Interdire le doute et forcer une vérité officielle : ce préoccupant défi à la rationalité scientifique posé par Emmanuel Macron<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans quelle mesure la prétention à une vérité scientifique indépassable fait peser une menace sur la science même ?
Dans quelle mesure la prétention à une vérité scientifique indépassable fait peser une menace sur la science même ?
©LOIC VENANCE / POOL / AFP

Anti scientifique 

On peut croire à la chance formidable que représente la vaccination et s’inquiéter de la menace que la prétention à une vérité scientifique indépassable fait peser sur la science même. Et encore plus dans un pays qui s’est montré incapable de développer vaccin, traitement ou publication scientifique importante depuis les débuts de la pandémie. 

Jean-Paul Oury

Docteur en histoire des sciences et technologies, Jean-Paul Oury est consultant et éditeur en chef du site Europeanscientist. com. Il est l'auteur de Greta a ressuscité Einstein (VA Editions, 2022), La querelle des OGM (PUF, 2006), Manifester des Alter-Libéraux (Michalon, 2007), OGM Moi non plus, (Business Editions, 2009) et Greta a tué Einstein: La science sacrifiée sur l’autel de l'écologisme (VA Editions, 2020).

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Atlantico : Les données sur les vaccins témoignent de son efficacité contre le Covid, néanmoins il nest pas larme absolue présentée initialement et toujours vantée par le gouvernement, a fortiori face à Omicron. Dans quelle mesure la prétention à une vérité scientifique indépassable fait peser une menace sur la science même ? La science est-elle suffisamment irréprochable pour se prémunir de tout doute sur sa fiabilité ?

Jean-Paul Oury : Je vais commencer par rappeler des choses que j’ai déjà dites dans vos colonnes. Le vaccin est une découverte inespérée et on peut être reconnaissant à l’industrie pharmaceutique d’avoir pu être si réactive. C’est là que l’on voit l’importance de toute la démarche scientifique et technique qui accompagne la médecine.

Mais il faut rappeler que la science n’est pas la médecine et que même si la médecine a recours aux méthodes rationnelles de la science et de la technologie, elle reste avant tout un art qui s’appuie sur la science disponible. C’est une vérité que l’on a sans doute oublié, mais qui est d’autant plus flagrante quand on a à faire à une maladie nouvelle. Ceci explique également le fait qu’il y ait eu autant de contradictions, d’approximations et parfois d’ânerie racontées par des experts de très haute volée sommés de répondre en direct devant les caméras. Le physicien et vulgarisateur Étienne Klein a coutume d’expliquer cela en distinguant la science établie et la recherche scientifique, et c’est bien de le rappeler, mais il y a un autre distinguo qui compte et qui est celui que je viens de rappeler entre la science et la médecine. Il est important de relire l’œuvre de Georges Canguilhem à ce sujet. « Toute pathologie est subjective au regard de demain (…) toute science objective par sa méthode et son objet est subjective au regard de demain, puisque, à moins de la supposer achevée, bien des vérités daujourdhui deviendront des erreurs de la veille.»

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Il sagissait de rappeler que tout en sappuyant sur des sciences, la médecine nest pas une science, cest une technique fondée sur des propriétés vitales. Le fait est quon croit de plus en plus pouvoir réduire la médecine à la science, faisant passer au second plan la pratique du médecin et la subjectivité du patient. J’ai développé ce sujet en longueur dans une analyse de la controverse sur la chloroquine intitulée Didier Raoult, mauvais scientifique et bon médecin.

Dit autrement le fait est qu’on a à faire à du vivant et qu’il est compliqué de faire des prédictions : comme on l'a vu le virus mute sans arrêt et il touche chacun d’entre nous différemment. Cela ne veut pas dire qu’il faut s’en remettre à l’irrationalité bien au contraire, au sujet du Covid les homéopathes ont tout de suite sorti le drapeau blanc, cela veut dire qu’il faut essayer d’appliquer des méthodes rationnelles à une matière qui nous échappe sans arrêt (par exemple s’appuyer quand c’est possible, sur des études en double aveugle, plutôt que sur des études observationnelles). 

Ensuite, la prétention à une « vérité scientifique indépassable » dont vous parlez, ce n’est déjà plus tout à fait de la science, à moins que vous ne fassiez référence aux faits établis telles que les grandes théories qui jalonnent l’histoire des sciences (lois de la mécanique classique de Newton qu’on utilise encore pour envoyer des fusée dans l’espace, théorie de la relativité d’Einstein qui a permis de prédire des années à l’avance l’existence du trou noir de Messier 87 observé en 2019 seulement…). Mais la méthode scientifique veut justement qu’il y ait sur certains sujets encore débat chez les experts et le propre d’une affirmation scientifique étant comme l’a montré Popper, sa falsifiabilité.

