Joe Biden sera-t-il le 4e président des Etats-Unis à faire face à une procédure d’impeachment ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Joe Biden
Joe Biden
©Drew Angerer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Mise en accusation à l'horizon ?

Les Républicains y songent, mais pourraient ne pas passer à l'action.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Le chef des républicains à la chambre, Kevin McCarthy, envisage de lancer une procédure d'impeachment contre Joe Biden. Est-ce possible ?

Jean Éric Branaa :  La Chambre des représentants étant contrôlée par les Républicains et le Sénat étant à majorité démocrate, les Républicains ont intérêt à essayer de faire de la mousse, si l’on peut dire, pour montrer qu'ils font quelque chose. En effet, ils n'ont aucun pouvoir de décision. En ne contrôlant que la Chambre, ils ont des pouvoirs sur les questions financières, mais c'est à peu tout. Leur seule possibilité est donc de proposer des projets de loi qui vont plaire à leur camp, sachant que même s'ils les votent, ces projets de loi seront bloqués au Sénat.

C'est exactement la même chose pour l'impeachment. C'est une procédure qui ressemble à une procédure juridique dans laquelle la Chambre des représentants peut mettre en accusation qui elle veut au plus haut niveau de l'État américain (président, vice-président, députés, sénateurs, juges, etc.). Elle peut les mettre en accusation, mais c’est le Sénat qui organisera le procès et qui décidera par un vote si l'accusation est fondée pas et si la personne accusée doit être condamnée, c'est-à-dire démise de ses fonctions. Or, vous avez bien compris qu’un Sénat Démocrate ne votera jamais la destitution de Joe Biden.

Ce que les Républicains veulent, c'est rendre la monnaie de leur pièce aux Démocrates pour les deux impeachments de Donald Trump, et ternir l'image de Joe Biden. Qu'il s'en sorte ou pas, il restera l'idée qu'il aura fait quelque chose de grave. C'est le fameux proverbe « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. » C'est exactement la technique des Républicains aujourd'hui. Les uns et les autres sont dans un jeu de poker menteur et essayent d'utiliser les armes politiques qu'ils ont à leur disposition pour affaiblir le camp d'en face avant le grand match de 2024.

Même en sachant que l'impeachment n'a aucune chance de passer au Sénat, les Républicains pourraient-ils malgré tout décider d'enclencher la procédure officiellement et pas seulement de la brandir ?

Jean Éric Branaa : C'est déjà le cas. La Républicaine Marjorie Taylor Greene l'a déjà déclenché plusieurs fois. Et ce n'est pas la seule. Mais pour que la procédure passe, il faut que le président de la Chambre l’accepte. Elle passerait alors d'abord en commission d'enquête, puis l'acte d'accusation serait voté en plénière. Est-ce que les Républicains le voteraient ? Je pense que non. Ils ne trouveraient pas une majorité. C'est bien pour cela que McCarthy, à mon avis, ne s'engagera pas dans une telle action. S'il était sûr d'avoir la totalité des Républicains avec lui, il aurait tout à fait intérêt à le faire pour justement pouvoir dire : « Biden a été coupable de quelque chose », même si la procédure n’aboutissait pas. Aujourd'hui, c'est ce qui reste du mandat de Donald Trump. Même s'il a été acquitté deux fois, on ne parle pas de l'homme qui a été acquitté deux fois, mais de l'homme qui a été mis en accusation deux fois.

Je pense que beaucoup de Républicains ne voteraient pas l’impeachment, en tout cas pas suffisamment pour qu’ils atteignent la majorité. Tant mieux parce que cette arme, qui est une arme politique redoutable, ne doit pas être utilisée à tort et à travers. Elle doit être utilisée quand il y a un acte grave qui est commis. Or là, qu'est-ce qu'on « reproche » à Joe Biden ? L'affaire Hunter Biden, qui, on le sait, est pour partie fabriquée avec un premier témoin qui n'existe pas, un deuxième témoin qui est en fuite à l'étranger, accusé d'espionnage, et un troisième témoin qui a juré sous serment qu'il ne sait rien à propos de Joe Biden. C'est très difficile d'aller à l'impeachment avec zéro preuve et ensuite de se ridiculiser devant la nation.

Que reprochent précisément les Républicains à Joe Biden ?

Jean Éric Branaa : Pas grand-chose. Il s’agit surtout d’anathèmes. Mais ça s'appuie sur des faits réels. L’affaire ukrainienne est une série de fausses allégations selon lesquelles Joe Biden, alors qu'il était vice-président des États-Unis, aurait retenu une garantie de prêt pour faire pression sur l'Ukraine afin qu'elle licencie le procureur général Viktor Shokin, pour empêcher une enquête sur la corruption de la société gazière ukrainienne Burisma et pour protéger son fils, Hunter Biden, qui siégeait au conseil d'administration de Burisma. Le fait est que le parlement ukrainien a bien démis de ses fonctions Viktor Shokin. Et Joe Biden était bien chargé d'inciter l'Ukraine a lutter contre la corruption. Mais Shokin ne faisait pas d’enquête sur Burisma à ce moment-là – elle était plus ancienne – alors que Hunter Biden était membre du Conseil d'administration de l’entreprise. Donc, il n'y a pas de cause à effet direct, prouvé en tout cas. 

Toutes ces affaires datent de 2015. En 2016, le président élu, Donald Trump, qui pouvait nommer un conseiller spécial pour enquêter sur cette affaire, qui avait quatre ans pour le faire, ne l'a pas fait. Donald Trump s'est mis à en parler uniquement pendant la campagne de 2020. Ça n'a pas fonctionné sur le coup, mais ça a été repris après sa défaite. À partir de 2021, les Républicains se sont mis à répéter ces allégations en boucle sur les réseaux sociaux, sur Fox News, etc.

