Israël face à la guerre la plus longue de son histoire <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou lors d'une conférence de presse.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou lors d'une conférence de presse.
©YIANNIS KOURTOGLOU / POOL / AFP

7 octobre

Lors du déclenchement de l'offensive terrestre à Gaza, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a annoncé que la guerre sera « longue et difficile ». Vaincre le Hamas est un « défi existentiel » non seulement pour Israël, mais pour « toute la civilisation occidentale », selon lui.

François Chauvancy

François Chauvancy

Le général François Chauvancy est consultant en géopolitique. Il est aussi l'auteur de « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ».

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Gideon Kouts

Gideon Kouts

Gideon Kouts est professeur émérite de Civilisation et communication juives et hébraïques modernes et contemporaines à Paris 8.

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Atlantico : Le 28 octobre, Tsahal a entamé ce que Benjamin Netanyahu a appelé « la deuxième étape de la guerre », c'est-à-dire l'invasion terrestre. Le premier ministre israélien a prévenu que cette phase serait difficile et longue. Cette invasion terrestre, elle mobilise combien d'hommes et combien de temps ? Expliquez-nous la tactique militaire ?

François Chauvancy : L'objectif à atteindre est la destruction des infrastructures du Hamas : que ce soit dans sa composante physique, c'est-à-dire les installations (tunnels compris) ; mais aussi dans sa force combattante en incluant, l'élimination des chefs militaires. Pour atteindre cet objectif, les moyens mis en place aujourd'hui représentent environ 500 000 hommes et femmes, toutes forces confondues (armée de Terre, marine, armée de l’air). 350 000 Israéliens ont été mobilisés essentiellement au profit de l’armée de Terre.

il s’agit pour l’armée israélienne de faire face à trois fronts. L’effort principal de Tsahal se porte aujourd'hui sur Gaza. C’est le front actif. L’armée israélienne évolue avec des appuis aériens, un appui naval et des forces terrestres qui vont nettoyer le terrain. Une partie de ses troupes sont aussi en vigilance au Nord d’Israël, face au Sud du Liban, et à l'Est face à la Cisjordanie où effectivement, il peut y avoir des risques de débordements. 

Gideon Kouts : Il faut rappeler et constater qu’Israël est resté un pays en état de guerre permanent, tant que les menaces existentielles n’ont pas cessé. Il suffit de voir, par exemple, l’importance de son budget militaire, ainsi que l’organisation et les structures d’urgence (qui se sont exprimées, par exemple, pendant la crise du COVID) pour confirmer ces constatations. Le processus de privatisation de l’économie et son ‘désétatisation’ relative ont quelque peu modifié cette ‘réalité Spartiate’ mais n’ont pas changé l’essentiel.  Quant à la préparation de la société à une guerre longue- à part la question psychologique d’une éventuelle lassitude de certains et de la ‘qualité’ des dirigeants, elle y est préparée. L’union politique nationale immédiate dans un pays démocratique, et récemment très divisé, en est une de ces preuves.

Cependant, il serait inexact de définir l’actuelle Guerre de Gaza comme la guerre la plus longue de l’histoire de l’Etat d’Israël. Déjà la Guerre de l’Indépendance suite à l’attaque de l’Etat naissant a duré au moins huit mois du 14 mai 1948 au janvier 1949 ; la « Guerre d’Usure » le long des positions israéliennes face à l’Egypte et la Syrie a duré trois ans et deux mois du 11 juin 1967, au lendemain de la victorieuse Guerre des Six jours et jusqu’au 7 août 1970 (elle a atteint son paroxysme en 1969-70.)

L'invasion terrestre, cela signifie des pertes humaines sur le terrain. Comment le vivent les familles israéliennes ? C'est un moment qu'elles attendent ou qu'elles redoutent ? 

Gideon Kouts : C’est toujours un moment redoutable ; malheureusement la société israélienne y a fait face plusieurs fois dans le passé.

Combien de temps l’armée israélienne peut tenir Gaza au sol ? Pour l'instant, ce sont des incursions. Que va-t-il se passer sur le terrain ? Qu’est-ce que nous allons voir ? 

François Chauvancy : Cette opération se présente sous la forme vraisemblable d’une progression graduée. Il n’y aura pas de grande offensive parce que le terrain ne s’y prête pas. La bande de Gaza est fortement urbanisée accueillant 70% des Gazaouis. Les destructions des bâtiments et leurs gravats entravent les mouvements des unités notamment blindées.

Ensuite, des forces trop importantes seraient forcément des cibles pour toute action de guérilla urbaine. Il y a cette idée de mettre des colonnes interarmes de la valeur sans doute d’un groupement tactique comprenant environ 1000 hommes, 50 à 100 chars de combat et véhicules de transport de troupes, des unités du génie pour déminer ou déblayer les destructions, tous protégés par du blindage, avec des appuis-feux en artillerie. Ils vont s'engager dans les quartiers pour les sécuriser au fur et à mesure. Cette action est graduée à partir de ces reconnaissances offensives qui visent à identifier les points de résistance du Hamas, de les détruire rapidement, de se replier pour éviter toute contre-attaque. Le risque pour les Israéliens, c’est en effet de rester longtemps dans la même zone, en en faisant des cibles pour le Hamas dont on ne sait pas trop, dans Gaza, d’où sortent notamment leurs tunnels.