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Mais là où nous avons un problème aujourd’hui, c’est que les politiques qui n’ont pas été toujours très favorables aux innovations scientifiques et techniques ont de plus en plus tendance à s’appuyer, quand ça les arrange, sur la science pour asseoir leur pouvoir et aimeraient parfois passer de l’étude ou du modèle scientifique sortie fraîchement du laboratoire à la loi clé en main. En effet, ils ont très bien compris que dans cette nouvelle agora où tout le monde peut se prétendre expert (ayant un accès facile à l’information et la possibilité de l’exprimer à un large public), la phrase magique « la science a parlé » avait quelque chose d’effrayant et qui permettait de terroriser l’interlocuteur. Greta Thunberg elle même en a usé, c’est dire. Aussi de plus en plus on observe chez les élus de gauche et de droite ce genre de discours qui s’appuie sur la science pour légitimer une action publique. C’est le cas pour les politiques sur le climat. Mais la pandémie de Covid nous fournit également un très bon exemple. Aux USA, par exemple, le Docteur Anthony Fauci qui n’a cessé également de se contredire a affirmé « je suis la science, si vous m’attaquez vous attaquez la science » …

Si on se penche sur cette question de la santé publique, il y a deux choses : l’efficacité des vaccins et l’obligation vaccinale. La première question relève des avancées de la recherche scientifique et médicale, et si elle ne semblait couler de source avant l’apparition d’Omicron, elle semble désormais de nouveau en débat chez les experts qui s’interrogent sur le calcul risque bénéfice. Le professeur Caumes, épidémiologiste, par exemple s’interroge désormais sur le fait de savoir si l’immunité naturelle n’est pas une option plus efficace que la stratégie vaccinale, pendant que le docteur Pelouze, chirurgien, dans vos colonnes défend inlassablement cette dernière. Et on voit bien au travers de l’existence de ces débats que les médecins doivent reprendre leur rôle et conseiller les patients et pas seulement réagir à chaud sur les plateaux TV.

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Partant de l’existence de tels débats et de l’observation des faits, le sujet de l’obligation vaccinale semble de plus en plus un sujet politique dont l’objectif est d’asseoir une autorité politique. La science et la médecine quant à elles sont loin d’avoir dit leur dernier mot au  sujet des vaccins.

Stigmatiser les non-vaccinés comme des personnes "à emmerder" plutôt que dentendre leur doute et dessayer de leur apporter les informations nécessaires est-elle une stratégie rationnelle ?

Pour tenir ce genre de discours il faut être irréprochable. Or rappelons tout d’abord qu’au début de la pandémie, il ne semble pas que le président Macron ait voulu soulever les montagnes pour développer une stratégie vaccinale ; c’est assez paradoxal car, comme on peut également le souligner, le président Trump, souvent présenté comme un antivax a tout fait pour faciliter à l’industrie pharmaceutique les recherches sur le vaccin et la mise en place de la stratégie vaccinale et quand il s’exprime aujourd’hui dans les médias c’est pour essayer de persuader les Américains de se vacciner tout en n’oubliant pas de dire qu’il comprend tout à fait ceux qui ne le souhaiteraient pas et qu’il ne peut et ne veut pas les forcer…

Mais revenons au président français. Outre son incrédulité et son manque d’engouement dans le passé (il avait aussi déclaré qu’il ne croyait pas à la vaccination obligatoire), le président Macron s’est illustré par plusieurs actions lors de son mandat qui nous éloignent particulièrement de la science et de la technologie, tout du moins dans leurs applications prométhéenne en enfourchant sans hésiter les chevaux de bataille de l’écologisme radical (voir à ce sujet notre ouvrage "Greta a tué Einstein") : c’est ainsi qu’on lui doit la fermeture de Fessenheim, l’abandon du projet Astrid ou encore des affirmations péremptoires sur la dangerosité du glyphosate et la sortie nécessaire des pesticides de synthèse - dont on sait qu’il s’agit d’une utopie. Cela parait compliqué après de venir se réclamer du camp de la « rationalité scientifique » pour stigmatiser les irresponsables qui refuseraient de se vacciner et les traiter de pseudo-scientifiques.

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Alors certes il est vrai qu’il existe une communauté anti-science et antivax solide qui colporte depuis des années maintenant balivernes et complots, mais il faut dire que les gouvernements n’ont jamais rien fait pour empêcher cela et parfois ils en sont même un peu responsables.

LEtat qui na jamais rien fait jusqualors contre la culture anti-science qui sest installée et na jamais rien fait également pour que le public regagne la confiance dans linstitution scientifique se trouve réduit à mettre en place un dispositif politique qui va encore davantage renforcer les croyances de ceux qui sopposent à la science et à la technologie prométhéenne et croient que tout est une histoire de lobbies.