James Comer estime qu’il y a là un vrai scandale, mais il mélange un peu tout. Il critique notamment le salaire mirobolant que touche Hunter Biden à Burisma. Or, qu’un lobbyiste soit très bien payé pour un travail limité, ça n’a rien d’exceptionnel. Et que Hunter Biden ait utilisé le nom de son père pour pouvoir se faire de l'argent, n'est pas très étonnant non plus. C'est à peu près ce que font tous les gens qui ont un grand nom, à commencer par la famille de Donald Trump.

La différence, c'est que maintenant, un procureur spécial a été nommé par l'Administration Biden. Ce n'est pas rien, car ça veut dire que si Joe Biden a fait quelque chose, il peut s'inquiéter parce que le procureur spécial le trouvera car il aura les moyens. Ce que disent les Républicains, c’est que la commission d'enquête qui s'apprêtait à demander à entendre Joe Biden comme première étape avant l'impeachment ne peut plus le faire puisque désormais, l’affaire est – depuis la nomination du procureur spécial - dans les mains de la justice. Ils crient au scandale en disant que les démocrates ont nommé ce procureur pour les empêcher d'arriver à la vérité avant les élections, sachant que le temps judiciaire est plus long que le temps politique. 

Devon Archer aurait déclaré qu'Hunter Biden a plusieurs fois appelé son père lors de réunions avec des associés mais que la discussion en était restée à des sujets non-professionnels. Qu'en penser ?

Jean Éric Branaa : Devon Archer a été entendu par la commission Oversight mise en place par la Chambre des représentants. Le président de cette dernière, James Comer, a déclaré en sortant de cette commission qui était à huit clos que « Devon Archer nous a dit que Joe Biden était coupable parce qu'à 20 reprises, il a été mis sur haut-parleur lors de réunions professionnels de Hunter Biden, ce qui prouve qu’il utilisait son influence de vice-président des États-Unis ». Or, ce qui s’est passé est un peu différent. Devon Archer a expliqué qu’une vingtaine de fois sur une période de dix ans, Hunter Biden a mis son père en haut-parleur lors de réunions lorsque ce dernier l’appelait – ce qu’il fait tous les jours. On lui a alors posé la question : « Est- ce que ces appels avaient un rapport avec les affaires d'Hunter Biden ? » Il a répondu : « Non, je n'ai rien entendu de tel ; à aucun moment ça n'avait de rapport avec les affaires ». Il a dit sous serment : « Pour moi, Joe Biden n'a rien fait ». Ça, Comer l'avait oublié dans son récit. Comment on le sait ? Car il y avait également dans la commission des Démocrates qui ont raconté cette version. Comme il y avait deux versions contradictoires, ils ont demandé à ce que le verbatim de l’audition soit publié. Depuis, plus personne ne parle de cette histoire.

En résumé, on n'a pas eu une affaire mirobolante contre Joe Biden. C'est aussi pour ça que les Démocrates actuellement disent « Mais lancez votre impeachment ». Mais, la nomination du procureur spécial est même une bonne affaire pour les Républicains, parce que même s'ils disent que ça les empêche d'aller au bout de leurs accusations, en même temps, ça leur permet de les entretenir jusqu'à l'élection.

Mais le fait qu’il y ait une affaire Hunter Biden suffit à pénaliser Joe Biden avant l’élection, non ?

Jean Éric Branaa : Totalement. Quand vous regardez l'agressivité qui se déchaîne sur les réseaux sociaux, c'est souvent autour d'Hunter Biden. Or, ce n'est pas le type le plus exemplaire de la terre, mais c'est un citoyen lambda. Ce n'est pas quelqu'un qui a été élu et qui détient du pouvoir de la part des électeurs. À vrai dire, au niveau collectif, on se moque d’Hunter Biden. C'est une affaire de justice, pas de politique. Car jusqu'à preuve du contraire, ça ne touche pas son père. Mais vous avez raison, les opposants à Joe Biden se servent de ça en se disant que ça va le salir. Ça prouve que cette campagne va être extrêmement sale. La preuve, à un an de l'attaque générale, on est déjà dans ce genre d'affaires.

Abandonner cette idée de l’impeachment, pour les Républicains, ne serait-ce pas donner à leurs électeurs l’impression qu’ils laissent couler quelque chose qu'ils devraient lui reprocher ?

Jean Éric Branaa : Je ne pense pas. Ceux qui sont convaincus qu'il y a une affaire Hunter Biden qui touche son père le seront jusqu'à l'élection. Aujourd'hui, les électeurs s’enferment dans cette idée à cause de gens qui ne cessent de reprendre cette thématique dans leurs discours, dans leurs attaques, dans leurs tweets. Les gens sont convaincus que si ces gens très sérieux en parlent, c'est que c'est vrai. En France, on se dirait « S'ils le disent, c'est que c'est forcément vrai. Sinon pourquoi on ne les enferme pas ? » Mais il y a une liberté d'expression totale pour les élus aux États-Unis, où il est très difficile de faire condamner quelqu’un pour diffamation. Quand James Comer, qui est le président de la commission House Oversight and Accountability Committee, qui s'occupe de cette affaire à la Chambre, a dit après l'audition à huis clos de Devon Archer la semaine dernière que ce dernier a accusé Joe Biden, ça a été repris sur les réseaux sociaux avec une violence extraordinaire. Les conseillers démocrates ont dû demander la publication du verbatim du témoignage. Et on a vu que Devon Archer avait dit exactement le contraire. Mais qui a lu les 140 pages ? Il faudrait qu'un anti-Biden les lise et dise « Finalement, on s'est trompé. » Ça n'arrivera pas.

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