On parle aussi d'un certain nombre de commandos qui sont infiltrés, ce qui est normal. Ils font du renseignement : où se trouvent les combattants du Hamas ? Les tunnels ? Les otages ? Ils évaluent aussi les résultats des frappes. Les frappes aériennes ou d’artillerie ont-elles été efficaces ou pas ?

Quand Benjamin Netanyahou dit que ça va être difficile et long, il parle de quoi ? Des opérations terrestres au sol ou de la guerre dans sa globalité ?

François Chauvancy : C'est difficile à dire, surtout en zone urbaine avec un ennemi qu’on ne connaît pas vraiment. Pour l’instant, personne n’est capable de confirmer la réalité des effectifs ou des équipements dont dispose le Hamas. On ne sait pas par exemple s'ils sont des milliers ou des dizaines de milliers de combattants. On ne sait pas de quoi ils sont équipés : disposent-ils d’armements qu'on ne connaît pas et que le Hamas a gardés en réserve pour bénéficier d’un effet de surprise ? On n'en sait rien. Est- ce que la combativité du Hamas est à l'image de ce qu'il exprime dans sa « communication » ? Ce sont des questions qu'on doit se poser et c’est ce qui explique la prudence de la progression de Tsahal. Pour l’instant, il y a des affrontements mais ce sont des « combats de rencontre » si j’ose dire ou d’opportunité.

Un précédent historique prévaut par ailleurs. Le Hamas peut-il refaire le coup du Hezbollah en 2006, où les Israéliens ont été extrêmement surpris de se retrouver face à un ennemi qui n'était pas que des miliciens mais des combattants organisés, enterrés, bien équipés et qui, dans des situations défensives favorables, ont mis en échec l'armée israélienne. Est-ce que ce n'est pas le même risque qui pourrait survenir à Gaza ?

En résumé, cela signifie-t-il que le Hamas va être détruit ? Non mais déstructuré et affaibli oui, sachant que son idéologie persistera. Donc finalement, la guerre longue dépendra de la réalité de l'adversaire. Une guerre longue se compte-elle en semaines ? en mois ? en années ? Cela dépendra de la valeur combative du Hamas. On a des expériences comme à Mossoul et Falloujah en Irak où cela a été très long parce que c’est un combat maison par maison, quartier par quartier où la surprise tactique existe. 

La guerre longue, c'est un but politique ? 

Gideon Kouts : Non, c’est un but militaire et sécuritaire par excellence. Néanmoins les autorités peuvent être accusées par certains de  "machiavélisme" à force de vouloir reporter la constitution de commissions d’enquête concernant les évènements du 7 octobre- ce qui parait plutôt ‘tiré par les cheveux’…

Quels sont les risques pour l'armée israélienne, justement ? Beaucoup de pertes ? 

François Chauvancy : Oui, tout à fait, comme dans tous les combats en zones urbaines. Le terrain est très préparé par l'aviation et l'artillerie. La capacité défensive du Hamas va être fortement amoindrie m ais envisager l’éradication totale du Hamas me paraît un peu présomptueuse. En revanche atténuer fortement et durablement sa capacité de nuisance est à la portée des Israéliens.

Israël a aussi pour but de libérer ses otages. La société israélienne est-elle prête à payer tous les risques pour cette opération ? Ce sont des choix déchirants qu'il va falloir faire pour les récupérer ? 

Gideon Kouts : La question qui se pose n’est pas celle de prise de risques pour libérer les otages. L’armée y est prête avec l’aval de la société toute entière. C’est plutôt la question- faudrait-t-il renoncer à l’échange entre les prisonniers considérés comme terroristes détenus en Israël contre les otages israéliens ?- qui risque de poser problème et même de provoquer une déchirure au sein de la société, entre elle et le pouvoir.

Avec le Hamas aux commandes, peut- il y avoir un processus de paix ?

François Chauvancy : Je ne vois pas comment il peut y avoir un processus de paix dans le contexte actuel du conflit. À la date d’aujourd'hui, je ne pense pas que l'opinion publique israélienne soit prête non plus à négocier compte tenu des massacres du 7 octobre qui s’apparentent plus à un pogrom qu’à une opération militaire.

Le Hamas est par ailleurs un mouvement qualifié de terroriste notamment par les pays occidentaux. Un mouvement de résistance ne tue pas les civils. Outre un crime de guerre, le Hamas a commis une erreur stratégique dans son attaque du 7 octobre. Faire prisonniers des soldats israéliens, en éliminer une partie au combat auraient été compris comme des actes de guerre, de résistance. Cela aurait sans doute remis au premier plan la question palestinienne et aurait donné une forme de légitimité au Hamas dans sa revendication d’un Etat palestinien. La volonté de détruire Israël et de tuer les juifs a cependant été la plus forte.

En outre, il y a sans doute une séparation entre la branche militaire à Gaza et la branche politique accueillie à Doha (Qatar), seule négociatrice « légitime » mais  éloignée géographiquement. La branche militaire a surtout pris une place majeure avec cette guerre à Gaza même.

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