Aussi, il ne sert à rien de stigmatiser les populations sur le vaccin ici, car nous n’avons pas affaire à un groupe homogène : à côté des antivax compulsifs se trouvent ceux qui ont fait un calcul risque bénéfice sur le fait de savoir s’ils ont plus d’intérêts à faire le vaccin qu’à ne pas le faire (et comme on l’a vu, on trouve des médecins à leurs côtés pour soutenir ce raisonnement)… En tout état de cause, pour ces derniers, larbitre devrait être une autorité médicale de confiance et non une mesure politique et étatique. Tout le monde sur ces sujets a le droit de sexprimer mais il faut ramener le respect à commencer par celui des vrais experts et des organismes de certifications. Ce n’est pas avec ce genre de déclarations de cow-boy de salon qu’on va y arriver.

En conclusion, je dirais que le jeune président s’est mis dans une situation paradoxale : il a stigmatisé des irresponsables, alors que rien n’est fait justement pour responsabiliser les individus, bien au contraire. Si on voulait mettre les patients face à leur responsabilité, il faudrait sortir de ce monopole de la sécurité sociale et donner à chacun la possibilité de choisir son assurance santé et voir ce que tout cela coûte. C’est encore la meilleure façon de responsabiliser les individus.

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En septembre, Emmanuel Macron a lancé la commission Gérald Bronner sur « Les Lumières à l’ère du numérique », chargée denquêter sur les « fake news ». Cette vision qui consiste à voir le monde de manière manichéenne entre la vérité et le mensonge, y compris sur le plan scientifique, est-elle une erreur de rationalité ? 

J’ai toujours eu du mal de mon côté à m’en prendre au « numérique » comme parfait coupable de la diffusion de la désinformation. Sans l’arrivée de l’Internet au début des années 2000, je n’aurai jamais pu rédiger ma thèse de doctorat en trois ans… Je n’aurai jamais pu disposer si facilement de toute l’information dont j’avais besoin. De nombreuses études montrent qu’une plus grande accessibilité de l’information est venue avec une perte de la qualité de celle-ci. A côté de cela se trouvent les nombreuses récupérations et autres manipulations idéologiques. Je l’ai moi-même montré dans "La Querelle des OGM" et plus récemment dans "Greta a tué Einstein", certaines ONG en ont profité pour manipuler l’opinion en utilisant des techniques d’agit-prop, pour faire passer des risques potentiels pour des dangers imminents, et le digital les a bien servi dans cette tâche qui était de déboulonner la science prométhéenne de son piédestal. C’est indéniable. Il n’en reste pas moins que je pense que le solde reste positif en faveur de l’information et du débat, même si le déficit  reste à surveiller. Comme j’aime le rappeler souvent à Laurent Alexandre qui stigmatise aujourd’hui la Giletjaunisation de la médecine, son invention Doctissimo a permis de faciliter au public l’accès à l’information médicale… et bien évidemment, cela a amené une contrepartie : chacun peut se croire expert et voir des complots partout. A la suite de ce flux d’information, on a vu émerger un tas de nouveaux symptômes avec lesquels luttent aujourd’hui les professionnels de la désinformation : loi de Brandolini, Ultracrépidarianisme, effet streisand…. J’adore Gérald Bronner quand il écrit sur ces sujets, aussi j’attends avec impatience son rapport.

Je reste toutefois suspicieux sur la démarche dans son ensemble… sans doute ma formation de philosophe attaché à l’esprit critique et conscient du fait qu’il faut distinguer dans le débat entre les controverses qui concernent les désaccords d’experts sur l’interprétation d’un même fait, et les polémiques qui regroupent les attaques ad hominem entre non-experts au sein de la sphère publique (voir "La Querelle des OGM").

Sachant que l’Etat peut être lui-même le premier pourvoyeur d’intoxication idéologique je me demande comment il peut fournir un critère pour les dénoncer ? Prenons un exemple, au début de la pandémie c’était une fake news absolue d’affirmer que le Covid pouvait sortir d’un laboratoire ; j’ai même publié un excellent papier de Philippe Lacoude à ce sujet qui démonte par A+B la thèse du professeur Montagner. Toutefois aujourd’hui en 2021, le Sénateur Ron Paul attaque Anthony Fauci pour qu’il reconnaisse qu’il a bien financé des recherches sur les gains de fonction du virus dans le labo de Wuhan, payées par le contribuable américain, ce qui pourrait rendre de nouveau crédible l’hypothèse selon laquelle le virus peut être issu d’un laboratoire… aucune preuve bien sûr mais un débat est en cours chez les parlementaires américains. En citant cet exemple, nous n’avons pas l’intention de trancher ou de prendre position, mais simplement de dire à quel point il est important que ce genre de débat puisse avoir lieu aux yeux du grand public sinon cela donne du grain à moudre aux complotistes et génère des « « irresponsables » ». Le problème récurrent étant : comment une même administration peut être à la fois juge et partie ? Certains auteurs de dystopie célèbres ont montré à quel point cela deviendrait compliqué si un jour on se retrouvait avec un Ministère de la vérité. Je pense qu’il faut rester attentif à ce genre de détail.

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