuellement dans le monde des réseaux sociaux et de la communication est celle de la jungle. Tant que le jeu lui a été favorable, c’est Khloe Kardashian qui a fixé les règles. Aujourd’hui, à sa grande surprise, ce n’est plus elle mais les réseaux sociaux qui fixent les règles. Demain, une nouvelle personnalité surgira et fixera de nouvelles règles avant qu’elle ne perde ce pouvoir au profit des réseaux sociaux et ainsi de suite. Si on veut que le droit soit respecté, il n’y a qu’un seul moyen : que l’on arrête d’aller s’exhiber sur les réseaux sociaux et que les réseaux sociaux arrêtent d’inciter le monde à s’exhiber. Tant que tout le monde s’exhibera, tant que les réseaux sociaux inciteront à s’exhiber, le droit sera bafoué. Le monde de la communication est un monde de requins. Si on ne veut pas être victime de ces requins, il ne faut pas y aller. Si on y va en pensant que l’on pourra être plus requin que les requis, il faut savoir que tôt ou tard on sera dévoré par des requins plus requins que soi.  Quand on rentre dans la chaîne de la prédation, on s’imagine que l’on  peut être celui qui va dévorer tout le monde.  Il faut savoir qu’u  jour on sera dévorée, un prédateur rencontrant toujours un jour ou l’autre un plus prédateur plus prédateur que lui. Khloé Kardachian a cru pouvoir indéfiniment dévorer le monde. Aujourd’hui, c’est elle qui est dévorée. La dévoreuse est devenue la dévorée comme l’arroseur devient un jour l’arrosé.

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Ces dernières années ont vu l’émergence de célébrités qui n’hésitent pas à mettre en avant leur vie privée en vue d’en retirer des avantages financiers tout en refusant à quiconque le droit d’émettre des doutes sur ce qu’elles racontent. On a ainsi vu au Royaume-Uni, des journalistes être licenciés de leurs médias pour avoir douté de la version présentée par Meghan Markle de ses quelques mois passés au sein de la famille royale britannique. Entre le respect dû aux ressentis de catégories qui se vivent comme victimes, minorités ethniques, religieuses, sexuelles et le droit de la collectivité à mesurer la réalité des discriminations vécues, comment construire un équilibre ? L’intérêt général est-il dissous par la montée du droit des individus ?

Bertrand Vergely : Un point relie l’affaire Kardashian à l’affaire Markl : le rapport à la vérité. En l’occurrence sa destruction

Khloe Kardashian diffuse des photos d’elle qui sont des truquages. Il apparaît que ce sont des truquages. Elle est furieuse. Elle entend pouvoir mentir en toute tranquillité. Au nom du respect de la vie privée, elle réclame que la vérité soit supprimée. Megan Markl fait le spectacle à l’occasion d’une interview. Dans ce spectacle, elle fait de la vérité un spectacle. On pense que c’est un spectacle. Elle est furieuse. Elle entend pouvoir faire de la vérité un spectacle en toute tranquillité. Au nom de la vérité, elle réclame que le spectacle de la vérité ne soit pas un spectacle mais la vérité. Megan Markl entend pouvoir dire qu’un spectacle n’est pas un spectacle mais la vérité comme Khloe Kardashian entend pouvoir dire que des images truquées sont vraies.  À la différence de Khloe Kardashian, elle  rajoute un élément  de taille : le racisme.  La famille royale britannique est raciste. Et, elle Megan, est victime de ce racisme. Cela corse l’affaire.

Quand Megan Markl parle du racisme de la famille royale britannique, est-on dans la vérité ? Ou est on dans le spectacle ? La question est indécidable et sera toujours indécidable. Lorsque Megan Markl se dit victime du racisme de la famille royale britannique, elle parle d’un scandale qui est vrai et qui est le racisme. En même temps, elle en fait un spectacle, la révélation du racisme de la famille royale britannique étant le clou de l’interview. D’où un cercle impossible à trancher. Si on dit que l’interview de Megan Markl est du spectacle, celle-ci aura toujours beau jeu de dire que l’on est raciste, le racisme n’étant pas du spectacle. Et si on prend l’interview de Megan Markl pour la vérité, on acceptera que la vérité soit un spectacle et que le racisme soit utilisé  pour faire un spectacle. Dans tous les cas, on ne respectera ni la vérité ni le racisme.  D’où le passage à la violence.

