Institutions impuissantes et mal-être des Français : pourquoi le modèle républicain ne tient plus ses promesses <!-- --> | Atlantico.fr
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Gérard Mermet publie « Le Contrat vital. Pour un monde moral et durable » aux éditions Empreinte Temps présent.
Gérard Mermet publie « Le Contrat vital. Pour un monde moral et durable » aux éditions Empreinte Temps présent.
©PASCAL PAVANI / AFP

Bonnes feuilles

Gérard Mermet publie « Le Contrat vital. Pour un monde moral et durable » aux éditions Empreinte Temps présent. Notre monde est confronté à de nombreux défis. Les institutions apparaissent toutefois, impuissantes à les relever. Il semble que les individus-citoyens aient perdu confiance. Il conviendrait donc d'agir sur le levier de la morale pour rendre le monde responsable et durable. Extrait 1/2.

Gérard Mermet

Gérard Mermet

Gérard Mermet est sociologue, directeur du cabinet d’études et de conseil Francoscopie. Dernier ouvrage paru : Francoscopie 2030 (Nous, aujourd’hui et demain), Larousse, 2018.

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On observe un peu partout aujourd’hui que la vie collective est perturbée par des tensions, des affrontements, des violences, des incivilités, des agressions. Les sociétés se fractionnent en communautés distinctes, concurrentes, souvent irréconciliables en apparence. Les responsables politiques se succèdent mais ne parviennent pas à créer ou recréer une unité nationale.

Dans les régimes autoritaires ou totalitaires, les citoyens sont surveillés, bâillonnés, privés des libertés fondamentales. Des actes de violence, révolutions, coups d’État, ou guerres civiles se produisent, d’autres sont en préparation.

Dans les pays démocratiques, les institutions résistent un peu mieux, mais elles apparaissent de plus en plus fragilisées. La pandémie de Covid-19 a accéléré la tendance, croissante depuis des années, de mise en accusation des élites pour leur incapacité supposée à assurer la croissance économique, l’égalité et la sécurité des citoyens. Et, plus récemment, la protection de l’environnement et celle des libertés individuelles.

Dans de nombreux États, des mouvements populistes, « complotistes » et « antisystème » sont à l’œuvre, de façon spontanée ou organisée, souvent irrationnelle et irresponsable. Ils rendent improbable une réaction positive, commune et efficace aux difficultés présentes et à venir. Au contraire, ce sont les risques d’instabilité qui progressent, comme indiqué dans les pages précédentes.

N.B. Il n’est pas possible de passer en revue la situation des différentes zones géographiques de la planète, moins encore de chacun des pays. C’est pourquoi ce chapitre est centré sur la France, qui constitue un bon révélateur des difficultés auxquelles la plupart des pays devront faire face dans les prochaines années 56. L’exemple français montre que les institutions seront impuissantes à résoudre seules les crises en cours et à venir si elles ne restaurent pas la confiance des citoyens à leur égard et si elles n’obtiennent pas d’eux une participation active et solidaire. 

La fin du « modèle républicain »

Le mal-être actuel de beaucoup de Français peut s’expliquer en quelques mots : le modèle républicain sur lequel reposait la nation ne tient plus ses promesses. La liberté est entravée par une législation de plus en plus contraignante et brouillonne. L’égalité est remise en cause dans les faits, en matière d’accès à l’éducation, à la santé, au logement, au travail et donc aux revenus. Le déficit de fraternité globale a dû être compensé par l’entraide familiale ou la solidarité communautaire, toutes deux sélectives et insuffisantes pour « faire société ». Le « modèle social » tant vanté, incarné par l’État-providence, connaît des dérives nombreuses et mal supportées. S’il a permis d’amortir sensiblement les conséquences de la crise sanitaire, il ne sera pas longtemps supportable financièrement pour le pays, lorsqu’il se réveillera.

Outre son incapacité à faire vivre ensemble les citoyens, le modèle républicain « prend l’eau » de toutes parts. Ainsi, en matière d’éducation, la France est de plus en plus mal notée dans les classements internationaux, malgré l’importance des effectifs concernés et des dépenses qui lui sont affectées. L’école républicaine ne parvient plus à intégrer tous les élèves, à leur donner le goût d’apprendre, à leur fournir le bagage culturel minimal mais aussi les attitudes dont ils auront besoin tout au long de leur vie. Le processus de démocratisation de l’enseigne[1]ment, qui a fonctionné pendant des décennies, s’est interrompu ou même inversé depuis le milieu des années 1990.

L’école échoue aussi à promouvoir le respect des enseignants ainsi parfois que la sécurité des enfants vis-à-vis des menaces extérieures (harcèlements, agressions…). Elle continue d’ignorer largement la place qui doit revenir au travail en équipe ou à la créativité dans la société actuelle. Elle n’a pas réussi à intégrer les nouveaux outils numériques dans l’enseignement, comme l’a démontré le nombre des laissés pour compte du télé-enseignement lors de la crise du Covid-19.