Megan Markl ayant besoin que son interview passe pour la vérité mais ne pouvant y parvenir parce que c’est faux, pour imposer son interview comme étant la vérité, elle fait ce que l’on fait toujours dans ces cas là à savoir : 1. clamer haut et fort son innocence en déclarant que ce que l’on dit est vrai parce qu’on le dit 2 faire intervenir ses réseaux d’amis bien placés pour faire taire les journalistes impertinents en les expulsant.

On se demande où se trouve l’équilibre entre la vérité individuelle et la vérité collective. Jusqu’où la vérité individuelle peut-elle aller ? Il faut savoir que la vérité individuelle qui réclame d’être reconnue ne s’arrête jamais et ne veut en aucun cas trouver un équilibre avec la vérité collective. Son désir étant que l’on parle d’elle en permanence, celle-ci a l’art de trouver toutes sortes de raisons de se déclarer victime afin qu’on entende parler d’elle. On parle de vérité collective. On rêve. La vérité collective n’existe pas. Il n’y a jamais que des vérités individuelles qui prennent le pouvoir en se faisant passer pour collectives. Dans l’affaire Khloe Kardashian, que ce soit Khloe Kardashian ou les réseaux sociaux, tout le monde se moque du droit. Dans l’affaire Megan Markl, tout le monde se moque de la vérité. Khloe Kardashian est furieuse parce les réseaux sociaux ne lui obéissent pas. Elle a qu’à ne pas s’exhiber dans ces réseaux. Megan Markl est furieuse que l’on puisse douter de sa sincérité quand elle fait des interviews spectacle. Elle a qu’à ne pas en faire. On ne peut à la fois avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière. Quand on fait la maline le à travers des interviews spectacle dans un monde de requins et de loups, on tombe toujours sur un requin ou un loup.

Quel impact politique ont ces accumulations d’affaires qui visent finalement à définir ceux qui auraient le droit de tout dire sans être contredits et ceux qui n’auraient plus que le droit de se taire ou d’acquiescer ? 

Bertrand Vergely : Les affaires Kardashian et Markl donnent l’impression de conforter la domination des dominants  qui ont tous les droits au détriment des dominés qui n’en ont aucun sinon celui de se taire. on regrette qu’il en soit ainsi. Qu’on se console. Dans cette affaire, ce qui triomphe, c’est surtout le spectacle. C’est lui qui sort gagnant en décidant une fois de plus du jeu politique. Ne croyons pas que les dominants sont aussi dominants qu’ils le paraissent et que les dominés sont aussi dominés qu’on le croit.

Les dominants sont ils si dominants que cela ? Non. La preuve. Ils ne font pas ce qu’ils veulent de leur image ou de leur discours. Ils aimeraient pouvoir toujours tout contrôler et être toujours crus quand ils parlent. La réalité des réseaux sociaux et du monde médiatique montre que l’on ne contrôle jamais son image comme on le souhaite et que l’on n’est jamais cru comme on aimerait l’être. Quand on va dans les réseaux sociaux et dans les medias, on est toujours roulé dans la farine, les réseaux sociaux et les medias ayant l’art de fabriquer des idoles et de les détruire en déchirant ce qu’elles ont adoré et fait adorer.

Les dominés sont ils si dominés que cela ? Non. Les Khloe Kardashian et les Megan Markl, ils adorent. Ils en redemandent. C’est parce qu’ils adorent et qu’ils en redemandent que les medias et les réseaux sociaux fabriquent des Khloe Kardashian et des Megan Markl. Les dominés sont certes dominés, mais ils sont aussi ceux qui dominent ceux qui les dominent en les incitant à jouer la comédie de la domination.

On s’interroge sur l’impact politique de ce jeu pervers. Cet impact est simple : c’est le spectacle qui sort gagnant. C’est la comédie sociale et politique qui triomphe. C’est elle qui a toujours triomphé et qui triomphera toujours. Parce que le monde adore regarder le monde comme un spectacle en s’enchantant de son propre regard à l’occasion de ce spectacle. Le monde est une caverne où tout le monde regarde, le spectacle qui a lieu dans le fond de la caverne en le prenant pour la lumière. Cela a été dit il y a deux mille-cinq-cents ans par Platon. Nul besoin d’aller retoucher cette vérité comme Khloe Kardashian retouche ses photos. Nul besoin non plus de soutenir cette vérité en faisant jouer ses relations pour certifier qu’elle est vrai. Elle se défend très bien toute seule et elle ne prend aucune ride au cours du temps.

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