Priorité santé

La crise du Covid a aussi mis en lumière les insuffisances du système de santé, malgré les efforts parfois héroïques des soignants. Beaucoup ont pris conscience des dérives économiques, médicales et relationnelles du système. De nombreux bâtiments hospitaliers sont délabrés, les files d’attente se sont allongées dans les services d’urgence. 

L’accès aux soins est aussi de plus en plus inégal et la relation entre soignants et soignés de moins en moins satisfaisante. Les dépassements d’honoraires des médecins se sont généralisés, accroissant ainsi le coût de la santé, dont une part croissante est financée via les assurances complémentaires, c’est-à-dire par les assurés.

De l’intérieur comme de l’extérieur, il apparaît que la réforme sanitaire reste à faire, selon quelques principes majeurs. Le premier est de cesser d’opposer la recherche de la qualité des soins et celle de la relation humaine. Cela implique notamment de simplifier les procédures administratives, d’améliorer l’information des patients et leur dialogue avec les médecins. 

Repenser la protection sociale

D’une façon plus globale, le « modèle » de protection sociale, fleuron traditionnel du dispositif national ne fonctionne plus de façon satisfaisante. Il vit largement à crédit et alimente l’accroissement inquiétant de l’endettement de l’État, lié notamment à celui des dépenses publiques. De nombreux Français estiment, même s’ils le regrettent, qu’il faudra réduire le champ d’intervention et/ou le nombre des bénéficiaires du système, ainsi sans doute que le montant des aides (minima sociaux, allocations, indemnités) qui sont assez généreusement distribuées.

Ainsi, le ratio entre le nombre des personnes bénéficiaires et le nombre de celles qui cotisent sera de plus en plus défavorable. C’est le cas pour chacune des quatre branches de la protection sociale : maladie-maternité, accidents-maladies professionnels, famille, retraite. Parmi les bénéficiaires, beaucoup ne pourront pas s’en sortir sans aide, mais les cotisants ne pourront supporter encore longtemps l’accroissement de ces charges cumulées. Il faudra rendre le système de protection financièrement supportable pour les contributeurs et socialement efficace pour ses destinataires.

Un mal-être général

Le résultat des dysfonctionnements et dérives des institutions est le mal-être palpable de nombreux Français. L’enquête réalisée en mai 2021 par Opinionway en témoigne. À la question : Pour vous, de quelle manière la société française vous traite-t-elle ?, 24 % des Français répondaient avec mépris, 22 % avec injustice, 16 % avec égalité, 15 % avec dureté, 13 % avec bienveillance, 12 % avec justice, 10 % avec indécence, 9 % avec fraternité, 7 % avec indignité, 7 % avec reconnaissance. La balance penchait ainsi nettement du côté des impressions négatives.

Ce mal-être général se traduit au quotidien par l’insatisfaction, la frustration, la colère, la violence, les incivilités, ou l’abstention lors des élections. Il s’est structuré sous différentes formes au cours des dernières années : Gilets jaunes, MeToo, antivax, anti passe (sanitaire, puis vaccinal), Convoi de la liberté, etc. Pierre Rosanvallon en propose une analyse juste et utile, en décrivant les « épreuves » vécues par de nombreuses personnes : mépris, discriminations humiliations, incertitudes quant à leur avenir ou celui de ses proches. Autant d’inégalités de traitement ressenties comme des humiliations ou des injustices. Elles nourrissent un ressentiment palpable et entraînent une fracturation de la société, détaillée par Jérôme Fourquet dans un livre devenu une référence.

Il faut cependant relativiser ce mal-être national. Les inégalités sociales (éducation, santé, culture, relations, revenus, patrimoine, perspectives…) sont beaucoup plus marquées dans de nombreuses régions du monde. Des milliards d’individus ont davantage de raisons objectives d’être malheureux. Ils souffrent de faim, n’ont pas accès à l’eau, à l’électricité, à des toilettes. Ils sont victimes de guerres, de massacres, de conflits politiques ou religieux, subissent le joug de dictatures et leur avenir est bouché. Cela devrait atténuer la colère de ceux qui ne sont pas le plus à plaindre. Mais le malheur des uns ne saurait faire le bonheur des autres, et plus on s’approche de l’égalité, plus les différences restantes sont mal supportées. Et inciter ceux qui ne connaissent pas ces difficultés à se mobiliser pour un monde plus juste. Car relativiser ne doit pas empêcher de corriger.

Gérard Mermet publie « Le Contrat vital. Pour un monde moral et durable » aux éditions Empreinte Temps présent.

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